L'absurde tension entre l'Union européenne et la Russie réveille des risques de guerre entre l'Est et l'Ouest du continent...
Est-il possible, cent ans après Sarajevo, 25 après la chute du Mur, de rallumer les feux de la guerre ? C'est le jeu insensé auxquels se livrent les gouvernants européens en poussant leur voisin russe dans ses retranchements. Ignorants de l'Histoire, qu'espèrent-ils donc en s'immisçant dans le pré carré de Moscou ? Qu'espèrent-ils en proposant à la Géorgie en 2008 puis à l'Ukraine en 2014 un billet d'entrée dans l'OTAN. Cette alliance a été conçue pour un autre temps, quand il s'agissait de contenir l'URSS, une superpuissance qui n'existe plus depuis un quart de siècle. Qu'a-t-elle besoin de provoquer la pauvre Russie qui a déjà bien assez de mal à protéger son immense territoire contre les ambitions chinoises, turques et autres ?
Humiliations et promesses non tenues
Reportons-nous trente ans en arrière. Maître tout-puissant de l'URSS pendant deux décennies, Leonid Brejnev meurt impotent, à 75 ans, le 10 novembre 1982, après un dernier bras de fer avec les États-Unis de Ronald Reagan dans la crise des euromissiles. Lui succède Iouri Andropov, réformateur issu du KGB, la police politique, et donc bien plus conscient que Brejnev des réalités géopolitiques. Également vieux et malade, il meurt quinze mois plus tard, le 9 février 1984.
La vieille garde brejnévienne relève la tête mais ne trouve rien de mieux que de placer à la direction du Comité central du Parti communiste un autre malade, le conservateur Konstantin Tchernenko. Il meurt à son tour le 10 mars 1985, à 73 ans.
Comme ils n'ont plus de vieux malades encore disponibles, les conservateurs laissent la place à un dirigeant jeune (54 ans) et réformateur, Mikhaïl Gorbatchev. Jouant d'audace, celui-ci renverse la table, bouscule les vieux brejnéviens et entreprend de libéraliser le régime. Deux mots courent sur toutes les lèvres, de Vladivostok... à San Francisco : glasnost (« transparence ») et perestroika (« reconstruction »). Les pays d'Europe centrale en profitent pour soulever le joug soviétique qui les oppresse depuis plus de quarante ans. Partout la guerre civile menace et l'on craint une intervention militaire soviétique comme à Berlin (1953), Budapest (1956), Prague (1968).
Gorbatchev, en bons termes avec les dirigeants occidentaux, conclut avec eux un pacte : « Je laisserai les choses se faire mais promettez-moi que jamais vous n'étendrez l'OTAN vers l'Europe centrale, à nos frontières, car cela serait ressenti comme une menace directe par le peuple russe ». Promis, répondent en chœur les Occidentaux. Le propos est certifié par l'ambassadeur américain à Moscou, qui a assisté à la réunion. Mais Gorbatchev ne croit pas devoir demander une assurance écrite...
C'est ainsi que s'effondre l'« Empire du Mal », dans l'allégresse générale et sans presque une goutte de sang.
Premier malentendu, première trahison : les 15-17 juillet 1991, au G7 de Londres, Mikhaïl Gorbatchev mesure l'ingratitude des Occidentaux quand il sollicite l'aide économique qui lui sauverait la mise et surtout assurerait à son pays une transition en douceur. Les Britanniques et surtout les Américains font la sourde oreille. À la différence des Européens qui bénéficient d'une longue expérience historique, les Américains n'ont pas encore compris que toute guerre doit se terminer par un compromis négocié. Ils entendent que celle-ci - la guerre froide - se termine sur l'anéantissement de l'URSS.
Deuxième trahison : le 12 mars 1999, la Pologne, la Hongrie et la République tchèque ratifient leur entrée dans l'OTAN, bientôt suivies par les États baltes, anciennement soviétiques, la Slovaquie, la Bulgarie et la Roumanie. Cette intrusion dans l'« étranger proche » est amèrement ressentie par les Russes. Ils y voient une manifestation d'hostilité et de rejet à leur égard. Elle est d'autant moins justifiée que le joyeux trublion installé à la tête de la Russie, Boris Eltsine, a « libéralisé » à outrance son économie suivant les conseils de ses nouveaux amis occidentaux ! Il a appliqué à la lettre les conseils des « Chicago boys », économistes de l'école ultralibérale de Milton Friedman. C'est ainsi que tous les actifs du pays (mines et usines) ont été bradés aux anciens cadres du Parti, transformés en oligarques à l'avidité sans limite.
Le naufrage économique de la Russie a des conséquences sur les indicateurs humains du pays. Déjà très mauvais à la fin de l'URSS, ils se dégradent encore au cours des années 1990 : espérance de vie, taux de suicide, mortalité infantile, indice de fécondité. À l'aube du XXIe siècle, on ne donne pas cher de la survie du pays, qui vieillit et se dépeuple.
Poutine et la volonté de revanche
Le 31 décembre 1999, Boris Eltsine, usé par l'alcool, cède la présidence de la République à un inconnu de 47 ans, Vladimir Poutine, officier du KGB devenu patron du FSB, l'organe qui lui a succédé. L'homme cache son jeu. C'est un patriote pur jus qui va se donner pour mission de redresser la Russie.