L’Invention de la nature

Les aventures d’Alexander von Humboldt

Mais comment a-t-on pu oublier Alexander von Humboldt ? Alors qu'il était désigné par ses contemporains comme l'homme le plus célèbre du monde (derrière Napoléon, tout de même !), il est tombé, après sa mort en 1859, presque totalement dans l'oubli, ne gardant la place qu'il mérite que dans les mémoires des scientifiques.

Peut-être victime de l'antigermanisme de l'époque, ce visionnaire survit pourtant encore aujourd'hui dans le regard que nous portons quotidiennement sur la nature, comme nous le démontre brillamment l'Invention de la nature (Les éditions Noir sur Blanc, 624 pages, 28 €, 2017), passionnante étude d'Andrea Wulf.

On peut aborder cet ouvrage comme une véritable thèse d'Histoire, forte d'un imposant dossier composé de notes, de références bibliographiques et d'un index fort utile, preuves de la richesse des recherches que l'auteur a effectuées.

Andrea Wulf a en effet couru les archives d'Europe et d'Amérique pour reconstituer avec la plus grande précision le parcours de Humboldt. Mais comment rester enfermé dans les bibliothèques si on veut cerner celui qui fut aussi un des plus grands explorateurs de son temps ?

De Berlin à Quito, de Paris aux sommets de l'Equateur, elle a mis ses pas dans ceux du scientifique dont la bougeotte n'avait de comparable que l'insatiable curiosité.

Ce n'est donc pas étonnant que l'on retrouve le souffle de l'aventure dans les pages de ce livre que l'on lit comme un véritable roman.

Le monde à explorer

Eh bien en route ! Courons après Humboldt pour essayer de comprendre comment ce fils de très bonne famille prussienne est parti un beau jour se perdre dans la forêt tropicale. On ne s'étonnera pas de découvrir dans ses lectures de jeunesse les récits de circumnavigation de Bougainville et Cook, et d'apprendre que l'un de ses premiers compagnons de voyage était George Forster, ce même naturaliste qui avait suivi Cook dans les eaux tropicales.

Avec de telles références, il était tout aussi logique qu'il fasse sien ce fameux esprit des Lumières qui poussait les intellectuels de l'époque à multiplier toutes sortes d'expériences pour mieux pénétrer les mystères du monde. C'est ainsi qu'on le retrouve, à peine remonté des profondeurs de quelque mine, à assister avec le poète Goethe à une petite dissection...

Pour une telle personnalité dévorée par la curiosité, l'Europe est beaucoup trop petite, il faut aller voir plus loin. Direction le soleil ! Avec le naturaliste rochelais Aimé Bonpland, il part rejoindre l'expédition scientifique de Bonaparte en Égypte mais le voyage étant quelque peu perturbé par des considérations politiques, tous deux se retrouvent sur les rives de l'Orénoque, au Venezuela.

C'est le paradis pour Humboldt qui, dévoré par la fièvre, la faim et les moustiques, se délecte à multiplier les relevés et prises de notes. Et tant qu'à visiter la région, autant traverser les Andes puis aller voir comment cela se passe en haut du volcan Chimborazo, à environ 6 000 mètres d'altitude. Après cet exploit, un petit détour à Washington pour aller dénoncer auprès de Jefferson l'horreur de l'esclavage, et voici nos explorateurs de retour en Europe après cinq années de périple, les valises pleines de 6 000 spécimens.

Vers une nouvelle conception de la nature

C'est un triomphe ! On se précipite pour rencontrer le savant et discuter avec lui de son projet de publier les 34 tomes de son Voyage aux régions équinoxiales du nouveau continent. Dès le premier volume, l'Essai sur la géographie des plantes (1805), c'est une nouvelle vision de la nature qu'il propose aux lecteurs, mettant en avant les relations jusqu'alors insoupçonnées entre la géographie, les plantes et les animaux.

Il va poursuivre cette révolution des esprits dans ses Tableaux de la nature où il insiste sur « l'action commune et harmonieuse des forces qui animent le monde », action qui va jusqu'à décider chaque matin de notre humeur suivant la couleur du ciel. Ce ne sont pas les Romantiques pour lesquels il était une source d'inspiration, qui allaient le contredire !

Mais ce sont surtout les sciences qui vont subir l'influence de Humboldt. C'est ainsi que Charles Darwin, qui avait emporté les œuvres de son maître sur le Beagle, lui est redevable de sa vision de la nature comme un réseau vivant, un système interactif où toute action a une conséquence. C'est cette idée qui guide également le « poète-naturaliste » Henry Thoreau mais aussi George Marsh et Ernst Haeckel, considérés tous trois comme les pères de l'écologie.

À la manière de ce visionnaire qui prédisait nos changements climatiques, ils considéraient la Terre comme un organisme vivant et donc fragile, qu'il fallait protéger. Cette idée toute simple, qui nous semble évidente aujourd'hui, ne l'était nullement à une époque où on cherchait au contraire à la dominer pour en tirer profit en multipliant mines, barrages et terrassements de toutes sortes.

Cette biographie de Humboldt, qui n'oublie pas de faire une large part à ses héritiers, est donc un document d'actualité à l'heure où le devenir de notre planète est plus que jamais en jeu. Si on peut le lire comme le récit des « aventures d'Alexander von Humboldt », comme le présente le sous-titre, on peut aussi en tirer des éclaircissements sur « l'invention de la nature », ce changement de perspective qui nous fait poser aujourd'hui un regard différent sur le monde qui nous entoure.

En associant anecdotes et analyses plus général, dans une langue toujours agréable, Andrea Wulf a réussi le pari de rendre plaisant l'explorateur taciturne tout en donnant accès à son œuvre dont l'influence est considérable.

Après la lecture de cet ouvrage, à juste titre lauréat de nombreux prix, il ne sera désormais plus possible d'oublier celui que le roi de Prusse avait qualifié de « plus grand homme depuis le déluge » !

Isabelle Grégor
Publié ou mis à jour le : 2020-05-09 11:37:09

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