8 mars 2017

Oméga - alpha = bêta
(hors des maths, point de salut) !

La publication d’une enquête internationale (*) donne des sueurs froides à nos gouvernants : les petits Français coiffent le bonnet d’âne en maths et en sciences.

Isabelle Grégor avance une explication à contre-courant du discours officiel : nous aurions perdu la bosse des maths parce que nous avons négligé l’enseignement du français ! On ne devient pas un bon matheux ou un bon scientifique si l’on n’a pas d’abord acquis la maîtrise du langage…

Jusqu'au siècle dernier, tout enfant de milieu cultivé se devait de « faire ses humanités » et devenir incollable en français, latin et grec. L'american way of life et la religion du taux de croissance ont balayé ces futilités. Adieu dictées, récitations, lectures, dissertations, grammaire et orthographe. L'école de la République est passée aux choses sérieuses : les tables de multiplication, les technologies et une pincée de basic english, voilà les vraies clés de la réussite dans notre société mondialisée et centrée sur la performance !

À quoi bon perdre du temps à lire des auteurs morts depuis un siècle ou davantage alors que les joies de la programmation informatique s'offrent à nos enfants ? Pourquoi les obliger, pauvres innocents, à suer sang et eau pour traduire les élucubrations d'un obscur annaliste héllène qui n'utilisait les tablettes que pour les graver à coups de burin ? À la poubelle, Sophocle et Plaute ; aux oubliettes, la comtesse de Ségur et Alexandre Dumas, Rabelais et Aragon. Et Delete.

— Vous exagérez, me dites-vous, en entendant les poètes de la Pléiade s'agiter au fond de la corbeille à papier. L'école ne nie pas complètement l'intérêt de la littérature. Un écrivain, ça peut encore servir quand les chanteurs de pop font faux bond pour la récolte de prix Nobel de littérature.

Le malheur, c'est que derrière un « gendelettre » se cache parfois un génie des sciences qu'il importe de révéler à lui-même...

Regardez Blaise Pascal. Quel dommage qu'il se soit quelque temps égaré dans des réflexions fumeuses sur l'homme et l'univers car il avait toutes les qualités pour révolutionner les mathématiques et les sciences ! Pareil avec d'Alembert qui a préféré sacrifier une grande partie de sa vie à son EncyclopédieDescartes, Buffon, Condorcet, Poincaré... Eux aussi ont pris des chemins de traverse. Et le prince Louis de Broglie ? Il a passé une licence ès lettres à 18 ans et obtenu le Prix Nobel de physique en 1929, à 37 ans. Que n'eut-il accompli s'il n'avait gaspillé sa jeunesse avec des littérateurs ignorants de la règle de trois ? 

— Croyez-vous qu'ils eussent fait davantage sans leurs « humanités » et leur dévorante curiosité ? Il me semble au contraire que c'est à celles-ci qu'ils ont dû leur agilité d'esprit et leur inventivité matheuse et scientifique.

Dans le même sens, demandons-nous si la baisse de niveau en mathématiques et en sciences chez les élèves n'est pas tout simplement une conséquence parmi d'autres de la dévalorisation du français à l'école.

Savoir nommer les choses, s'imposer la discipline de l'orthographe, concentrer son attention dans les récitations, ordonner ses idées dans une dissertation sont des apprentissages indispensables aux matheux, aux ingénieurs, aux scientifiques tout comme à l'ensemble des citoyens, car c'est par eux que nous acquérons la sociabilité sans laquelle il n'est pas de « vivre ensemble ».  

Médiocre en français, médiocre en maths

Reprenons depuis le début : pour Pythagore, qui serait aussi à l'origine du mot philosophie (« amour de la sagesse »), mathema recouvre toute la connaissance. Le mathématicien se doit donc de faire preuve de la plus grande curiosité, et ce dans TOUS les domaines. C'est bien cette ouverture d'esprit, cet appétit de savoir qui manque aujourd'hui.

Une fois plongés dans les nombres, nos petits spécialistes oublient que d'autres domaines peuvent leur être tout aussi utiles que la maîtrise des équations. Qui, d'ailleurs, a développé l'idée que ce n'est pas seul le résultat à valeur pratique qui compte, mais la façon dont on y accède, c'est-à-dire la démonstration ? Les Grecs, bien sûr ! Pour dire l'abstraction, ils inventèrent tout un vocabulaire, parfois très imagé : le cône vient de la « pomme de pin », le calcul du « caillou », isocèle de « jambes égales ».

Mais, direz-vous, Indiens et Arabes ont aussi beaucoup apporté aux sciences et on n'oblige pas les lycéens à apprendre leur langue !

Certes, mais le grec, tout comme son cousin le latin, ont le mérite d'avoir donné naissance à notre français, et c'est lui qui va permettre à nos apprentis Einstein de formuler leurs recherches et leurs conclusions. Sans maîtrise de la langue, pas de maîtrise des idées ! Règles de grammaire et d'orthographe permettent de discipliner le discours, de lui donner la logique et la cohérence indispensables à tout raisonnement qui se veut un tant soit peu élaboré.

Comment peut-on prétendre contribuer à l'exploration de Mars avec un lexique réduit à un exemplaire du Larousse des débutants ? Comment peut-on espérer apprivoiser nos jeunes sauvageons avec un vocabulaire de 400 mots et la même expression passe-partout : « c-trop » pour exprimer aussi bien l’admiration que la colère ?

Humanistes et Encyclopédistes l'avaient bien compris : il faut chercher à acquérir un savoir gargantuesque, quelle que soit sa spécialité. Un seul mot d'ordre : la curiosité !

Par contre nos chers utopistes ne se doutaient pas que le livre allait se faire avaler par des écrans omniprésents, un dégoût profond pour la moindre minute d'ennui et la peur insurmontable de l'effort. Le fameux « À quoi bon ? » risque d'avoir encore de beaux jours devant lui si on continue à initier les collégiens aux richesses de la langue de Cicéron en leur faisant concocter des recettes de cuisine latines en EPI (Enseignement Pratiques Interdisciplinaires).

Il est temps de comprendre que la baisse de niveau des jeunes Français dans les matières réputées « utiles » que sont les maths et la physique est une conséquence de leur baisse de niveau dans les matières littéraires réputées « inutiles » et en premier lieu en français.

N'inversons pas les priorités : enseignons la maîtrise de la langue à nos écoliers, encourageons-les à accumuler des connaissances ; ils auront tout le temps ensuite, jusqu'à vingt-cinq ans et au-delà, de se spécialiser dans les apprentissages de leur choix et l'acquisition des savoir-faire professionnels et techniques.  

Nous avons tout lieu de nous inquiéter pour l’avenir quand un candidat à la présidence de la République ose dire publiquement : « Il n’y a pas une culture française ». C'est non seulement la culture classique qui est en danger, mais la créativité et le raisonnement des futurs cadres et plus encore les codes de civilité indispensables à la paix sociale.  

Chacun, quel que soit son milieu, doit avoir accès aux richesses des livres qui, depuis des millénaires, nous expliquent les hommes et le monde. C'est ainsi que nous éviterons qu'une démonstration, très logique sur le papier, n'aboutisse à une conclusion absurde, simplement parce que les mots n'ont plus de valeur : « Donc Socrate est un chat » (Eugène Ionesco, parodiant les logiciens dans Rhinocéros).

Isabelle Grégor, docteur ès-lettres et professeur de lycée
Publié ou mis à jour le : 2019-05-02 17:29:59
elisabeth (13-04-2017 14:31:36)

Oh! Si cet article pouvait toucher nos instances dirigeantes et les faire, oh! divine surprise, changer de paramètres!

Philologos (12-03-2017 21:44:33)

Quand l'Education Nationale n'était pas encore sous le contrôle de l'ignorantisme militant, la doctrine qui prévalait était : vous êtes à l'école pour y apprendre quelque chose, et l'enjeu justifie pleinement l'effort.
Puis la maxime fut qu'on était à l'école pour apprendre à apprendre - ce qui n'est pas faux à condition qu'on apprenne quelque chose.
Mais c'était encore trop. Un inspecteur de l'E.N. déclara un jour à un contradicteur sur une chaîne de la télévision publique : "Lécole n'est pas là pour transmettre des connaissances. Ce sont les maladies contagieuses qui se transmettent!" (authentique).
La révolution culturelle avait fait son grand bond en avant : Au centre, il n'y avait plus le savoir et, autour du savoir, le maître et l'élève : il n'y avait plus que l'élève, et le rôle de l'école était de" lui donner une bonne opinion de lui-même" (inconditionnellement) en lui épargnant la torture inhumaine et perverse de l'effort.
J'ai fini ma carrière de professeur de lettres affligé en constatant un développement vertigineux de l'illettrisme chez mes étudiants de prépas scientifiques, et en compatissant à la peine de mes collègues de math et physique qui se désolaient de ce que beaucoup de néo-bacheliers n'avaient même plus la compétence en langue maternelle requise par la compréhension des énoncés. Et on me dit que ça n'a fait qu'empirer, dans des proportions que je ne saurais imaginer.
La course à l'inculture ne s'arrêtera pas si on ne retire pas l'Ecole des mains des démagogues et des obscurantistes. L'enjeu n'est pas seulement la connaissance, la compétence et le développement individuel et commun, c'est aussi la possibilité même de la démocratie. Il y a urgence vitale.

G.B (12-03-2017 14:15:35)

Pour témoigner dans le sens de l'article: l'exercice de mon métier vu comme «scientifique» (développeur informatique) me fait souvent souhaiter que plus de confrères accordent à la langue l'importance qu'elle mérite:
- si les langages informatiques sont une notion connue, le lien entre mathématiques et langue humaine l'est moins. Or les mathématiques ont défini une notion de grammaire, applicable aux langages informatique comme humains (les seconds étant bien plus complexes);
- ce métier demanderait des spécifications précises, non-ambigües, et aussi concises que possible. Mais en pratique, que de temps passé à éclaircir les zones d'ombre des cahiers des charges, ou à extraire les rares informations utiles de documents volumineux, pleins de fautes, de pléonasmes et de phrases à la structure douteuse !
- le jargon franglais mène parfois à de savoureuses collisions de sens: quand un responsable demande de «fixer» un problème, je lui demande s'il a bien l'intention de le rendre inamovible.

G.B (12-03-2017 13:01:40)

Pour témoigner dans le sens de l'article: l'exercice de mon métier vu comme «scientifique» (développeur informatique) me fait souvent souhaiter que plus de confrères accordent à la langue l'importance qu'elle mérite:
- si les langages informatiques sont une notion connue, le lien entre mathématiques et langue humaine l'est moins. Or les mathématiques ont défini une notion de grammaire, applicable aux langages informatique comme humains (les seconds étant bien plus complexes);
- ce métier demanderait des spécifications précises, non-ambigües, et aussi concises que possible. Mais en pratique, que de temps passé à éclaircir les zones d'ombre des cahiers des charges, ou à extraire les rares informations utiles de documents volumineux, pleins de fautes, de pléonasmes et de phrases à la structure douteuse !
- le jargon franglais mène parfois à de savoureuses collisions de sens: quand un responsable demande de «fixer» un problème, je lui demande s'il a bien l'intention de le rendre inamovible.

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