Bernard Buffet

Chaillot et Montmartre : les secrets de l'artiste

Deux expositions, à Paris, sont actuellement consacrées au peintre Bernard Buffet. « Rétrospective », au Musée d’Art moderne, sur la colline de Chaillot, jusqu’au 5 mars 2017, présente un éventail de l’œuvre foisonnante du peintre au style éminemment reconnaissable, l’autre, « Bernard Buffet intime », au musée de Montmartre jusqu’au 12 mars 2017, nous plonge dans l’univers émotionnel de l’artiste.

Toutes deux font découvrir plusieurs facettes de ce peintre qui vécut le bouillonnement intellectuel et artistique du Paris des années 50...

« La Corrida », 1967, Bernard Buffet.

Naissance d’une signature

Au Musée d’Art Moderne, la rétrospective consacrée à Bernard Buffet débute avec La Corrida, tableau qui concentre son style et son univers à travers un kaléidoscope de références. Sont ainsi invoqués Goya, l’univers de la tauromachie et ses codes, ses officiants indifférents plongés dans une mise à mort sacrificielle. Le visiteur se sent immédiatement projeté dans un espace distant où règnent le détachement et la solitude.

L’émergence du style de Buffet éclate à travers l’un de ses thèmes de prédilection, les autoportraits, dans lesquels il apparaît en buveur, en peintre dans son atelier, nu, vêtu d’un col roulé, d’une chemise ou d’un maillot, et se parachève dans le tableau Deux hommes dans une chambre, qui lui vaut, à 19 ans, le prix de la Critique.

Des figures statiques aux traits anguleux et maigres, sur des fonds dépouillés, dans un monde peuplé d’ustensiles familiers et insolites, peupleront désormais son œuvre.

L’indifférence des personnages est également un trait frappant de cette période. Plutôt que des stéréotypes, Jean Cocteau évoquera « des unitypes ».

Homme de son temps, la guerre inspire aussi le peintre. En 1954, à 26 ans, il réalise Horreur de la guerre, un triptyque accompagné de vingt-six aquarelles. Avec ses nus décharnés, dans des paysages sans âme qui évoquent la Seconde Guerre mondiale, l’œuvre provoque une vive répulsion.

« Horreur de la guerre : Les fusillés », Bernard Buffet, 1954.

Plus étonnant, la série de tableaux sur l’univers du cirque, le plus souvent des portraits, illustre soigneusement des moments ou des personnages emblématiques du spectacle : trapézistes, jongleurs, clowns, acrobates, écuyères et animaux.

Bernard Buffet, Clown blancLes représentations, réalistes et oniriques, s’appuient sur l’imagerie traditionnelle du cirque pour livrer une métaphore de l’artiste. Les figures de ce cirque sont arrêtées dans leur mouvement.

Buffet sera accusé de décrire un monde glacé exhalant une tristesse profonde, des visages fermés et des chairs blafardes.

De fait, le public sera de prime abord dérouté, ce qui n’empêchera pas les reproductions de la « Tête de clown » de connaître un immense succès dans le monde entier.

Buffet s’est-il livré à un travail détourné d’autoportrait pour laisser deviner sa vision désabusée de la vie ?

Difficile à dire.

« Les oiseaux : L'aigle », Bernard Buffet, 1959.

Éclectisme des influences

Avec la série « Oiseaux », répartie en sept peintures monumentales, le visiteur est encore une fois décontenancé. Ces immenses oiseaux, aux couleurs vives, surplombent des femmes dénudées, comme livrées à leur merci ou prêtes à s’accoupler.

Rappelant le goût de Bernard Buffet pour les sciences naturelles et révélant son attrait pour la mythologie, en l’occurrence la rencontre entre Léda et le Cygne, ces peintures ont suscité un scandale lors de leur présentation au public, certains visiteurs allant jusqu’à porter plainte pour outrage aux bonnes mœurs.

« Kabuki : Ren Jishi », Bernard Buffet, 1987.Un autre thème cher au peintre est Paris, la diversité de ses quartiers et ses rues. Il croquera souvent Pigalle, ses cabarets et sa vie nocturne qui rappellent le XIXe siècle de Toulouse-Lautrec. Un lieu hautement symbolique pour Bernard Buffet puisqu’il y a vu le jour et y vivra les dix dernières années de sa vie.

La fin de l’exposition offre une nouvelle surprise avec des tableaux que Buffet a réalisés après avoir découvert le Japon, pays qui lui a consacré un musée de son vivant et dont la tradition a exercé sur lui une fascination durable.

Le tableau dédié au théâtre kabuki reflète l’étrangeté de la rencontre entre un peintre occidental et une esthétique radicalement étrangère. Tout en gardant son style, Buffet semble plonger sans retenue dans le mystère japonais.

« Le Sacré-Coeur de Montmartre », Bernard Buffet, 1989.

Au commencement était Montmartre

Niché au sommet de la fameuse butte, le musée Montmartre est éminemment approprié pour une exposition sur Bernard Buffet, puisque le peintre naquit place Pigalle en 1928 et habita dans la maison voisine du musée pendant dix ans. C’est dire son attachement viscéral pour ce lieu !

L’endroit est une invitation à redécouvrir l’histoire du quartier, son ambiance et sa bohème artistiques des XIX et XXe siècles. Auguste Renoir y loua un atelier en 1876 et nombre d’artistes y vécurent tels que Suzanne Valadon, Maurice Utrillo, Raoul Dufy ou encore Pierre Reverdy.

Serait-ce l’effet du lieu ? Ou de son admiration et de son amour pour sa femme Annabel ? Mais ces deux éléments biographiques, qui constituent le cœur de l’exposition, la teintent d’une dimension profondément humaine et vivante.

« Portraits d'Annabel », Bernard Buffet, 1958.

Du rez-de-chaussée au troisième étage du musée, Annabel Schwob, sa femme depuis 1958, est omniprésente. Le visiteur se retrouve dans la peau du peintre dévorant des yeux son épouse et modèle. Comment ne pas y voir une déclaration d’amour de chaque instant ?

Les photos parlent d’elles-mêmes : il la trouve belle, elle est sa muse, son égérie et sa joie de vivre. 

Leur relation est si intense qu’il lui dédie en 1961 une exposition : dix-huit portraits, tous de même dimension et exposés à la galerie parisienne David et Maurice Garnier.

Qu’il la représente en robe du soir ou en blue-jean, de face ou de profil, Buffet s’approprie les traits d’Annabel et épuise comme toujours son sujet en le travaillant continûment et sans relâche.

Si cette exposition comprend elle aussi toute une série de clowns et personnages de cirque, allégorie des parades bouffonnes du Cirque Médrano qui se produisait au pied de la Butte-Montmartre depuis la fin du XIXe siècle, un tableau ne manque pas d’intriguer. Il représente une table de jeu, de celles dont sont équipés les casinos, à un détail près : y figure également un crâne. Serait-ce une référence aux vanités du XVIIe siècle ?

« Le grand jeu », Bernard Buffet, 1977.

De nombreuses peintures, consacrées notamment à des insectes, achèvent ce parcours intime et rappellent la passion de Buffet pour les sciences naturelles. L’entomologiste qui sommeillait en lui a peint de plantureux arthropodes avec moult détails anatomiques. Une passion de jeunesse qu’il aura gardé sa vie durant.

Vanessa Moley
Publié ou mis à jour le : 2021-06-19 16:08:20

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