31 août 2011. Les Occidentaux dénoncent régulièrement la sous-évaluation de la monnaie chinoise, le yuan renminbi. Ils y voient non sans raison l'un des atouts de la Chine dans la guerre économique engagée avec l'Europe et l'Amérique du Nord. Décryptons le mécanisme très politique par lequel cette monnaie est sous-évaluée...
D'ordinaire, depuis les débuts de la révolution industrielle, les pays les plus pauvres tirent argument du bas coût de leur main-d'oeuvre pour exporter vers les pays les plus riches des produits à faible valeur ajoutée. Pour un montant équivalent, ils acquièrent en échange des biens d'équipement qui leur permettent de poursuivre et intensifier leur développement économique.
Ainsi ont procédé par exemple la Corée et Taiwan, en passant peu à peu de l'exportation de bimbeloterie à celle de produits électroniques haut de gamme. Les pays avancés y ont trouvé leur compte en délaissant leurs productions à faible valeur ajoutée (bimbeloterie, textiles...) et en se concentrant sur leurs productions à forte valeur ajoutée.
L'État chinois enfreint les règles du libre-échange
Désireuse de brûler les étapes, la Chine populaire, tout comme le Japon avant elle, ne se satisfait cependant pas de cette forme d'échange « à la loyale ».
Son gouvernement lâche obligeamment la bride aux entrepreneurs au nom de l'« économie socialiste de marché » mais use par ailleurs de son autorité sur le secteur bancaire pour déséquilibrer à son profit les flux d'échanges.
Hypothèse d'un échange loyal :
- La Chine vend à l'Europe des marchandises dont la fabrication a coûté un total de 100 milliards de yuans.
- Les exportateurs chinois recueillent un total de 20 milliards d'euros.
- Ils recyclent la totalité de leurs recettes en importations et achètent pour 20 milliard d'euros de marchandises aux Européens.
- Le taux de change entre les devises s'établit en conséquence sur la base : 1 euro = 5 yuans.
Échange inégal pratiqué par l'État chinois :
- La Chine vend à l'Europe des marchandises dont la fabrication a coûté un total de 100 milliards de yuans.
- Les exportateurs chinois recueillent un total de 20 milliards d'euros.
- Ils déposent ces recettes dans les banques chinoises et demandent une contrepartie en yuans afin de poursuivre leurs activités en Chine.
- L'État chinois, qui a la haute main sur les banques, remet 100 milliards de yuans aux exportateurs, mais gèle la moitié des devises : aux importateurs chinois qui réclament des devises afin d'acquérir des biens à l'étranger, il ne rétrocède que 10 milliards d'euros au lieu de 20.
- Parallèlement, les banques de l'État chinois placent en Occident les devises qu'elles ont retirées du circuit des changes (10 milliards d'euros dans notre exemple) en achetant des actifs et des bons du Trésor américain, lequel est trop content de pouvoir ainsi combler son déficit budgétaire.
- Le taux de change apparent s'établit en conséquence sur la base : 1 euro = 10 yuans (au lieu de 1 pour 5), ce qui rend les marchandises chinoises deux fois moins chères et donc deux fois plus attractives qu'elles ne le sont en réalité.
Ce faisant, l'État chinois contourne les règles du libre-échange au détriment de ses clients occidentaux et de ses concurrents des autres pays émergents (Inde, Insulinde, sud de la Méditerranée...). Il lèse aussi ses propres citoyens, qui, faute de devises en quantité suffisante, sont empêchés d'importer des marchandises qui eussent très vite amélioré leur niveau de vie.
Au final, l'État chinois gagne sur deux tableaux :
• Il entretient la sous-évaluation de sa monnaie, le yuan renminbi, en faisant baisser artificiellement le prix de ses marchandises à l'exportation.
• Il prend un gage sur ses clients américains et européens grâce à ses créances sur les États ; difficile en effet de refuser quoi que ce soit à un créancier aussi important.
Ce « dumping monétaire » a été rendu possible par le fait que la population chinoise est empêchée de protester mais aussi grâce à l'aveuglement ou à la faiblesse des Occidentaux, qui ont permis à la Chine d'entrer en 2001 dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC) sans l'obliger à renoncer au contrôle des banques par l'État.
Il a bénéficié surtout de la complicité active des grands industriels et distributeurs occidentaux (Walmart, Carrefour, Leclerc...), désireux de maximiser leurs profits en achetant en Chine à des prix « chinois » et en revendant en Europe à des prix « européens ». C'est ce que rappelle avec force Jean-Michel Quatrepoint dans son dernier essai (Mourir pour le yuan ? François Bourin, 2011).
Mainmise de Pékin sur les dettes de l'Ouest
Par son racket sur le commerce de la Chine avec l'Occident, Pékin a pu geler plus de 2 000 milliards de dollars dès 2010, soit un montant proche du PIB de la France et équivalent aux 2/5 du PIB de la Chine).
Cet argent constitué par les devises non distribuées sur le marché des changes est recyclé de deux façons :
1) Pékin l'utilise pour acheter en Occident les infrastructures et les entreprises stratégiques ainsi que les technologies qui lui font défaut ; ainsi en va-t-il des infrastructures portuaires du Pirée ou encore de l'entreprise néerlandaise Daka (fibres optiques) en cours de négociation. La Commission de Bruxelles, si tatillonne par ailleurs sur les rachats d'entreprises, ferme les yeux sur ces distorsions de concurrence venant d'un État totalitaire.
2) Pékin, pour l'essentiel, achète des « bons du Trésor » américains ou des OAT (« obligations assimilables du Trésor ») européens. Ces mots abscons désignent la dette publique des États. Ainsi, l'État américain, ne collectant plus assez d'impôts pour payer ses fonctionnaires, fait appel au créancier chinois pour les payer à sa place.
De la même façon, aujourd'hui, en Grèce, au Portugal, en Espagne, les États, n'ayant plus les moyens de secourir leurs chômeurs, victimes entre autres de la concurrence de la Chine, font aussi appel à cette dernière... Le président chinois prête généreusement à ses homologues européens les euros que ces mêmes chômeurs lui ont procuré en achetant de la pacotille, des vêtements ou de l'électronique chinoises. La boucle est bouclée.
Notons qu'au début du processus, le gouvernement des États-Unis, englué dans les dépenses militaires, a d’abord vu d’un bon œil Pékin financer sa dette publique en achetant des bons du Trésor. Il a laissé faire, quitte à creuser son déficit commercial avec la Chine. Et le piège s’est refermé. Les exportations chinoises n’étant pas compensées par des importations équivalentes en valeur, le tissu industriel des États-Unis s’est effiloché au fil des années. Le phénomène s’est ensuite étendu à l’Europe.
Le déséquilibre monétaire a permis aux textiles chinois de s'imposer sur les marchés occidentaux au détriment des textiles en provenance d'autres pays émergents. Les succès chinois se doublent donc de fermetures d'usines en série en Afrique, à Maurice, en Turquie, en Inde... Le même déséquilibre frappe les biens technologiques à haute valeur ajoutée des Occidentaux eux-mêmes et bien sûr les équipements requis par l'Europe pour la « transition énergétique » (batteries et voitures électriques, éoliennes, panneaux photovoltaïques).
Nous attendons avec intérêt - et une pointe d'inquiétude - le moment où Pékin présentera la note (le remboursement de la dette) à une Europe et une Amérique désindustrialisées. Comme les Français en Tunisie à la fin du XIXe siècle, comme les Britanniques en Égypte ou en Chine même à la même époque, nous délègueront-ils des « conseillers » en charge de récupérer leur dû coûte que coûte? Ou aurons-nous une « guerre de l'opium » à l'envers ?
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Henri (07-04-2024 14:53:26)
Bonjour,
Je ne comprends pas bien cet article (certes je ne suis pas économiste).
Ce que vous qualifiez de dévaluation n'est il pas simplement une balance commerciale excédentaire ?
Vous écrivez en gros que les chinois exportent 50% de plus qu'ils n'importent du fait du gel des devises entrantes. Je ne comprends pas où est la dévaluation dans votre exemple. Ce n'est qu'un excédent, non ?