Le soldat du XXe-XXIe siècle

Servitude et grandeur militaires… aujourd’hui

Le soldat du XXe-XXIe siècle est un recueil de 24 communications sur le métier des armes dans la France d’aujourd’hui, établi sous la direction de François Lecointre, actuel chef d’état-major des armées.

Ce recueil a toute sa place sur notre site car les auteurs, civils ou militaires, dressent avec brio des comparaisons entre passé et présent. Ils mettent aussi en lumière les permanences du métier des armes de siècle en siècle...

Le soldat XXe-XXIe siècle (Folio Histoire 2018)Notons d’abord la grande absente de ce livre : la conscription. Plus de vingt ans après la disparition du service militaire obligatoire, l’armée est devenue une armée de métier et se pense comme telle, au service de la nation et d’enjeux géopolitiques aux contours parfois flous.

C’en est fini des guerres frontales contre un ennemi bien identifié. Les soldats sont maintenant appelés à intervenir dans des conflits dans lesquels la France n’a pas de responsabilité directe et n’est pas menacée, au Moyen-Orient ou en Afrique. Dans ces guerres asymétriques, ils sont amenés à combattre un ennemi quasi-invisible au milieu de populations partagées entre hostilité et indifférence.

Les auteurs du livre observent cette situation à la manière d’Alfred de Vigny, jeune officier dans l’armée plutôt paisible de la Restauration, nostalgique de la gloire de la Grande Armée napoléonienne (note).

Le culte de la bravoure

La première question qui surgit à la lumière de ces pages est celle du courage et du sacrifice.

Qu’est-ce qui conduit des jeunes gens à tutoyer la mort. Les réponses des auteurs convergent vers la même idée : plus que la défense de la patrie, c’est la camaraderie et la solidarité de la compagnie qui, dans les moments cruciaux, entraînent les soldats à prendre des risques dont ils ne se seraient jamais cru capables au repos !

« Le vrai courage ne se dicte pas plus qu'il ne se calcule », note le colonel Hervé Pierre. Il a aussi un effet d'entraînement sur le groupe. Au combat, il suffit de la détermination d'un seul pour enrayer un mouvement de panique. « La cohésion est, sinon l'unique, la source première des actes de courage. La mort se risque aussi pour des valeurs, mais la loyauté au groupe d'appartenance est un levier extrêmement puissant », note Hervé Pierre.

Le général Jean-René Bachelet rappelle que « s'il est une tradition dans l'héritage culturel de l'armée française, c'est bien le culte de la bravoure ». Cette bravoure est magnifiée moins à travers les victoires telles qu'Austerlitz qu'à travers les situations désespérées et héroïques.

Ce sont quatre-vingt chasseurs retranchés dans le marabout de Sidi-Brahim qui font face à cinq mille cavaliers conduits par l'émir Abd el-Kader du 23 au 26 septembre 1845. Seize seulement arriveront à rejoindre un poste ami, sous les ordres du caporal Lavayssière, tous les officiers ayant été tués.

Ce sont aussi les légionnaires du capitaine Danjou qui résistent à un ennemi incomparablement plus nombreux à Camerone, en 1863, au Mexique. Ce sont enfin les troupes de marine (ou marsouins) qui résistent aux Prussiens jusqu'à la dernière cartouche dans le village de Bazeilles, près de Sedan, les 31 août et 1er septembre 1870. Sidi-Brahim, Camerone, Bazeilles font encore l'objet de commémorations rituelles dans les troupes françaises.

Pour Jean-René Bachelet, ces faits d'armes signifient encore aujourd'hui qu'une action militaire ne peut faire l'économie d'un engagement total du soldat. « Imaginer qu'en certaines situations on puisse en faire l'économie, c'est vouer l'action militaire à l'échec, avec de surcroît l'humiliation et la honte.
Que l'on songe, par exemple, à l'abandon par les forces de l'ONU des enclaves de Zepa et Srbrenica en Bosnie à l'été 1995 : il eût suffi d'un capitaine résolu à la tête de soldats qui se comportent en soldats et il n'y aurait vraisemblablement pas eu ces massacres que l'on a pu qualifier de "dernier génocide du siècle" en Europe. (...)
Un objectif "zéro mort" qui l'emporterait sur tout autre condamne l'action militaire à l'inefficience et la frappe d'absurdité »
.

De Camerone, les légionnaires ont retenu une expression employée chaque fois qu'ils sont astreints à une corvée : « faire Camerone ». Elle fait référence au caractère impératif de la mission confiée, même la plus humble. « C'est aussi endurer un entraînement sévère, entretenir sa forme physique sans jamais tomber dans la facilité », explique le général Thierry Marchand. C'est un rappel de la discipline indispensable pour mener les hommes à l'action sans qu'ils aient à se poser de questions.

Obéir ou résister

Les auteurs abordent une question lancinante dans l'armée française depuis la défaite de 1940 et la guerre d'Algérie : jusqu'où va le devoir d'obéissance du soldat et de l'officier ?

Quand le gouvernement de Pétain a signé l'armistice le 22 juin 1940 et que l'on était encore incertain sur la capacité de l'Angleterre à résister seule face à Hitler, il fallait une sacrée dose d'inconscience pour abandonner sa famille et partir de l'autre côté de la Manche ou de la Méditerranée pour poursuivre le combat ! Le choix va se révéler plus aisé après le débarquement anglo-saxon en Afrique du Nord en novembre 1942, quand la défaite de l'Allemagne sera devenue inéluctable.

Plus difficile encore fut le cas de conscience des officiers impliqués dans la guerre d'Algérie. Le médecin Patrick Clervoy l'illustre à travers deux figures : André Zeller et Jacques Pâris de Bollardière. Ces deux officiers généraux ont suivi des chemins opposés et tous les deux en ont pâti.

Le premier, nommé chef d'état-major de l'armée en 1958 par le général de Gaulle, se retrouve trois ans plus tard dans les geôles de la République pour avoir rallié le putsch d'Alger par fidélité à la parole donnée. « Mes convictions, les engagements contractés dans mes anciennes fonctions, mes amitiés d'Algérie se conjuguaient pour m'interdire de rester inerte en face d'une crise qui concernait l'ensemble des Français », témoigne-t-il dans ses mémoires.

Le général de Bollardière craque quant à lui quand le général Jacques Massu lui enjoint de tout faire, y compris l'impensable (la torture) pour enrayer l'épidémie d'attentats à Alger.

« La notion de guerre juste était le fondement même de ma vocation », explique ce catholique fervent. Il demande donc en mars 1957 à être relevé de ses responsabilités et rentre en métropole où il apporte son soutien à son ex-lieutenant Jean-Jacques Servan-Schreiber, qui dénonce dans L'Express la guerre menée en Algérie. Cela lui vaut soixante jours d'arrêt.

Mais les militaires peuvent aussi peser sur les choix politiques pourvu que le destin leur en laisse le temps. C'est ce que démontre le colonel Michel Goya avec le cas du général de Lattre de Tassigny. Envoyé en Indochine avec les pleins pouvoirs en 1950, le « roi Jean » regonfle le moral des troupes par des opérations spectaculaires. Lui-même témoigne d'une abnégation surhumaine en accompagnant à Paris les cercueils de son fils unique et de deux compagnons tombés à ses côtés.

Las, un cancer fatal ne permettra pas à de Lattre d'aller jusqu'au bout de sa mission et la France échouera à créer un Vietnam unifié et démocratique.

La mort d'autrui

Dans une communication intitulée La tentation de l'hubris, le commandant Brice Erbland évoque le rêve d'invincibilité que les chefs de guerre tentent d'obtenir en « augmentant » le soldat.

Nos médias montrent à loisir les développements techniques autour de combattants harnachés comme des robots façon Madmax. Mais cette vision futuriste n'a rien de spécialement nouveau. Ainsi que le rappelle l'auteur, « le soldat a toujours été "augmenté", depuis les lances et les boucliers des hoplites grecs jusqu'aux chars d'assaut blindés et chasseurs bombardiers actuels, en passant par les lourdes armures des chevaliers de la fin du Moyen Âge. »

Brice Erbland craint qu'à trop protéger le soldat et le transformer en surhomme, on en vienne à lui faire perdre ses repères éthiques. Et de même qu'autrefois, à Azincourt ou Crécy, les chevaliers lourdement caparaçonnés ont fini par lâcher prise face aux archers gallois, le soldat-surhomme du futur risque de connaître le même sort face aux combattants des guerres urbaines, plus mobiles... et plus désespérés.

Le soldat du XXe-XXIe siècle expose de nombreux témoignages, y compris de soldats exposés au feu dans les combats de l'époque, en Afghanistan comme au Mali ou en Bosnie. Il met aussi en lumière les troubles psychiques qui peuvent frapper le soldat longtemps après sa retraite.

Loin d'épuiser toute la richesse de ce petit livre de 400 pages, retenons pour conclure cette remarque du médecin militaire Yann Andruétan : « Depuis le code d'Hammourabi en passant par les lois orales des derniers chasseurs-cueilleurs, le meurtre prémédité de sang-froid est réprimé. Il n'existe pas à ma connaissance de société permissive sur cette question. La traduction exacte du cinquième commandement "Tu ne tueras point" devrait être "Tu n'assassineras point". La distinction est fondamentale, car l'hébreu autorise une réserve que la version chrétienne ne permet pas. Cette réserve est la possibilité, quels que soient les interdits, de tuer dans certaines circonstances ». C'est une légitimation de la guerre quand il y a agression, avec l'obligation de rester dans un juste équilibre entre la haine et l'empathie.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2018-11-27 10:50:14
Desavoy (05-02-2018 18:16:05)

"La discipline étant la force principales des armées, il importe que tout supérieur obtienne de ses subordonnés l'obéissance immédiate et sans murmure".. . (partie du texte qui me fut dicté lo... Lire la suite

Boutté (05-02-2018 07:06:53)

L'obéissance indispensable et la soumission du militaire au politique sont nôtre marque européenne. Cependant le premier a un devoir d'éthique que le second ignore parfaitement. Alger que vous cit... Lire la suite

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