La France est prise d'une fringale de commémorations. Que faut-il penser de ce peuple qui se penche avec nostalgie sur sa gloire ancienne ?
Commémorer Victor Hugo ? Alexandre Dumas ? Pourquoi pas si cela peut promouvoir la lecture de leurs œuvres ?
Fallait-il aussi tirer Bonaparte de son mausolée? Nous voilà submergés par un spectacle (distrayant) de Robert Hossein, un téléfilm (consternant) sur la chaîne France 2 et pour couronner le tout, plusieurs magazines hors-série dédiés à l'empereur.
Passons sur les repentances relatives à l'Occupation, aux responsabilités de Vichy dans les rafles de juifs, aux méfaits de la guerre d'Algérie...
On peut s'interroger sur cette extraordinaire propension de la France et des élites françaises à se tourner vers le passé, pour s'en glorifier ou s'en repentir.
Qu'il s'agisse d'exalter les succès de la Révolution ou de se frapper la poitrine en expiation de fautes plus récentes, ces retours en arrière ne sont pas innocents. Ils concourent à l'oubli du présent et nous détournent des défis à venir.
Avec l'épopée napoléonienne, nous oublions que notre armée manque cruellement des crédits et des moyens logistiques qui lui permettraient de tenir son rang.
Victor Hugo nous rappelle le temps où la littérature et la langue françaises rayonnaient sur le monde entier de même que les idéaux de fraternité, de tolérance et de laïcité... Pauvres idéaux aujourd'hui mis à l'épreuve par l'étiolement des liens sociaux et la percée de l'intégrisme religieux.
Le 30 novembre 2002, en conduisant au Panthéon Alexandre Dumas, le plus français des romanciers, petit-fils d'une esclave noire, les responsables de ce pays, toutes tendances confondues, essaieront une nouvelle fois d'occulter les ratages de l'intégration des nouveaux immigrants.
Quand, enfin, nous nous penchons sur le comportement de nos parents, grand-parents et arrière-grand-parents pendant l'Occupation et la guerre d'Algérie, que ne songeons-nous un instant à ce que la postérité retiendra de nos propres comportements face aux exactions de Yougoslavie et du Rwanda, deux pays proches de la France à divers titres ?
Le fabuliste Ésope disait de la langue qu'elle était la meilleure et la pire des choses selon l'usage qu'on en faisait. En irait-il de même de l'Histoire ?
En approfondissant l'étude du passé, nous découvrons combien nos ancêtres sont proches de nous. À mesure que nous pénétrons leurs sentiments et leurs motivations, nous en venons à les considérer comme nos contemporains. C'est ainsi que Jules César ou Robespierre peuvent nous apparaître au moins aussi proches que l'actuel Premier ministre chinois.
En mesurant les difficultés et les faiblesses de nos prédécesseurs, nous sommes amenés à faire preuve d'une plus grande mansuétude à l'égard de nos vrais contemporains. Et à regarder l'avenir avec plus de décontraction.
Toute différente est l'attitude qui consiste à chercher dans une analyse superficielle de l'Histoire la solution à nos angoisses et la réponse à nos préjugés. Dans cette attitude, qui prédomine lors des commémorations, l'Histoire n'est plus un outil au service de l'action ou de la compréhension du monde mais un refuge face aux incertitudes du présent et de l'avenir.
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