12 octobre 2012

L'Europe reçoit le Prix Nobel de la Paix avec 60 ans de retard

Le 12 octobre 2012, l'Union européenne a reçu le Prix Nobel de la Paix «pour avoir contribué pendant plus de six décennies à promouvoir la paix et la réconciliation, la démocratie et les droits de l'homme en Europe».

C’est la première fois qu’un Prix Nobel est remis à une puissance étatique. Cet honneur est-il justifié ? Vient-il à son heure ? Notre éditorialiste Joseph Savès répond...

En décernant son prix, le jury d'Oslo avalise l'idée selon laquelle l'Union européenne a empêché le retour de la guerre sur le Vieux Continent, entre l'Allemagne et ses voisins.

Cette idée est une construction a posteriori qui fait fi de la réalité historique. Sans remettre en question l’idéal généreux de Jean Monnet, à l'origine du projet européen, qui n'est pas sans rappeler l'Union latine (1865) et le traité de libre-échange (1860) de Michel Chevalier et Richard Cobden, ne lui attribuons pas des mérites qu’il n’a pas. Pour nous en convaincre, regardons les faits.

Le projet européen, une arme dans la guerre froide

Le projet européen est amorcé avec la création de la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier (CECA en 1950, soit cinq ans après la chute du nazisme.

Mais dès 1946, Churchill, qui a quitté le pouvoir, réclame à Zurich la création des États-Unis d'Europe sur la base d'une réconciliation franco-(ouest-)allemande. Il s'agit dans son esprit d'unir le camp occidental face à la menace que fait peser l'Union soviétique. C'est que, selon la formule du «Vieux Lion», un «rideau de fer» s'est abattu sur l'Europe. On est entré dans la «guerre froide».

L'année suivante, les Américains sont alertés par la guerre civile qui menace de faire tomber la Grèce (déjà !) dans le camp adverse et lancent le plan Marshall en vue d'accélérer la reconstruction de l'Europe.

En 1948, la tension monte brusquement quand Staline ordonne le blocus de Berlin-Ouest, une enclave occidentale dans la zone d'occupation soviétique. Le bras de fer tourne à l'avantage des États-Unis grâce à un gigantesque pont aérien, onze mois durant. Mais dès lors, la division de l'Allemagne en deux États rivaux devient inéluctable. Ce sera chose faite en 1949. 

La même année 1949, la situation internationale devient proprement explosive. Les Soviétiques se dotent de la bombe atomique tandis que leurs alliés chinois prennent le pouvoir à Pékin. La Corée du sud pro-occidentale vit sous la menace d'une invasion, qui surviendra en juin 1950. Aux États-Unis, le sénateur Joseph MacCarthy se lance dans une croisade anticommuniste. Le monde vit dans la crainte d'une troisième guerre mondiale qui mettrait aux prises les deux grands vainqueurs de la précédente, à coup de bombes nucléaires.

Heureusement, le plan Marshall et le travail des Européens commencent à porter leurs fruits. En France, le rationnement est abrogé. Paris et Rome concluent le 26 mars 1949 une union douanière. D'aucuns imaginent de rapprocher le couple franco-italien du Benelux, union douanière entre la Belgique, les Pays-Bas (Nederland) et le Luxembourg établie le 5 septembre 1944.

Jean Monnet, de son côté, propose une union douanière à Londres et Paris en vue de fluidifier les échanges intra-européens et de remédier aux goulets d'étranglement, en particulier dans le charbon et l'acier, qui sont à cette époque les deux piliers de l'économie. Soucieux d'indépendance, les Britanniques la rejettent. Mais une nouvelle opportunité se dégage outre-Rhin avec la naissance officielle, le 21 septembre 1949, de la République fédérale allemande (RFA) et l'accession à la chancellerie de Konrad Adenauer, un chrétien-démocrate rhénan, libéral et pro-occidental.

Monnet entreprend donc de bâtir avec la France, l'Italie, le Benelux et maintenant l'Allemagne fédérale un organisme supranational chargé de superviser et de répartir la production de charbon et d'acier. Ce sera la CECA. 

Cette initiative est approuvée avec chaleur par le président américain Harry Truman qui y voit un renfort face à la menace soviétique. Elle bénéficie aussi du soutien de l'opinion publique, car depuis le début de la guerre froide, le projet d'unir les Européens de l'Ouest alimente toutes les conversations.

Néanmoins, pour ne pas froisser les nombreux sympathisants communistes ou gaullistes, Jean Monnet et Robert Schuman préfèrent souligner que l'Allemagne de l'Ouest, une fois engagée dans la CECA, n'aura plus ni l'envie ni la possibilité de relancer la guerre contre ses voisins. «La France accomplit le premier acte décisif de la construction européenne et y associe l'Allemagne», déclare Robert Schuman (*), ce qui rend «toute guerre entre la France et l'Allemagne non seulement impensable mais matériellement impossible».

L'hypothèse d'une telle guerre est de toute façon devenue invraisemblable. Saignée à blanc, tourmentée par le souvenir des crimes nazis, avec un territoire occupé sans limite de durée par les vainqueurs, mutilée et divisée en deux États, l'Allemagne a été immunisée à jamais contre tout désir de revanche. Il n'empêche qu'à la suite de Monnet et Schuman, journalistes et hommes politiques reprendront régulièrement l'antienne d'un projet européen destiné à prévenir le retour de la guerre entre la France et l'Allemagne.

[cliquez sur la frise et suivez les étapes de la construction européenne]Frise chronologique de la construction européenne

Un Prix Nobel trop tardif

Si le projet européen, à travers la CECA, devait recevoir le Prix Nobel de la Paix, il eut fallu que ce soit au début des années 1950, en vue de soutenir ses promoteurs dans la deuxième étape de leur chemin, à savoir la création d'une Communauté Européenne de Défense (CED) par les six pays de la CECA.

En 1952 était signé le traité de défense commune. Mais il soulevait des réticences chez le chancelier Adenauer («Mon pays a perdu suffisamment de sang ; il ne veut pas réarmer») et, en France, l'opposition résolue des communistes (cela va de soi) et des gaullistes. Là-dessus survenaient la mort de Staline et la fin de la guerre de Corée. On se dit que la défense commune pouvait attendre. Sans doute faut-il le regretter car le projet européen eut alors pris une dimension politique et non plus seulement économique.

Notons qu'en 1953, le jury d'Oslo n'a pas rechigné à donner le Prix Nobel de la Paix au général Marshall, à l'origine du plan qui porte son nom.

L'octroi du Prix Nobel de la Paix aujourd'hui, en 2012, vient à contretemps. Le projet européen, dévoyé et discrédité depuis vingt ans par une longue série d'erreurs et d'incompétences, a perdu la faveur de l'opinion. Des peuples s'appauvrissent et souffrent tandis que des provinces refusent toute forme de solidarité et manifestent leur volonté de sécession (Flandre, Catalogne...). À l'encontre de toutes les promesses, les écarts se creusent entre le Sud et le Nord.

Les grandes ambitions appartiennent au passé et l'Allemagne n'hésite pas à torpiller la dernière en date, le rapprochement des deux géants de l'aéronautique, AEDS et BAE, pour préserver quelques emplois chez elle. Qui plus est, l'Europe affiche ses divisions (guerre de Libye, entrée de la Palestine à l'UNESCO...) et s'efface de l'avant-scène diplomatique.

Il serait dommage en conséquence que le Prix Nobel de la Paix soit interprété comme un certificat de bonne conduite décerné aux dirigeants européens et les encourage dans les mauvaises pratiques de ces deux dernières décennies.

Joseph Savès
L’Europe, c’est la paix ! À voir…

Si l’Europe a connu la paix après la chute du nazisme, c’est en premier lieu parce que ses peuples étaient trop épuisés pour se relancer dans de folles aventures après une «guerre de Trente Ans» (1914-1945). Il en va ainsi de toutes les guerres, de la guerre du Péloponnèse à la guerre d'Indochine-Vietnam en passant par la guerre de Cent Ans qui est en fait la conjonction de deux épisodes guerriers (1337-1360 et 1415-1453). L'Histoire ne connaît pas de conflit qui ait duré au-delà d'une génération (environ un tiers de siècle).

L'autre raison à la paix  - la plus importante - tient à ce que le continent et l’Allemagne elle-même étaient pour moitié occupés par une puissance extérieure, l’Union soviétique, et pour l’autre moitié sous la protection d’une autre puissance extérieure, les États-Unis. 

Cette situation de «guerre froide», lourde de tensions, de peurs et de menaces, avec le risque qu'éclate à tout moment une guerre nucléaire, a obligé les gouvernements européens à la plus extrême prudence. Mieux que ça, elle a poussé les Français, Allemands et autres Occidentaux à se rapprocher, moins par peur d'eux-mêmes que par peur de l'Union soviétique. 

La «guerre froide» a enseigné la sagesse aux Européens et les a dissuadés de commettre quelque folie que ce soit. Tout a changé dès que la tension Est-Ouest s'est dissipée avec la chute du mur de Berlin. Il ne s’est écoulé que quelques mois entre la fin de cette paix armée sous protection étrangère et le retour de la guerre en Europe. L'avons-nous oublié? Ce fut en Yougoslavie en 1991-1995.

La paix en Europe n'a ainsi duré que le temps de la «guerre froide» et ne doit rien à la construction européenne proprement dite. 

Au demeurant, cette période de paix, qui s'est étendue de 1945 à 1991 (46 ans), n’est pas exceptionnelle. L’Europe en a connu une presque aussi longue de 1815 (Waterloo) à 1859 (Solferino) et une autre de 1870 (Sedan) à 1911 (guerres balkaniques). Encore ces deux périodes ne sont-elles séparées que par des conflits de faible intensité de sorte que l'on pourrait assimiler tout le XIXe siècle européen, de 1815 à 1914, à une longue période de paix.

 

Publié ou mis à jour le : 2018-11-27 10:50:14
Michel (26-10-2012 10:52:35)

Pas vraiment d'accord avec cet article. Il est dommage que rien ne soit fait pour que les peuples membres de l'Union européenne ressentent leur citoyenneté européenne. Les gouvernements des pays européens font porter bien souvent la responsabilité de tout ce qui ne va pas sur l'Europe alors que tout ce qui est décidé au niveau européen est décidé à l'unanimité des membres. Il est dommage que la Communauté européenne n'ait pas pu empêcher la guerre en Yougoslavie, pays qui ne faisait pas partie de la communauté. Il est regrettable que la Croatie et la Serbie puissent faire partie un jour de l'Union et que le peuple français ne soit pas consulté à ce sujet. Au niveau du citoyen lambda que je suis, je trouve bien agréable de voyager dans les pays voisins sans contrôle d'identité à la frontière et sans changer de monnaie. Le fait de pouvoir travailler et s'installer librement dans l'Union est aussi un progrès.

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