2016

La « tornade citoyenne »

À la lumière de notre rétrospective de 2016, Joseph Savès replace ce millésime dans l'Histoire longue et cherche un sens aux scrutins qui ont sidéré les démocraties.

Ecrivons l'Histoire de 2016 avec Herodote.netLes attentats et la guerre en Syrie semblent hélas entrés dans la routine ! En 2016, la surprise est venue des urnes, en Angleterre le 23 juin 2016 avec le référendum sur le Brexit, aux États-Unis le 8 novembre 2016 avec l'élection de l'inénarrable Donald Trump, en France les 20-27 novembre 2016 avec l'élimination d'Alain Juppé, favori des sondages et des médias, au premier tour de la primaire de la droite.

Plus attendu était le succès de l'AFD (extrême-droite) en Mecklembourg-Poméranie occidentale, le 4 septembre 2016, en réaction à la politique d'accueil de la chancelière allemande.

Joseph Savès

Retour à l'égoïsme des nations

Les Anglais et les Américains, à l'origine de cette « tornade citoyenne », sont, soulignons-le, les inventeurs de la démocratie moderne et les deux seuls grands peuples qui n'ont jamais connu de dictature dans les deux ou trois derniers siècles. Ils ont aussi, par leur intelligence et leur dynamisme, piloté la planète jusqu'à la fin du XXe siècle. Autant dire que nous devons y réfléchir à deux fois et nous montrer humbles avant de prétendre leur faire la leçon ! Essayons plutôt de comprendre le sens caché de leur vote.

Nos amis anglo-saxons, par-delà les arguments de tribune et les formules à l'emporte-pièce, ont pu être guidés dans leur tréfonds par la perception d'un monde en train de basculer. Ont-ils fait le bon choix ? C'est une autre question.

Ce monde en train de basculer est perceptible en Europe depuis l'année 2015 avec les attentats islamistes, les échos de la guerre en Syrie, l'invasion pacifique de foules venues du Moyen-Orient et plus encore d'Afrique, enfin la crise de l'euro, la mise au pas du peuple grec et les fractures au sein de l'Union européenne, paralysée par ses divisions et d'accord sur rien (réfugiés, frontières, diplomatie, défense, libre-échange). Un seul sujet fait consensus : le sauvetage envers et contre tout du système financier.

L'année 2016 ne montre pas de changement en Europe continentale. C'est ailleurs qu'il faut regarder : coup de force du président turc Erdogan, coup d'éclat du président chinois Xi Jiping, consacré « leader central » par ses concitoyens, coup de poker du président russe Poutine, maître du jeu en Syrie.

Ces trois leaders autoritaires s'appliquent à bâtir des États-Nations à l'image des anciens États européens que nous nous appliquons consciencieusement à détruire au profit d'une Union européenne encore très virtuelle. Par leur Realpolitik (une expression qui remonte à Bismarck), ils expriment le mépris de nos injonctions morales. Ils sont suivis en cela par les dirigeants des États musulmans comme par les hindouistes du BJP (parti religieux) au pouvoir en Inde. Au total plus des trois quarts de l'humanité.

Il y a à peine plus d'un siècle, l'Europe et le Nouveau Monde anglo-saxon représentaient le tiers de l'humanité et dominaient le reste du monde de leur écrasante supériorité (un homme sur trois était de souche européenne contre un sur six aujourd'hui). Les principes éthiques sur lesquels avait prospéré l'Occident (mariage monogamique, démocratie, tolérance, primat de l'éducation et du travail etc) étaient présentés comme des « valeurs universelles » et reçus comme tels par les peuples dominés, avides de s'élever à leur tour au niveau de leurs maîtres.

Les quinze dernières années ont vu la percée de la Chine, désormais au coude à coude avec les États-Unis en termes économiques. Elle a mis fin à cinq siècles de suprématie européenne et manifeste de toutes les façons possibles sa volonté de ne pas en rester là (manoeuvres militaires dans la mer de Chine, gesticulations diplomatiques en Afrique et en Amérique latine...).

Pleinement insérés dans les réseaux mondiaux, entre l'Europe et l'Extrême-Orient, les États-Unis ressentent sans doute mieux que nous ce changement de paradigme. On peut penser que les électeurs de Donald Trump ont voulu traduire dans les urnes leur inquiétude et leur souci d'y faire face d'une façon ou d'une autre.

Le vote des Britanniques relève d'une autre nature : pragmatiques, ils n'ont jamais montré d'enthousiasme pour l'idéologie européenne. Leurs réticences se sont accrues quand, après 1986, les Européens ont renoncé à la coopération intergouvernementale (Arianespace, Airbus, Erasmus...) pour ne plus s'occuper que de la monnaie unique et des normes. Avec ses votes à l'unanimité, ses présidences rivales et ses conflits d'intérêt, l'Union européenne leur apparaît comme un frein plutôt qu'un accélérateur. Son incapacité à sortir l'euro de la crise et son éviction de la diplomatie mondiale attestent de son impuissance. 

Se souvenant de l'avertissement de Churchill à de Gaulle : « Chaque fois qu'il nous faudra choisir entre l'Europe et le grand large, nous serons toujours pour le grand large », ils ont donc choisi le grand large et c'est au nom de Global Britain que le Premier ministre Theresa May a largué les amarres. Pour le meilleur et peut-être pour le pire. En tout cas pour le retour à une pleine souveraineté du royaume.

L'Europe dans l'« oeil » du cyclone

Tout indique que la « tornade citoyenne » n'est pas épuisée et l'on attend avec curiosité les résultats des élections législatives aux Pays-Bas le 15 mars 2017, des élections présidentielles en France les 23 avril et 7 mai 2017 et des élections au Bundestag allemand le 24 septembre 2017.

Les Français, plus idéalistes et moins pragmatiques que leurs frères rivaux d'outre-Manche, se refusent à remettre en question l'utopie de la monnaie unique en dépit de ses échecs avérés (note). Ils se refusent tout autant à remettre en question les abandons de souveraineté, même quand ceux-ci débouchent sur une allégeance à Berlin, primus inter pares (« premier parmi les pairs »).

C'est à Berlin qu'Emmanuel Macron et François Fillon ont réservé leur premier voyage en qualité de candidat du centre et de la droite. L'un et l'autre tiennent le même discours. Nous ferons avancer l'Union, assurent-ils, mais il y faut un préalable, que la France se soumette aux exigences de Francfort et Berlin en matière de réformes budgétaires (avec l'espoir que ces réformes aient plus de succès qu'en Grèce et ailleurs). Quant à la candidate de l'extrême-droite, elle n'ose plus trop affirmer sa volonté de sortir de l'euro et de restaurer la souveraineté du pays.

Cette humilité peut surprendre car la France dispose d'un atout exceptionnel, du fait de son poids économique et plus encore de sa position géographique, de son Histoire et de sa dimension géopolitique : elle est avec l'Allemagne le seul pays dont la sortie de l'Union européenne et de la zone euro entraînerait ipso facto la disparition de celles-ci.

En annonçant un référendum sur le sujet dans les trois à dix-huit mois, le futur président mettrait en demeure ses partenaires de réviser les traités dans ce délai pour éviter de tout perdre. Ce bras de fer obligerait l'Allemagne à corriger ses excédents commerciaux, voire à accepter une monnaie commune et non plus unique. Il amènerait aussi les Polonais à faire confiance à une défense et des armements européens et non plus seulement américains...   

Le candidat de l'extrême-gauche Jean-Luc Mélenchon a démontré son hostilité à la prépondérance allemandedans son essai Le hareng de Bismarck. Il est prêt à envisager un bras de fer, par la voie d'un référendum. Mais sa France insoumise aura malgré tout des difficultés à l'emporter si elle va seule à l'affrontement comme avant elle la Grèce d'Alexis Tsipras. Faudrait-il, selon un schéma classique en Histoire, qu'il noue une coalition d'intérêt avec les Anglo-Saxons ? Peut-être...

Les jeux restent ouverts dans ces élections comme dans l'année en cours. Et c'est heureux.

 

Publié ou mis à jour le : 2018-11-27 10:50:14
Caroline (27-01-2017 07:59:29)

Analyse intéressante des scrutins car nourrie d'histoire. Le moralisme aveugle d'une certaine partie des classes dirigeantes et des média est hors réalité. Moins d'accord sur l'Europe, elle survit actuellement grâce à (et non pas à cause de) Merkel et Draghi. Economiquement indispensable pour tous ses membres elle n'a plus de voix sur plusieurs dossiers urgents, elle a été imprudente envers l'Est, et elle n'arrive plus à faire "rêver"; mais c'est la faute des gouvernements qui la composent et en particulier de la France qui était chargée d'en porter le projet à l'origine. Cette crise est aussi à analyser dans l'histoire longue, l'exemple de Rome reste une référence dans l'inconscient européen et l'Union n'en est que le dernier avatar. Merci!

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