Dunkerque

La guerre réduite à un jeu vidéo

17 juillet 2017 : Dunkerque (2017) reconstitue à la façon d'Hollywood l'évacuation en catastrophe de trois cent mille soldats britanniques et français menacés d'être capturés par la Wehrmacht, au tout début de la Seconde Guerre mondiale.
Il paraît que le public et les critiques adorent. Pas nous.

Dunkerque (Christopher Nolan, 2017) Dès avant la diffusion du film en France, nous avons été abreuvés de commentaires dithyrambiques sur l'oeuvre et son auteur. Immense succès populaire aux États-Unis avec les recettes correspondantes.

Les critiques français, d'ordinaire réservés, applaudissent à tout rompre, à l'exception de Jacques Mandelbaum (Le Monde) et Geoffroy Caillet (Le Figaro) qui critiquent l'approche de l'Histoire par le cinéaste Christopher Nolan, immortel adaptateur de Batman au cinéma.  

Le film a un avantage. Il peut se résumer à la bande-annonce (très bien faite). Si l'on a vu celle-ci, on ne gagnera rien à aller voir la version intégrale. Son déroulement (le mot scénario serait présomptueux) tient en quelques mots :

Un soldat court dans une ville déserte, poursuivi par des tirs venus d'on ne sait où. Il débouche sur une grande plage où attendent de longues files de soldats semblables à lui. Tout d'un coup, le sifflement d'un avion en piqué, les soldats courent dans tous les sens et se jettent à terre ; certains ne se relèvent pas. L'avion disparu, les survivants reprennent la queue et se hissent dans des bateaux. Tout d'un coup, le sifflement d'un avion en piqué, un bateau est touché, les soldats tombent à l'eau, certains en sortent, d'autres pas. Les rescapés reprennent la queue et se hissent dans des bateaux etc.

Au-dessus de ce manège, un pilote garde l'oeil sur sa jauge de carburant et de temps en temps abat un avion ennemi ; à la fin, à court de carburant, il se pose sur la plage, enfin débarrassée de tous ses soldats. Fin du film.

N'oublions pas la touche sentimentale : un plaisancier anglais, sage d'entre les sages, traverse le détroit avec son fils pour aller secourir les valeureux soldats. Et la touche superstar : Kenneth Branagh soi-même en costume marin (amiral ?), immobile au bout d'une jetée, l'oeil rivé sur l'horizon et les falaises. Peu probable qu'il recueille un Oscar pour cette prestation.

Aucun personnage n'a de profondeur psychologique. Le seul d'ailleurs dont on donne le nom (Gibson) est un soldat français qui a volé l'identité d'un Anglais mort (salaud de Français).

Figurants et acteurs de premier plan s'agitent les uns et les autres tout au long du film pour échapper à la mitraille des avions ennemis et à la noyade (sauf Kenneth Branagh, aussi immobile qu'un cormoran au soleil). 

Une absente : l'Histoire

Voilà donc le chef-d'oeuvre qui fait la quasi-unanimité du public et des critiques. Au fait, s'agit-il d'une fiction ou d'un événement en rapport avec la réalité ? On n'en saura rien.

Le film est complètement étranger à l'Histoire et à ses enjeux. Ainsi n'est pas désigné une seule fois l'ennemi (la Wehrmacht, les Panzers de Guderian, la Luftwaffe, Hitler...). S'agirait-il de ne pas froisser le public allemand ?

La chronologie et le contexte sont totalement absents. Sait-on même qu'on est dans la Seconde Guerre mondiale ? à son tout début ?... C'est tout juste si l'on cite deux ou trois fois le nom de Churchill sans prendre la peine de préciser sa fonction.

Et ne parlons pas du rôle ridicule attribué aux Français. Jacques Mandelbaum l'a suffisamment dénoncé dans son excellent article du Monde.

La guerre n'est pas un jeu vidéo

Après tout, direz-vous, est-ce si grave ? L'important n'est-il pas que le public et en particulier les jeunes spectateurs découvrent l'existence de ce morceau d'Histoire ?

On peut travestir l'Histoire en un « roman national » façon Alexandre Dumas ou Malet et Isaac, de façon que chacun puisse s'identifier à ses acteurs et rêver avec eux. Mais ce que l'on reproche à Dunkerque n'est pas un simple travestissement de la réalité, c'est bien plus gravement l'absence de récit et la réduction de l'événement à des sensations reptiliennes (images et sons).

Craignons que cette vacuité et le succès qui l'accompagne soient le reflet de notre époque, qui a oublié que la guerre est autre chose qu'un lot de souffrances individuelles sans cause ni motif. C'est un drame collectif avec à sa racine des erreurs et des malveillances qu'il importe de connaître pour mieux les éviter. De cela le film à grand bruit de Christopher Nolan ne dit strictement rien. Il se déroule comme un jeu vidéo sans commencement ni fin. On joue, c'est tout. 

N'est-ce pas aussi la direction que prennent les guerres du futur ? À deux pas d'Hollywood, sous les collines du Nevada, de jeunes gens en uniforme pianotent sur des écrans. Ils pilotent des drones opérant en Afghanistan ou au Yémen. Touché ! Cent ennemis liquidés d'un coup. Les participants d'une noce ? Tant pis, on fera mieux la prochaine fois.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2023-07-26 11:22:42
FOUQUET (25-12-2017 17:32:02)

Je viens de regarder le dvd dunkerque et je suis à 100% d'accord avec M.Larané. ce film est un navet complet. A ma grande surprise, il n'est même pas vraiment spectaculaire. On y voit 3 spitfires, 3 BF109 et ainsi de suite. En résumé pour quelqu'un qui veut comprendre la dimension de l'évacuation de forces alliées de dunkerque; fuyez !

Bh (15-09-2017 17:13:21)

J y suis allé, certes avec l idée de voir un film respectant l histoire.
La décision de l amiral fut admirable car initialement Churchill espérait voir rapatrier 50 000 h. C est par cette décision d'incorporer la flottille de petits bateaux que le rembarquement du corps expéditionnaire anglais fut un succès.
Churchill donna l'ordre d intégrer les troupes françaises, ceux qui y sont parvenus ont ensuite été désarmés et renvoyés en France.
Certains prirent la direction de la zone sud pour reprendre le combat en Afrique ou dans la future À.S
Les bombardements furent incessants

Pipounet (16-08-2017 12:39:14)

Je trouve un peu sévères les reproches faits à ce film. Il rerace bien le point de vue des Anglais coincés sur les plages,isolés, sans vision sur les combats avoisinants . Donc le thème est traité de façon restrictive , mais il est bien traité.

Charles Huygens (08-08-2017 11:45:33)

Je suis sensible aux arguments de critique historique d'Hérodote. Mais je pense qu'il faut considérer ce film sous un autre angle : résolument intimiste, il nous plonge dans la réalité de la terreur, du courage ou des lâchetés de jeunes gars plongés , sans le recul nécessaire pour comprendre , dans le tourbillon de l'horreur . Comme le dit votre article , cela permet à des milliers de jeunes et moins jeunes de porter un moment d'attention à ces évènements tragiques, dont on peut espérer qu'ils seront suivis de l'approfondissement pédagogique nécessaire à l'école, dans les familles. La pédagogie par l'émotion est parfois bien plus porteuse que de longs discours exhaustifs. Je vous concède néanmoins le rôle trop sombre joué par les français dans cette épopée ....

Nicolas (06-08-2017 23:41:12)

Il est surprenant d'être d'accord avec des commentaires, bons ou mauvais, d'un film que certains ne sont pas allés voir. Ce film a cherché à filmer l'expérience de la guerre.... peut-être que seuls ceux qui l'ont vécue sont mieux à même d'en juger, étant donné qu'elle est vécue de manière différente en fonction de chacun. Une "introduction" est-elle alors nécessaire ? Il y a tout de même des critiques à faire : musique omniprésente et inutile, gloire aux seuls Anglais sauvés et futurs sauveurs des Français, alors que c'est grâce à ces derniers que le rembarquement a réussi. La dernière scène de l'atterrissage du pilote sur la plage me paraît surréaliste.

Anonyme (06-08-2017 23:40:39)

Il est surprenant d'être d'accord avec des commentaires, bons ou mauvais, d'un film que certains ne sont pas allés voir. Ce film a cherché à filmer l'expérience de la guerre.... peut-être que seuls ceux qui l'ont vécue sont mieux à même d'en juger, étant donné qu'elle est vécue de manière différente en fonction de chacun. Une "introduction" est-elle alors nécessaire ? Il y a tout de même des critiques à faire : musique omniprésente et inutile, gloire aux seuls Anglais sauvés et futurs sauveurs des Français, alors que c'est grâce à ces derniers que le rembarquement a réussi. La dernière scène de l'atterrissage du pilote sur la plage me paraît surréaliste.

Donnat (30-07-2017 13:09:17)

La critique d'Hérodote m'a (par esprit de contradiction...) décidé à voir le film. Avant je me suis mis remis en mémoire le contexte historique et militaire. Bien m'en a pris car, lorsqu'on a bien en tête ce contexte on apprécie la façon certes spectaculaire et bruyante (mais qui me semble correspondre à la réalité) dont Nolan met en scène cet épisode douloureux du conflit. On suit les quelques personnages archétypaux mis en avant sans pathos ni psychologie de bazar, ni vedettisation de l'un ou de l'autre des protagonistes (précisément ce que l'on reproche habituellement au cinéma hollywoodien...). On vit réellement la cruauté de la guerre, la peur qui envahit les soldats comme elle le ferait pour nous à leur place, mais aussi le courage et l'héroïsme dont certains sont capables.
Le personnage du plaisancier illustre la façon dont le peuple anglais a soutenu ses soldats, avec les moyens du bord, car cette « flottille » de plaisanciers allant à la rescousse des combattants a bel et bien existé n'est-ce pas ?
Nolan utilise le pilote de Spitfire pour nous fait vivre cela de haut, en grand angle. Le personnage de Braghan n'est pas réel, il représente ici la nation anglaise et son armée qui veille au mieux sur ses combattants, jusqu'au dernier moment.
Nul film n'est exempt de reproches mais celui-ci ne mérite pas la critique excessive qui lui est portée. Après tout, être spectateur d'un film n'exempte pas de faire un minimum d'effort, avant pendant et après, non ?
Ma recommandation : documentez-vous un minimum et allez voir ce film.

Boutté (26-07-2017 09:59:48)

Abus de bruitage et affolement des images : c'est la critique de ce qu'est devenu le cinéma. W.E. à Zuydcoote est meilleur car plus ancien donc plus humain mais c'est surtout le roman qu'il faut lire . Si vous l'avez lu, nul besoin de film !

Claude (24-07-2017 21:44:59)

Mon père était à Dunkerque comme soldat. Je me souviens seulement qu'il n'était pas vraiment d'accord avec le film week-end à Zuydcoote, mais il a parlé des barques surpeuplées qui ont chavirées (les officiers n'ayant aucune idée de la navigation), d'avoir passé une (?) nuit sur la plage, de mitraillages par lesquels un de ses camardes a été blessé. Et du voyage en train de Douvres à Southampton (je pense) et des Anglais sur les quais qui leur faisaient un accueil enthousiasme. Chacun a du avoir ses propres expériences.
Mais ce qui m'effraie c'est la banalisation de la guerre. Il n'y a rien de pire que la guerre.

Claude lerat Gentet (22-07-2017 21:32:47)

Merci pour votre critique argumentée
Je garde mon argent pour aller voir le grand méchant renard !!!

Joëlle (22-07-2017 18:18:44)

Depuis la sortie de ce film, que je n'irai pas voir, j'ai comme une boule à l'estomac qui m'étouffe.
Je revois mon père bouleversé dans les années 60 quand j'étais en âge de comprendre (je suis née en 51) me raconter comment, dans l'eau jusqu'aux épaules, les Anglais sur les barques l'empêchaient de monter à coups de crosses... les Allemands étaient sur la plage.
Il est resté 5 ans en captivité avec son lot de privations et de souffrances physiques et morales. Il n'a pas été fêté au retour. C'était un vaincu. Pas de quoi être fier...
Pour moi il reste un héros.

Michel Dupré (22-07-2017 16:39:18)

Effectivement, absence totale de précisions historiques. Toutefois j'imagine que le film restitue (ou cherche à restituer)la tension ressentie par les soldats en attente d'embarquement, au prise avec les bombardements ou les attaques de toute nature. Dans cette optique le film est une réussite

oldpuzzle (22-07-2017 10:21:25)

Je ne me souviens pas s'il y avait une véritable introduction historique bien que j'aie vu "Week-end à Zuydcoote" mais je puis affirmer que, même si ce n'est pas un film "historiquement correct" c'est un bon film !

oldpuzzle (22-07-2017 10:20:12)

Je ne me souviens pas s'il y avait une véritable introduction historique bien que j'aie vu "Week-end à Zuydcoote" mais je puis affirmer que, même si ce n'est pas un film "historiquement correct" c'est un bon film !

Percy (22-07-2017 09:50:27)

Un intérêt du film : reparler de Dunkerque, ville deux fois martyre, où je me rends souvent (et qu'un critique du Figaro, d'ailleurs très élogieux, avoue mal situer sur la carte...)
Malgré vos critiques -peut-être fondées- j'irai voir le film...On en reparlera.

John Plançon (21-07-2017 18:14:43)

La critique est comme toujours facile, l'art beaucoup plus difficile !
En fait vous n'avez pas compris que ce film n'est que l'introduction d'une Série Magistrale "DUNKIRK" de 7 saisons de 26 épisodes chacune (chaque épisode durant 100 minutes), qui sera diffusée sur Netflix à partir de janvier 2018 !

Michel Legat (21-07-2017 14:09:05)

De ce film, je retiendrai un immense raffut de toutes sortes surmonté, pour en faire plus encore, d'une musique abrutissante. L'on ne ressent aucun empathie pour l'un ou l'autre des personnages qui vont et viennent dans une action assez mal définie dans le temps. Le lieu, oui : Dunkerque avec la mer et les airs autour de Dunkerque. On le sait uniquement par un prospectus lancé, au début de l'action, par les Allemands (invisibles) et déclarant : "Vous êtes cernés". Là où devait exister une extraordinaire pression tant morale que physique, c'est quasiment le vide : une plage qui s'étire, avec quelques longues "files d'attente", "comme à la Préf, un jour d'affluence pour cause de régularisation de papiers" ! Pas d'émotion véritable lors des piqués des Stukas. Rien qui serre les tripes car tout est éparpillé.
L'histoire est loin d'être le but du sujet. Dunkerque fut plus que cela. Les Français aussi s'y battirent très bien et face à des Allemands bien visibles. Ici, la France : un soldat malin comme un signe qui a piqué la plaque d'un mort anglais. Fichu bouffeur de grenouilles !
En somme : "Beaucoup de bruit pour rien". Et 9,60 euro perdus pour le savoir mais non remboursables.
Pour le plaisir, je vais revoir "Week-end à Zuydcoote" avec les bonnes bouilles de Bébel, Marielle et les autres. Et relire l'excellent ouvrage de Robert Merle. Car l'on oublie trop souvent de dire d'où sont extraits les meilleurs films.

Ghirardi Patrice (21-07-2017 12:05:52)

Après l'avoir vu, nous confirmons la critique d'André Larané: ce n'est pas un bon film. La musique obsédante et inutilement angoissante (les images étant censées se suffire à elles-mêmes) gâche le peu de plaisir qu'on pourrait à la rigueur prendre à visionner une film de guerre. Ma mère vivait à Dunkerque pendant toute cette période. La ville, certes en partie détruite, n'était pas "déserte" pour autant. Ma mère et ma tante ravitaillaient en thé chaud et en sandwiches les soldats anglais et français qui se battaient dans les rues contre les nids de mitrailleuses allemandes. Le film manque de souffle et ne reflète pas l'importance historique de l'événement.

Jean Yves LE CARRE (21-07-2017 09:03:11)

Si j'ai bien compris, il vaut mieux éviter ce film, et revoir "week-end à Zuydcoote" !

L.H. (21-07-2017 08:09:14)

Bon commentaire. Travestir l'Histoire avec les oripeaux de la fiction pour garnir le tiroir-caisse devient une mauvaise habitude.

Anonyme (21-07-2017 00:57:59)

Je me demandais si je devais aller voir ce film. Merci, vous venez de me faire épargner 15$ (pour 2 personnes).

LAFFORGUE (20-07-2017 23:14:42)

BRAVO pour votre commentaire courageux. Vous ne craignez pas d’aller à l’encontre de l’ensemble des médias qui encensent ce film. Je ne vous cache pas que – allant très rarement au cinéma – je pensais aller le voir pour voir, en images, une tranche importante et douloureuse de la dernière guerre. Vos critiques m’en dissuadent et je vous remercie de votre éclairage. Bien cordialement.

Vallverdu Constant (20-07-2017 22:07:58)

Merci à Hérodote pour cette analyse rigoureusement étayée, d'un film , dont je l'avoue, j'ai eu le tentation d'aller voir .
Excepté " le Monde " , tous les médias ( télé en tête ) ,ont présenté ce film sous forme dithyrambique . Il est éminemment regrettable , que ces derniers ne ce soient pas montrés bien plus curieux. Je serai tenté de dire " intellectuellement à la hauteur " .
Bien cordialement à vous .

Vallverdu Constant (20-07-2017 22:07:24)

Merci à Hérodote pour cette analyse rigoureusement étayée, d'un film , dont je l'avoue, j'ai eu le tentation d'aller voir .
Excepté " le Monde " , tous les médias ( télé en tête ) ,ont présenté ce film sous forme dithyrambique . Il est éminemment regrettable , que ces derniers ne ce soient pas montrés bien plus curieux. Je serai tenté de dire " intellectuellement à la hauteur " .
Bien cordialement à vous .

Jean-Claude PETERS (20-07-2017 21:17:54)

Je n'ai pas encore vu ce film, mais y avait-il une introduction "historique" dans "Week-end à Zuidcote" ou "Le jour le plus long" ?

Corriger: poursuivi par des tirs... et œil

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