Alain Duhamel, chroniqueur politique chez Libération et RTL, s'est fendu d'un essai plein d'empathie sur le nouveau président de la République avec La marche consulaire (Plon, 259 pages, janvier 2009, 20 euros).
Alain Duhamel établit dans La marche consulaire un parallèle flatteur entre l'actuel président et, excusez du peu, le Premier Consul Napoléon Bonaparte.
Il dessine dans cet essai un portrait irénique de la France et de son héros, Nicolas Sarkozy, qui règle tous les problèmes dès lors qu'il s'y attelle en personne.
Venant d'un vieux routier de la politique, cette approche peut surprendre.
Il est vrai qu'Alain Duhamel, s'il disserte comme personne sur le microcosme parisien, pèche par sa méconnaissance du peuple français et de son rapport à l'Histoire, ce qui lui a valu par exemple de se tromper lourdement dans ses analyses du référendum sur le traité européen (29 mai 2005)...
En introduction de La marche consulaire, le chroniqueur annonce son intention de montrer que le «sarkozisme» est un bonapartisme au sens où l'entendait l'historien René Rémond, dans sa célèbre classification des trois droites. Il montre que l'actuel président a en commun avec le Premier Consul le goût du pouvoir personnel et maîtrise comme lui la communication...
De même que Bonaparte a transformé en épopée son désastre d'Égypte ou fait oublier le fiasco sanglant de Saint-Domingue, Nicolas Sarkozy a réussi à faire passer pour une réforme de grande envergure la table ronde pompeusement baptisée «Grenelle de l'Environnement», qui n'a débouché sur aucune initiative concrète mais seulement légitimé auprès des écologistes l'énergie nucléaire et la construction de nouvelles infrastructures lourdes (éoliennes, usines d'incinération, autoroutes, lignes TGV...).
Il a aussi réussi le tour de force de faire passer la défiscalisation des grosses successions («paquet fiscal» d'août 2007) pour une forme de valorisation du travail alors que c'en est tout le contraire, la fortune héritée s'opposant à l'argent gagné par soi-même !
Il présente même comme un succès son intervention dans le conflit d'août 2008 entre la Russie et la Géorgie alors que Moscou a pu réaliser tous ses objectifs de guerre et obtenu en prime de Nicolas Sarkozy un blanc-seing pour ses interventions à venir : «Il est parfaitement normal que la Russie veuille défendre ses intérêts ainsi que ceux des Russes en Russie et des russophones à l'extérieur de la Russie».
Sur la pratique du pouvoir, Alain Duhamel rapproche les manières brutales et quelque peu impulsives des deux hommes... Mais s'agit-il de la même chose ? On n'attend pas d'un général de 30 ans, le Premier Consul, qu'il se comporte comme doit se comporter un homme mûr de 50 ans passés, qui a grandi dans les ors de la République.
La nervosité et l'agitation sont l'expression naturelle de la jeunesse chez Bonaparte (30 ans en 1799) ; elles sont la traduction d'une immaturité et d'un manque de maîtrise de soi chez Sarkozy (52 ans en 2007). Plus sérieusement, on observe que la capacité à gouverner s'est maintenue intacte chez Napoléon Bonaparte jusqu'à sa chute, en 1814 ; elle s'est très sérieusement érodée chez Sarkozy dès la troisième année de son mandat.
En cette année 2009, il apparaît que le président ne maîtrise plus grand-chose, tant au Parlement que dans sa propre maison. À l'Élysée, il est devenu le jouet de ses conseillers, Claude Guéant en premier lieu, et comme on l'a constaté lors des réunions publiques, il lit des discours écrits par différents communicants de son équipe, incohérents les uns avec les autres et dont certains sont la redite à la virgule près de discours antérieurs.
Ses erreurs en public, lorsqu'il confond carbone et ozone, lorsqu'il rabâche des inepties sur des fillettes afghanes dont on aurait sectionné les doigts pour cause de vernis à ongle ou encore lorsqu'il confesse ne pas bien savoir si Al-Qaida relève du sunnisme ou du chiisme, témoignent de sa méconnaissance des dossiers, d'un manque de travail et d'une inculture manifeste. Autant de carences qui le fragilisent face à des conseillers mieux armés sur le plan intellectuel. Rien à voir avec un Premier Consul qui se permettait d'en remontrer aux rédacteurs du Code Civil.
Alain Duhamel dresse un portrait de son héros comme il voudrait qu'il soit. «Il est catholique», dit-il de Nicolas Sarkozy comme une vérité d'évidence, mais à quoi le voit-il ? Au fait qu'il l'ait dit ou écrit au hasard de ses adresses à la communauté des croyants ? Au fait qu'il se signe ostensiblement lors de cérémonies religieuses officielles ? Les mœurs, la pensée et l'action du président ne permettent que de lui prêter une foi catholique de façade («une messe n'a jamais fait de mal à personne», disait Pétain). Le reste de l'essai est à l'avenant : assertions sans fondements ni preuves.
Sans doute peut-on relever comme l'auteur quelques similitudes de façade entre le président et le Premier Consul : petite taille, poil brun, agitation nerveuse, père étranger... Nicolas et Napoléon se montrent aussi l'un et l'autre embarrassés à l'égard des femmes, à l'opposé de grands séducteurs tels Talleyrand ou Mitterrand. Mais ces similitudes se retrouvent chez des millions d'autres personnes et chez des hommes d'État inattendus (Hitler).
Sans penser un seul instant qu'il puisse y avoir une similitude d'objectif entre le Führer et l'hyperprésident, je me permets de noter qu'ils ont plus de points communs qu'avec Bonaparte. Ainsi l'un et l'autre, au contraire de Napoléon, ont été des élèves très médiocres et manifestent la même paresse congénitale tout en cultivant en public l'image de bourreaux de travail. Le Führer passait son temps à flâner avec sa maîtresse ou regarder des films ; le président de la République goûte les grasses matinées avec sa troisième femme, ne se lasse pas de la contempler en studio d'enregistrement et expédie les réunions de travail ainsi que les déplacements et voyages à l'étranger (Inde) sauf lorsqu'il peut prolonger ceux-ci par une escapade conjugale (Brésil, Mexique, Égypte).
Pour entretenir l'illusion et donner du Président une image flatteuse, l'essayiste se risque à d'énormes contresens. Ainsi sur son américanophilie. Sarkozy se sentirait plus proche d'Obama que de Bush, affirme-t-il ! Or, tout oppose les deux présidents, l'ancien travailleur social de Chicago et l'ami du showbiz qui cache mal sa détestation de la province et des provinciaux, de même que tout oppose Michelle Obama, avocate intelligente et décontractée qui s'habille en prêt-à-porter et tapote l'épaule de la reine d'Angleterre, et Carla Bruni, top-model qui s'habille chez Dior, singe Jackie Kennedy et fait une révérence professionnelle à la reine.
Plus que ça, Obama éprouve une répulsion quasi-physique pour son homologue français. On l'a constaté quand la Maison Blanche a adressé une lettre chaleureuse à... l'ex-président Jacques Chirac, sur lequel son successeur n'a de cesse de dauber. On l'a constaté aussi, non sans gêne, au G20 de Londres, quand Obama a ostensiblement refusé de serrer la main de Sarkozy.
Les observations ci-dessus montrent l'inanité du parallèle entre Napoléon et Nicolas. La comparaison des bilans effectifs quelques mois après leur prise de pouvoir est également révélatrice. Alain Duhamel commet un contresens historique majeur quand il compare la situation de la France en 1799 à celle de 2007.
Contrairement à son assertion, le pays n'attendait pas de Bonaparte une rupture mais une stabilisation au terme d'une longe période pleine de troubles mais aussi de promesses. Elle attendait de lui qu'il achève les réformes profondes engagées par la Convention et le Directoire (Code Civil, éducation, fiscalité, administration...) et bien sûr protège le pays de l'invasion étrangère. Bonaparte ne s'est pas présenté en homme de la rupture mais au contraire en continuateur («J'assume tout, de Clovis au Comité de Salut public», aurait-il déclaré en 1799).
Rien de tel avec Sarkozy. Bien que 20 ans plus vieux que son prédécesseur, il se comporte tel un adolescent qui croit que le monde et la France commencent avec lui ! Il voue aux gémonies son mentor Jacques Chirac, dans le gouvernement duquel il a pourtant œuvré pendant 5 ans ; il s'en prend à «Mai-68». Ce faisant, bien plus qu'à Bonaparte, il s'apparente à Charles X (1824-1830), qui défit l'action de son frère Louis XVIII et prétendit ramener ses sujets à la période bénie d'avant 1789.
Au lieu de guérir l'État français de ses maux endémiques (logorrhée législative et réglementaire, hypertrophie de la fiscalité, paralysie de l'administration, désertification du monde rural), Nicolas Sarkozy a aggravé ces maux en creusant la dette publique, en multipliant les taxes et simultanément les exemptions fiscales, en alourdissant l'administration centrale avec, au gouvernement et à l'Élysée, plus de ministres et de conseillers que jamais, en pratiquant des économies à courte vue comme la règle du non-remplacement d'un fonctionnaire à la retraite sur deux, qui avantage les administrations pléthoriques et mal gérées ainsi que l'a souligné l'ex-président de la cour des Comptes, Philippe Séguin.
On attendait une véritable rupture et des réformes audacieuses avec la fin des «usines à gaz» qui paralysent peu à peu l'État (35 heures, fiscalité, services centraux de l'Éducation nationale...). Au lieu de quoi le président a maintenu, voire consolidé ces «usines à gaz», en a créé de nouvelles («paquet fiscal», heures supplémentaires, loi Hadopi...) et, pire que tout, a réveillé des démons dont on n'avait pas besoin : séparation des Églises et de l'État, OTAN, Françafrique etc.
Le président n'a pas mieux réussi dans ses domaines de prédilection, l'immigration et la sécurité, qui retiennent toute l'attention de son électorat âgé. En matière d'immigration clandestine, ses régularisations au fil de l'eau, en-dehors de tout cadre réglementaire, dépassent par leur ampleur les opérations de régularisation de ses prédécesseurs.
Le retour de l'ordre dans les «territoires perdus de la République» (les quartiers ethniques) se fait attendre. La délinquance criminelle est en progression. Même l'insécurité routière et la tabagie dans les lieux publics regagnent du terrain après les vigoureuses campagnes de prévention orchestrées par Jacques Chirac.
Ces échecs-là, déjà patents à l'automne 2008, quand Alain Duhamel rédigeait son essai, ont manifestement échappé à sa perspicacité et l'essayiste s'en est tenu à l'interprétation que donne Nicolas Sarkozy lui-même de son action. Au fond, n'est-ce pas là le principal trait commun du Président avec Napoléon Bonaparte, si habile à gérer sa communication que les historiens, journalistes et autres chroniqueurs ont fini par ne plus voir son règne qu'à travers le Mémorial de Sainte-Hélène ?
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Aucune réaction disponible