Jared Diamond est professeur de géographie à l'Université de Californie. Ses récits, dans une écriture déliée, offrent un aperçu inédit des folies suicidaires dont sont capables les sociétés humaines. Une méditation plus que jamais d'actualité à l'heure du réchauffement climatique.
Quel point commun entre les Vikings du Groenland, les Mayas du Yucatan et les anciens habitants de l'île de Pâques ? Les uns et les autres ont disparu pour avoir maltraité leur environnement et en particulier sacrifié inutilement leurs arbres.
Jared Diamond jette sur ces sociétés et quelques autres le regard d'un scientifique. Il complète l'approche plus classique des historiens en mettant l'accent sur les violations de l'ordre naturel à l'origine de bien des déboires majeurs.
Se gardant de toute idéalisation du passé, l'auteur écrit : « Les peuples du passé n'étaient ni de mauvais gestionnaires incultes qui ne méritaient que d'être exterminés ou dépossédés ni des écologistes omniscients et scrupuleux capables de résoudre des problèmes que nous-mêmes ne savons pas résoudre. Ils étaient à notre image, dans l'obligation d'affronter des problèmes plus ou moins semblables aux nôtres. Ils étaient voués soit à la réussite soit à l'échec, en fonction de circonstances similaires à celles qui nous destinent aujourd'hui à la réussite ou à l'échec. Malgré des différences entre les situations respectives, les similitudes sont encore telles que nous pouvons apprendre du passé » (page 22).
L'île de Pâques, notre avenir ?
De la demi-douzaine de civilisations disparues pour fait de déforestation abusive, celle de l'île de Pâquesest la plus symptomatique de la folie des hommes. Isolée au milieu de l'océanPacifique, cette île de 171 km2 était un paradis couvert de belles forêts et peuplé d'innombrables espèces d'oiseaux lorsqu'elle fut atteinte par une première piroguevers l'an 900 de notre ère.
Maîtrisant les techniques de la pierre taillée (Paléolithique), les nouveaux habitants prospérèrent et se multiplièrent jusqu'à être 10.000 ou 15.000. Mais les chefs de clans qui se partageaient l'île se mirent en tête de se défier en érigeant des statues à vocation religieuse (les moaï) qui se voulaient plus grandes les unes que les autres. Ils n'avaient pas de difficulté à excaver la pierre dans les flancs des trois anciens volcans de l'île. Tout le problème était de faire glisser ces statues jusqu'aux plates-formes de pierre (les ahu) qui leur étaient destinées (on en a recensées pas moins de 300 !). Pour cela, les Pascuans fabriquèrent des rails et des cordages avec les palmiers géants qui couvraient l'île... jusqu'au moment où les palmiers se firent rares.
Oh, sans doute n'eurent-ils pas à couper le dernier arbre. Fragilisé par les coupes, le tissu forestier devint à partir d'un certain seuil de déforestation incapable de résister aux éléments et disparut de lui-même, entraînant aussi la disparition du sol végétal et de la faune. Victime de pénuries croissantes, la population ne tarda pas à décliner. En quête de bois pour transporter les statues et surtout fabriquer les pirogues indispensables à la pêche, les clans se combattirent de plus en plus sauvagement. Le cannibalisme fit son apparition...
Le 5 avril 1722 (c'était le jour de Pâques d'où le nom de l'île), l'explorateur hollandais Jacob Roggeveen ne découvrit plussur l'île que quelques centaines de miséreux qui avaient perdu jusqu'au souvenir de leurs fiers ancêtres...
Ce qui est arrivé aux Pascuans en trois siècles, cette destruction forcenée de leur patrimoine forestier pour des motifs de prestige et de vanité, n'est pas sans rappeler l'empressement avec lequel nous épuisons nos réserves d'hydrocarbures pour le culte de la déesse Bagnole. En un demi-siècle, nous avons organisé notre vie autour d'elle comme les Pascuans autour des moaï. Ce qui nous distingue des îliens, c'est que nous sommes prévenus du prix que nous aurons à payer bientôt: une température de la planète plus élevée de quelques degrés (sans parler des conflits de plus enplus intenses pour l'appropriation des dernières gouttes de pétrole)...
Le drame maya
Autre effondrement cité par Jared Diamond, les Mayas ont bâti dans la péninsule du Yucatan, au sud du Mexique actuel, l'une des plus belles civilisations pré-colombiennes. Ils inventent une forme d'écriture vers 400 av. J.-C. et, vers 250 après J.-C., leurs différents royaumes théocratiques se dotent de belles cités en pierre (Tikal fondée en 416, Palenque en 640...). Autour de ces cités se pratique la culture du maïs. Jared Diamond voit l'origine du déclinde cette civilisation dans la surpopulation, qui aurait conduit à la mise en culture des collines, à la déforestation massive, au ravinement des sols et au comblement des lacs de retenue par les sédiments. Avec au bout du compte, chute de la production céréalière et famines à la chaîne...
Notons que l'agronome René Gourou attribue de son côté la mort de la civilisation maya à la culture itinérante sur brûlis: ce faisant, les agriculteurs ont très vite épuisé les sols voisins de leurs cités et ont été contraints de mettre en culture des sols de plus en plus éloignés. D'où la chute des rendements et l'appauvrissement. Le dernier royaume maya succombe en 1697 à Tayasal sous les coups de l'Espagnol Martin de Usura.
Curieux oubli parmi les effondrements recensés par Jared Diamond : la civilisation khmer. Celle-ci, ainsi que le rappelle le biologiste Jean Dorst (La force du vivant, 1978), s'est développée autour de la cité d'Angkor Vat, dans l'actuel Cambodge, grâce à la construction, à partir de 877, de colossales retenues d'eau. Le déclin a commencé lorsque ces retenues, faute d'entretien, ont commencé de s'envaser, vers 1150.
Jared Diamond, qui s'en tient aux abus de la déforestation, montre que certaines sociétés ont su reculer aubord du gouffre. Ainsi des Islandais qui, après avoir compromis l'environnement fragile de leur île, ont appris à s'y adapter jusqu'à construire l'une des sociétés les plus épanouies du monde actuel. Tout le contraire de leurs cousins du Groenland qui ont péri d'avoir maintenu dans leur colonie arctique, envers et contre tout, des pratiques agricoles importées du Danemark tempéré.
De la même façon, Haïti et la République dominicaine, deux États nés du partage de l'île de Saint-Domingue, principale colonie française au XVIIIe siècle, ont évolué dans des directions opposées en raison principalement de leurs choix politiques. La première a interdit toute immigration européenne et toléré la déforestation, prélude au lessivage et à la disparition des sols arables. La seconde n'a pas craint d'encourager l'immigration européenne, source de progrès. Ses dictateurs, tels Trujillo et Balaguer, ont aussi protégé les forêts par la manière forte. Aujourd'hui, la frontière s'inscrit dans le paysage : d'un côté l'aridité, compagne de la misère ; de l'autre de vastes massifs boisés et une relative prospérité.
Jared Diamond donne aussi l'exemple du Japon féodal. Sous la férule des Tokugawa, une dynastie de maires du palais qui a gouverné l'empire du XVIIe au XIXe siècle, les habitants de l'archipel ont été empêchés de déboiser leurs montagnes et de la sorte, ont su préserver leur patrimoine végétal. Aujourd'hui, avec un territoire aux trois quarts boisé, l'archipel fait encore figure d'exception.
Quel enseignement tirer de cette somme, un gros livre à la lecture néanmoins facile, sans jargon ni lourdeur ? Toutes les civilisations ne périssent pas pour cause de déforestation, loin de là. Il y a aussi des causes militaires (que l'on pense à la destruction de Carthage par les Romains) ; d'autres démographiques (empire romain) ou sociales (califat arabe de Bagdad)... Mais les exemples cités par Jared Diamond nous interpellent sur notre capacité d'aveuglement et d'entêtement dans l'erreur.
On y songe à propos de notre inaction actuelle face au réchauffement climatique...
Le plus piquant est que l'auteur paraît lui-même tenir cette menace pour secondaire : au mépris de l'évidence, Jared Diamond écrit au détour d'un paragraphe que les émissions de gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique n'augmenteraient plus que dans les pays émergents d'Asie !
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