Tandis que les États-Unis ont la même Constitution depuis plus de deux siècles, à peine amendée une dizaine de fois, la France a connu dans les deux derniers siècles deux ou trois révolutions sanglantes, cinq ou six régimes monarchiques, cinq républiques... et la situation présente fait craindre à tout le moins de nouvelles secousses institutionnelles.
L'actuelle Constitution qui remonte à 1958, a déjà été amendée une vingtaine de fois. Le général de Gaulle, qui l'a inspirée, était, comme la plupart des grands officiers de sa génération, royaliste de coeur et républicain de raison.
Il a voulu un Président de la République au-dessus des partis, légitimé par le suffrage universel comme les anciens rois l'étaient par la naissance et le sacre. Il s'est trompé en imaginant que tous ses successeurs à l'Élysée seraient des hommes exclusivement dévoués à l'intérêt national.
Plus gravement, il s'est aussi trompé sur l'équilibre des pouvoirs. On a présenté la Ve République comme un régime «semi-présidentiel» à mi-distance des régimes parlementaires de l'Europe atlantique et du régime «présidentiel» américain. L'actualité montre l'inanité de cette représentation :
- Aux États-Unis, le Président est en permanence en quête de compromis avec les parlementaires car il n'a aucune prise sur eux, y compris ceux de son propre parti, faute de pouvoir dissoudre la Chambre.
- En France, la politique du compromis n'a été pratiquée - avec un certain succès d'ailleurs - que pendant les deux dernières «cohabitations» entre un Président et un Premier ministre de camps opposés (1993-1995 : Mitterrand-Balladur ; 1997-2002 : Chirac-Jospin).
Pour éviter ce genre de situation qu'aurait désavouée de Gaulle (sans doute aurait-il démissionné plutôt que de se voir imposer un Premier ministre par l'assemblée), on a aligné la durée du mandat présidentiel sur celle de la législature (cinq ans) et l'on a fait en sorte que les élections législatives suivent immédiatement les présidentielles, de façon à garantir au président une majorité législative à sa main tout au long de son mandat. C'était tomber de Charybde en Scylla ou, pire, troquer un rhume pour une pneumonie.
Le Président était déjà doté d'immenses pouvoirs comme celui de nommer les dirigeants des grands corps de l'État avec simplement le contreseing du Premier ministre (plusieurs centaines de postes très convoités). Il est désormais assuré de ne pas rencontrer d'obstacle du côté de l'Assemblée nationale, laquelle est plus que jamais réduite au statut de «chambre d'enregistrement» (elle enregistre les lois voulues par l'exécutif sans se risquer à les contester).
Aucun contre-pouvoir n'est en état de s'opposer aux décisions présidentielles, si insensées soient-elles, comme de nommer un hurluberlu au Conseil d'État, démettre un préfet ou un policier sur un coup de tête, mobiliser le ban et l'arrière-ban de la Justice dans une querelle de cour d'école avec un ancien Premier ministre, octroyer des cadeaux fiscaux à qui lui plaît, engager des soldats dans une guerre lointaine sans en référer à quiconque, etc...
Devant cette avalanche de désordres, d'aucuns répondent : «le Président est l'élu de la Nation ; si le peuple n'est pas d'accord avec lui, il le lui fera savoir à la fin de son mandat en votant contre lui s'il se représente...»
Nous sommes là au coeur d'un malentendu sur la démocratie. Celle-ci, par-delà les apparences, n'est pas fondée sur le droit de vote. On vote dans tous les pays du monde, y compris en Corée du Nord, en Birmanie et en Arabie séoudite, sans que ces pays soient considérés comme démocratiques.
L'essence de la démocratie est dans un juste équilibre entre les pouvoirs : pouvoir exécutif (mettre en oeuvre les lois), pouvoir législatif (voter les lois), pouvoir judiciaire, également pouvoir médiatique...
Le régime idéal, décrit par Montesquieu et que les Américains et les Anglais ont les premiers tenté d'appliquer, ne fait pas expressément référence à l'élection du chef de l'exécutif. Celui-ci peut être un président élu aussi bien qu'un monarque héréditaire, pourvu que ses pouvoirs soient limités et encadrés comme il se doit.
D'où il ressort qu'à trop se focaliser sur l'élection présidentielle, la République française s'éloigne de ses bases démocratiques. À l'horizon se profile un recadrage des pouvoirs de chacun. Rien de tel, bien évidemment, aux États-Unis, où personne ne doute que les institutions encaisseront sans heurt une défaite du parti présidentiel aux élections de mi-mandat.
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