Modernité, source et destin (L'Harmattan, 2009, 230 pages, 22,50 euros) est un essai de Claude Fouquet, diplomate et historien, qui prête à réfléchir et offre matière à commentaires et discussions sur l'histoire et le temps présent !
Doué d'une immense érudition et d'une plume alerte, l'historien et essayiste Claude Fouquet bouscule ici les idées reçues sur l'Histoire et la démocratie.
L'auteur n'a pas son pareil pour exposer et expliquer en quelques paragraphes la philosophie de Hegel, Marx ou encore René Girard, en montrant les continuités et les discontinuités entre les uns et les autres.
Il ne craint pas non plus de bousculer des idoles, y compris le fondateur de la psychanalyse, Freud en personne, et le pape de l'économie, Keynes.
De quoi nourrir nos réflexions et nos discussions au coin du feu ou autour de la machine à café.
Claude Fouquet, ancien diplomate, s'est fait connaître avec un roman historique sur l'empereur romain Julien l'Apostat, aujourd'hui réédité chez L'Harmattan sous le titre : Julien, la mort du monde antique. Il est aussi l'auteur d'un essai décapant sur l'évolution de nos sociétés contemporaines, que nous avions déjà relevé : Délires et défaites.
Richard Fremder s'est entretenu avec lui sur sa vision de Julien, de l'empire romain et de notre Histoire : un entretien décapant.
Écouter (40 minutes) :
Rome n'est pas celle que l'on croit
Claude Fouquet renverse pour commencer un mythe bien enraciné dans nos esprits depuis la Renaissance, le mythe de la grandeur romaine !
En s'appuyant sur les travaux de l'historien Paul Veyne et sur ses proches recherches, il rappelle que la paix romaine n'a jamais été que relative et la gouvernance impériale si peu efficace qu'elle a entraîné une stagnation, voire une diminution de la population autour de la Méditerranée pendant le demi-millénaire durant lequel elle s'est exercée.
Campagnes dépeuplées, généralisation de l'esclavage, guerre permanente aux frontières, pouvoir arbitraire... Tel était l'Empire qui faisait rêver nos « philosophes » des Lumières et nos révolutionnaires.
L'archéologie révèle la mauvaise santé des sujets romains, à rebours de l'historiographie officielle qui tresse des louanges aux empereurs, en particulier ceux du IIe siècle, l'« Âge d'Or des Antonins ». L'auteur nous invite à réfléchir sur les conditions dans lesquelles écrivaient les chroniqueurs de l'époque. Que l'on s'appelle Ovide ou Sénèque, il ne faisait jamais bon côtoyer le trône et il valait mieux, pour survivre, se montrer dithyrambique à l'égard de son occupant.
Moyen Âge progressiste
Et l'auteur de mettre en exergue la faiblesse structurelle de l'empire : « Dès la fin du premier siècle, la société conquérante et esclavagiste s'épuise, faute d'une libre classe moyenne suscitant des entrepreneurs, inspirant l'innovation technique, l'investissement et la création de richesse » (page 33).
Paradoxalement, c'est sous le haut Moyen Âge, aux temps barbares, que sont forgés les outils du progrès à venir. L'Église médiévale fonde les premières écoles de village à l'issue du concile de Vaison (529), elle réhabilite l'écriture et le travail, prohibe l'endogamie et émancipe les femmes.
Les innovations se multiplient : étrier, collier d'épaule, gouvernail d'étambot, poudre, horloge mécanique, imprimerie... et, à la différence de ce qui se passe en Chine, trouvent un terreau favorable à leur diffusion.
C'est que la société médiévale, respectueuse du droit, offre aux entrepreneurs le cadre indispensable à leur activité. « Un entrepreneur ne prend pas le risque d'investir et de créer des richesses et des emplois, s'il n'est pas assuré de pouvoir jouir ensuite des fruits de son initiative et de son investissement. Pour cela, il faut que son droit de propriété soit efficacement protégé par un État de droit », rappelle Claude Fouquet (page 44).
Cet État de droit naît de la confrontation entre deux pouvoirs : le pouvoir séculier des souverains et des seigneurs, le pouvoir spirituel de l'Église. Les particuliers, paysans et bourgeois, jouent de cette rivalité pour grapiller des droits individuels.
Ainsi naît l'État moderne, dont les vertus tiennent davantage à l'existence de contre-pouvoirs actifs qu'au droit de vote. Il émerge officiellement avec la Grande Charte concédée par Jean sans Terre aux barons anglais en 1215. De ce texte, en bonne partie inspiré par le pape Innocent III comme le note Claude Fouquet, découle l'Habeas corpus de 1679, le fondement du droit anglais, qui interdit d'emprisonner quiconque sans jugement.
Échec des Lumières
Peu amène à l'égard de la Révolution française, Claude Fouquet met en avant la grandeur de la France sous l'Ancien Régime que l'on dit absolutiste.
Ainsi, au XVIIIe siècle, du fait de la qualité de ses institutions et de ses contre-pouvoirs, le pays est à l'avant-garde de l'Europe, voire du monde. Ses inventeurs et ses entrepreneurs multiplient les exploits. Tout cela sombrera avec la Terreur et l'échec de la monarchie constitutionnelle.
Autre chose : la gratuité de l'enseignement primaire, dont on rend grâce à Jules Ferry, existait déjà au Moyen Âge et sous l'Ancien Régime, l'Église ayant à coeur d'éduquer les garçons les plus prometteurs pour encadrer la société. Cette gratuité a disparu sous le 1er Empire puis est réapparue timidement à partir de la Restauration, avec François Guizot, puis Victor Duruy, enfin Jules Ferry, ce dernier ayant surtout à coeur de ruiner les congrégations religieuses.
Avenir en suspens
L'auteur évoque en conclusion de son ouvrage les enjeux contemporains, économiques et géopolitiques, et les soupèse à la lumière du passé.
Authentique libéral, il prône en matière d'éducation l'octroi d'un bon d'éducation aux parents de chaque enfant d'âge scolaire, à charge pour les parents de choisir un établissement d'enseignement approprié et de lui remettre le bon d'éducation (page 153).
S'agit-il de politique agricole ? Plutôt que des aides européennes distribuées pour moitié à 10% seulement des exploitants agricoles, il suggère de verser une allocation uniforme (2000 euros par mois) à tous les agriculteurs exploitant un minimum de 15 hectares.
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Philippe (11-11-2009 07:58:31)
Si l'empire romain ne m'est jamais apparu comme un univers paradisiaque, cependant je ne m'étais pas avisé qu'en matière d'urbanisme, d'art et de culture, de paix civile, de sécurité du droit, de santé publique, d'organisation administrative, de constructions d'infrastructures, etc... les mérovingiens et les carolingiens aient produit des réalisations plus brillantes que les siennes.
Peut-être, Monsieur Fouquet préfère-t-il la pratique de l'ordalie à celle du droit romain ?
Loin d'être « décapante », la survalorisation des périodes dites « barbares » est aujourd'hui très à la mode.