Mémoires de guerre

«César avec la plume de Cicéron»? Vite dit

Nous avons lu la version abrégée des Mémoires de guerre de Winston Churchill. Une lecture instructive sur la Seconde Guerre mondiale...

Mémoires de guerre

Cette édition des Mémoires de Guerre de Winston Churchill est un abrégé des 6 volumes des Mémoires de la Seconde Guerre Mondiale. Il n'avait encore jamais été traduit et édité en français jusqu'à sa publication par Tallandier en 2010 et 2011.

Ces 2 tomes d'environ 400 pages chacun suffisent pour prendre la mesure de ces chroniques de guerre certes puisées aux meilleures sources, qui portent sur l'ensemble des théâtres d'opérations de la Seconde Guerre mondiale mais sont loin d'égaler la qualité littéraire et le souffle épique des Mémoires de Guerre du général de Gaulle.

La méthode de travail de l'ancien Premier ministre anglais, qui confia l'exploitation de ses archives et la rédaction initiale du texte à un aréopage de ses anciens conseillers, avant de procéder à une réécriture finale au lit avec son whisky à portée de main, ne prêtait guère à l'élaboration d'une oeuvre maîtresse de la littérature mondiale.

Le jugement du Comité Nobel qui lui accorda son prix en 1953 (« César avec la plume de Cicéron ») apparaît doublement exagéré : Churchill n'est nullement un chef d'armées mais le dirigeant politique de l'un des principaux belligérants, et son style reste assez terne même si percent ici ou là les fameuses touches d'humour qui ont fait sa réputation, sans être aussi convaincantes que dans ses mémoires de jeunesse.

Toute la rédaction de ces mémoires est manifestement bridée par des considérations politiques contemporaines de leur publication, qui sont soulignées à l'envi par le commentateur dans les notes en bas de page et qui visent tantôt à ménager un allié comme le général Eisenhower récemment élu à la présidence des États-Unis, tantôt à éviter d'accabler un prédécesseur comme Neville Chamberlain ou un général que l'on décide abruptement de remplacer comme Auchinleck en Égypte.

À force de vouloir ne se fâcher avec personne dans une période où Churchill espère être réélu - et le sera quelques années plus tard, on n'évite ni la platitude dans la description des grandes controverses stratégiques qui opposèrent Anglais, Américains et Soviétiques, ni la fadeur dans les portraits des principaux personnages.

Seuls ceux qui ne peuvent plus nuire à l'auteur, comme le général Giraud, ont droit à un trait un tant soit peu acéré : «Il fallut 48 heures de palabres avec Eisenhower pour que ce brave Français fut ramené à un plus juste sens des proportions ; nous avions tous beaucoup trop compté sur "King-pin" (son nom de code qui signifiait "clef de voûte"), mais personne ne devait être plus détrompé que lui-même quant à l'influence qu'il exerçait sur les gouverneurs, sur les généraux, et en fait sur l'ensemble des Français d'Afrique du Nord».

Rien de comparable aux traits aussi brefs qu'éloquents dont le général de Gaulle accable ses contemporains dans ses portraits, comme celui du dernier président de la IIIe République Albert Lebrun : « Comme chef d'État, deux choses lui avaient manqué : qu'il fut un chef, qu'il y eut un État ».

Même la description des rencontres avec Staline a du mal à soutenir la comparaison. Churchill rappelle à juste titre des épisodes oubliés, comme le fait qu'après l'acceptation à Yalta de la nouvelle frontière germano-polonaise sur une ligne Oder-Neisse concernant la rivière Neisse orientale et non sa branche occidentale, l'Armée Rouge joua sur les mots et créa le fait accompli en profitant de la mort prématurée de Roosevelt, sans que son successeur Truman puisse revenir à la conférence de Potsdam sur cet écart de plusieurs millions d'allemands supplémentaires à déplacer.

Mais rien qui égale là aussi le portrait haut en couleurs de Staline, brossé par le général de Gaulle à l'occasion de leur rencontre fin 1944 à Moscou : «Communiste habillé en maréchal, dictateur tapi dans sa ruse, conquérant à l'air bonhomme, il s'appliquait à donner le change. Mais si âpre était sa passion qu'elle transparaissait souvent, non sans une sorte de charme ténébreux».

On ne peut à cet égard que s'étonner de la polémique qui a suivi l'inscription au programme du bac de français 2011, dans la section littéraire, du 3e et dernier tome des Mémoires de Guerre du général de Gaulle, au motif qu'il ne s'agirait pas à proprement parler d'une oeuvre littéraire ! Existe-t-il pourtant une chronique de guerre aussi somptueusement écrite que celle-là, avec des morceaux de bravoure comme «Malgré tout, je suis convaincu qu'en d'autres temps, le maréchal Pétain n'aurait pas consenti à revêtir la pourpre dans l'abandon national. Je suis sûr, en tout cas, qu'aussi longtemps qu'il fut lui-même, il eût repris la route de la guerre dès qu'il pût voir qu'il s'était trompé, que la victoire demeurait possible, que la France y aurait sa part. Mais, hélas ! les années par-dessous l'enveloppe, avaient rongé son caractère. L'âge le livrait aux manœuvres de gens habiles à se couvrir de sa majestueuse lassitude. La vieillesse est un naufrage. Pour que rien ne nous fût épargné, la vieillesse du maréchal Pétain allait s'identifier avec le naufrage de la France» ?

D'autres mémoires de guerre ont-ilsjamais mérité un jugement aussi ambivalent que celui d'un détracteur du Général de Gaulle qui cachait mal sa fascination : «Une chanson de Roland écrite par Roland lui-même, avec tout ce que cela comporte d'exagération et de déformation».

Michel Psellos.
Publié ou mis à jour le : 2020-05-09 11:37:09

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