6 décembre 2009

L'Histoire-géographie mise à mal

De Jacques Le Goff à Jean Tulard, les plus grands historiens français montent au créneau et dénoncent dans une pétition le projet de supprimer l'histoire-géo en terminale scientifique...

[Voir aussi nos éditoriaux : L'Histoire en seconde et L'histoire-géographie est-elle soluble dans les QCM ?]

Mise à jour : le 30 novembre 2012, Vincent Peillon, ministre de l'Éducation nationale dans le gouvernement de François Hollande, a annoncé le retour de l'Histoire-géographie en terminale dès 2014.

Une vingtaine d'historiens français parmi les plus connus ont signé ce samedi 5 décembre 2009 une pétition vigoureuse dans le Journal du Dimanche afin que soit maintenu l'enseignement de l'histoire et géographie en terminale scientifique.

Les signataires ont été rejoints par de nombreuses personnalités du monde artistique et politique, orientées tant à gauche qu'à droite. On peut retrouver leurs noms sur le site du Journal du Dimanche.

Voici le texte intégral de la pétition :

«La décision envisagée par M. le Ministre de l'Education nationale, dans le cadre de la réforme des lycées, de rendre optionnelle l'histoire-géographie en terminale scientifique ne peut que susciter la stupéfaction par son décalage avec les nécessités évidentes de la formation des jeunes Français au début du XXIe siècle.

A l'heure de la mondialisation, les futurs bacheliers scientifiques n'auraient donc nul besoin de se situer dans le monde d'aujourd'hui par l'étude de son processus d'élaboration au cours des dernières décennies, pas plus que par l'analyse de sa diversité et des problèmes qui se posent à la planète et à son devenir. En outre, ils se trouveront dans l'impossibilité d'accéder à certaines formations supérieures de haut niveau pour lesquelles la connaissance de l'histoire et celle de la géographie sont indispensables et vers lesquelles ils se dirigent en nombre croissant.

Au moment où le président de la République et son gouvernement jugent urgent de lancer un grand débat sur l'identité nationale qui doit mobiliser le pays, cette mesure va priver une partie de la jeunesse française des moyens de se faire de la question une opinion raisonnée grâce à une approche scientifique et critique, ouvrant ainsi la voie aux réactions épidermiques et aux jugements sommaires.

Il est impératif d'annuler cette décision, inspirée par un utilitarisme à courte vue, qui se trouve en contradiction avec les objectifs proclamés du système éducatif français sur le plan de la formation intellectuelle, de l'adaptation au monde contemporain et de la réflexion civique des futurs citoyens.»

Pétition des professeurs d'histoire-géographie (APHG)

Les enseignants n'ont pas attendu les historiens comme le montre cet appel du 29 novembre pour le maintien d’un enseignement obligatoire d’Histoire et de Géographie en Terminale scientifique :

L’Assemblée Générale de l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie (APHG), réunie le dimanche 29 novembre 2009 au Lycée Saint Louis à Paris.
· Condamne et rejette tout projet de réforme des Lycées aboutissant à la disparition de l’Histoire et de la Géographie dans les classes de Terminale scientifique
· Exige le maintien d’un enseignement obligatoire en Terminale scientifique (TS) débouchant sur une épreuve au Baccalauréat
Souligne combien l’Histoire et la Géographie éclairent fondamentalement les débats contemporains sur les identités, les cultures, les territoires et la mondialisation.
L’APHG invite toutes celles et tous ceux qui approuvent cet appel à le signer et à le faire signer.

Quelle place pour l'histoire-géo au lycée?

Rappelons qu'environ 136.000 lycéens passent un bac scientifique de la filière S. Ils représentent la moitié des effectifs des filières générales et le tiers de l'ensemble des filières. Ces lycéens bénéficient de 2h30 d'histoire-géographie en 1ère et en terminale avec des programmes concentrés sur la deuxième moitié du XXe siècle et une épreuve à l'écrit du baccalauréat.

Dans la réforme des lycées qu'il doit présenter jeudi 10 décembre au Parlement, le ministre de l'Éducation nationale Luc Chatel veut concentrer l'enseignement de l'histoire et géographie sur la classe de 1ère, avec 4h hebdomadaires (au lieu de 2h30) et une épreuve anticipée à la fin de l'année.

Suite à de premières protestations, il a concédé la possibilité d'un enseignement optionnel en terminale scientifique avec épreuve facultative au baccalauréat, pour les lycéens qui, dès l'entrée en terminale, seraient déterminés à poursuivre des études à Sciences-Po ou dans une école de commerce.

L'historien Benjamin Stora, dans Libération (mardi 8 décembre 2009), juge irréalisable de traiter dans la seule année de 1ère un programme d'histoire qui va de la révolution industrielle à notre époque ; il s'inquiète aussi du risque de voir la philosophie rétrogradée après l'histoire de la terminale à la 1ère, avec à terme le sacrifice de la culture générale au profit d'une vision strictement utilitaire de l'éducation et des rapports sociaux.

Il faut dire que l'histoire-géo a déjà été évacuée depuis plusieurs années des filières technologiques sans que personne s'en émeuve, sans doute parce que l'on attend moins des élèves de ces filières !...

Les promoteurs de l'actuelle réforme avancent deux arguments principaux :

- 1er argument : il n'y a plus de vrais scientifiques au lycée :

Le médiatique directeur de Sciences-Po Richard Descoings, à l'origine de la réforme, la justifie par la nécessité de rééquilibrer les filières générales (L, ES et S).

Au commencement, on a évacué toutes les matières scientifiques (maths et physique-chimie) de la série L, ce qui a eu pour effet de réduire les débouchés de la série et en a détourné les élèves les plus prometteurs. Par contrecoup, la terminale S est devenue de fait la voie royale pour toutes les formations élitistes, y compris littéraires, et son contenu scientifique s'est dilué au fil des ans.

Richard Descoings projette aujourd'hui de repousser le moment décisif de l'orientation de l'entrée en 1ère à l'entrée en terminale. Ainsi voudrait-il rapprocher le contenu des classes de 1ère S et L de façon à faciliter les passerelles de l'une à l'autre. On peut toutefois se demander si cette formule suffira à gommer le péché originel du lycée français.

Ne risque-t-elle pas de l'aggraver en élargissant le fossé entre les terminales généralistes ? Ne risque-t-elle pas aussi d'affecter le niveau culturel des futurs scientifiques et leur capacité à penser le monde ?

Il est remarquable que la plupart des lycéens souhaitent le maintien de l'histoire-géo en terminale, quand, à l'âge de 18 ans, ils sortent de l'adolescence, entrent dans la majorité civile et commencent à «s'intéresser à la politique».

Les 2h30 hebdomadaires sont alors une «respiration» bienvenue qui leur permet de garder un contact avec le monde concret ainsi que de libérer leur parole et de cultiver leur esprit critique ; atouts essentiels pour des jeunes gens appelés à occuper des postes de direction et d'encadrement.

Le billet de Favilla, dans Les Échos, le quotidien des cadres et des chefs d'entreprise, pointe très justement ce risque : «À l'heure de la mondialisation, comment commercer avec les nouvelles puissances d'Asie et d'Amérique sans connaître leurs traditions ? À l'heure de l'Union européenne, comment travailler avec ses voisins en ignorant leur histoire ? À l'heure des dangers identitaires et des intolérances religieuses, comment protéger notre culture des Lumières en méconnaissant notre héritage ? À ces questions, science et technique n'apportent aucune réponse (...). Il est à craindre que cette orientation sottement utilitariste ait de lourdes conséquences sur la capacité des générations futures à appréhender leur environnement » (Les Échos, 9 décembre 2009).

2e argument : nos lycéens sont saturés par trop de cours :

Le ministre Luc Chatel justifie quant à lui la suppression de l'histoire-géo mais aussi la réduction des heures de maths (!) en terminale S par le désir d'alléger le programme des élèves...

D'aucuns suspectent que la sollicitude ministérielle à l'égard des lycéens surchargés de cours soit en fait motivée par le souci de faire, là comme ailleurs, des économies budgétaires. Quelques milliers d'heures d'enseignement en moins, c'est au final quelques millions d'euros de dépenses en moins. Il n'y a pas de petites économies en période de rigueur, même si ces économies contredisent le discours officiel sur les vertus de l'Histoire et le renforcement de l'identité nationale.

André Larané
Cuisine et humanités

Les signataires de la pétition en faveur de l'enseignement de l'Histoire-géo s'en prennent à l'illisibilité de l'action gouvernementale.

D'un côté, le gouvernement français multiplie les économies de bouts de chandelle (quelques dizaines de millions d'euros ici et là) en mettant en péril des pans essentiels de l'identité nationale : enseignement des humanités, protection du patrimoine, musées, armatures de la France rurale (départements, tribunaux, hôpitaux...).

De l'autre, il lâche sur un claquement de doigts trois milliards d'euros avec la baisse de la TVA sur la restauration. Cette mesure représente pour les finances publiques un manque à gagner de 50 euros par Français et par an ; c'est l'équivalent du budget du ministère de la Culture ou du CNRS, ou encore du recrutement de 30.000 chercheurs scientifiques.

Rappelons que cette baisse de la TVA de 19,6% à 5,5% du chiffre d'affaires brut assure automatiquement une hausse du revenu net comprise entre 30 et 50% pour les patrons des cafés-restaurants, des restaurants orientaux ou chinois et même des grandes tables dont on ne louera jamais assez les vertus civiques, qu'il s'agisse des conditions de travail de leurs salariés ou de l'embauche de travailleurs réguliers !...

Publié ou mis à jour le : 2018-11-27 10:50:14
arlette1 (23-12-2009 15:02:50)

Je ne vois aucun problème à supprimer l'histoire en terminale et je disais souvent à mes élèves : on voit beaucoup de mathématiciens s'intéresser à l'histoire ou la philo, très rarement le contraire! et quand on sait que l'acquisition d'un langage doit se faire avant 20 ans, privilégions les maths on fera de l'histoire à la carte plus tard....comme je l'ai fait moi_même et je ne m'en plains pas, les cours d'histoire étaient "super barbants" . Il faudrait cesser avec cet esprit de clocher en france dans l'enseignement!!!

Respectez l'orthographe et la bienséance. Les commentaires sont affichés après validation mais n'engagent que leurs auteurs.

Actualités de l'Histoire
Revue de presse et anniversaires

Histoire & multimédia
vidéos, podcasts, animations

Galerie d'images
un régal pour les yeux

Rétrospectives
2005, 2008, 2011, 2015...

L'Antiquité classique
en 36 cartes animées

Frise des personnages
Une exclusivité Herodote.net