Sapiens

Une brève histoire de l'humanité

Sapiens est un succès planétaire. Ce livre d'un historien israélien de 39 ans, Yuval Noah Harari, a même séduit aux États-Unis Mark Zuckerberg qui en a fait la promotion sur son réseau social Facebook.

Sapiens

L'ouvrage s'inscrit dans la lignée des essais phénomènes qui ambitionnent de reconsidérer l'Histoire de l'humanité à la lumière du présent (au contraire des livres d'Histoire habituels qui s'efforcent d'éclairer le présent à la lumière du passé). Il y eut dans ce registre L'homme, cet inconnu d'Alexis Carrel (1935) et plus près de nous Le matin des magiciens de Louis Pauwels et Jacques Bergier (1960).

Comme ses illustres prédécesseurs ci-dessus, l'auteur de Sapiens séduit ses contemporains parce qu'il est dans l'air du temps, quitte à être rejeté et honni plus tard. Il écrit avec limpidité, pratique un humour de bon aloi, ne se prend pas trop au sérieux et témoigne d'une grande curiosité pour les avancées scientifiques, notamment les recherches sur les robots anthropomorphiques.

Lui-même se présente comme végétarien et ne se prive pas de dénoncer dans son essai le mauvais sort fait aux animaux domestiques depuis les débuts du Néolithique. Homosexuel, il souligne que toutes les pratiques sexuelles se rencontrent dans le monde animal sans que cela affecte l'ordre naturel.

Et l'Histoire dans tout ça ?

Yuval Noah Harari traite l'Histoire ancienne dans les grandes largeurs sans craindre de bousculer les idées convenues. C'est ce qui fait sans doute le charme de son livre.

Ainsi raconte-t-il avec clarté et précision les origines de notre espère Homo Sapiens (Cro Magnon en Europe) tout en déchirant le voile qui entoure les récentes découvertes concernant le génome de l'homme de Neandertal : « Il est apparu que de 1% à 4% de l'ADN unique des populations modernes du Moyen-Orient et d'Europe est de l'ADN de Neandertal ». Et l'auteur de glisser : « Si la Théorie du métissage est exacte, il pourrait bien exister des différences génétiques entre Africains, Européens et Asiatiques qui remontent à des centaines de milliers d'années. C'est de la dynamite politique, qui peut donner des matériaux à des théories raciales explosives » (page 27).

On peut s'étonner que ces propos soient passés inaperçus des éminents laudateurs de l'ouvrage...

L'historien a bâti son essai autour de l'idée que l'espèce humaine s'est détachée des autres espèces animales quand elle a acquis le langage abstrait et la faculté de se raconter des histoires imaginaires. De là la capacité de l'homme à tisser des liens sociaux et inventer des formes inédites de coopération. « Un singe vert peut crier à ses congénères : "Attention, voilà un lion !", mais un humain moderne peut raconter à ses amis que, ce matin, près du coude de la rivière, il a vu un lion suivre un troupeau de bisons » (page 34).

Cette Révolution cognitive serait survenue avec l'arrivée de l'Homo Sapiens, il y a environ 70 000 ans. Elle aurait permis à ce dernier de conquérir le monde. Contrairement à ce que peuvent encore croire les disciples de Jean-Jacques Rousseau, les chasseurs-cueilleurs se sont révélés être de grands prédateurs, tout comme nous. Exemple : « Les Maoris, premiers colons Sapiens de la Nouvelle-Zélande, y arrivèrent voici 800 ans. En l'espace de deux siècles disparurent la majorité de la mégafaune locale en même temps que 60% des espèces d'oiseaux locales » (page 88).

Ces hommes du Paléolithique supérieur vivaient-ils au moins en paix ? On n'en sait rien. Reste que leurs conditions de vie étaient sans doute plus agréables que celles des premiers agriculteurs, astreints aux durs labeurs de la terre et condamnés à une nourriture monotone. « La Révolution agricole fut la plus grande escroquerie de l'histoire. Qui en fut responsable ? Ni les rois, ni les prêtres, ni les marchands. Les coupables furent une poignée d'espèces végétales, dont le blé, le riz et les pommes de terre. Ce sont ces plantes qui domestiquèrent l'Homo sapiens, plutôt que l'inverse » (page 104).

Pour ne rien arranger, ces communautés agricoles primitives furent clairement bellicistes, car la guerre était le seul recours en cas de disette. Et l'auteur de rappeler des enquêtes selon lesquelles la violence humaine était responsable de 15% des morts (25% des hommes). Mais l'agriculture autorisant malgré cela une progression régulière de la population, elle conduisait les hommes à intensifier constamment leurs productions, rendant tout retour en arrière impossible.

Se fiant à des recherches récentes, Yuval Noah Harari évoque l'hypothèse que la sédentarisation et son corollaire, la Révolution agricole, sont nées non pas d'une nécessité matérielle mais d'un impératif culturel ou spirituel ! « Il est fort possible que les chasseurs-cueilleurs soient passés de la cueillette du blé sauvage à la culture intensive du blé (...) pour soutenir la construction et l'activité d'un temple » (page 116).

Clairement athée et irréligieux, bien qu'enseignant à l'Université hébraïque de Jérusalem, l'historien démonte à sa manière rude et sans concession les idéologies et les religions de toutes sortes en les ramenant à une forme de récit imaginaire et subjectif. Il ne s'agit dans tous les cas que de conventions propres à structurer le groupe et de croyances capables de donner sens à l'action des individus. 

Cela vaut pour le code d'Hammourabi (« Oeil pour oeil, dent pour dent »), la Bible, la Déclaration d'Indépendance des États-Unis et la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, aussi bien que pour les statuts de la société anonyme PSA et le dollar, qui n'existent qu'aussi longtemps que chacun les reconnaît et les accepte.

L'auteur distingue ce qui relève de l'ordre naturel (la loi de gravitation par exemple) de ce qui relève de l'ordre imaginaire (les Droits de l'Homme). Il voit dans ces derniers une simple nécessité sociale :  « Nous savons bien que les hommes ne sont pas égaux biologiquement ! Mais si nous croyons que nous sommes tous foncièrement égaux, cela nous permettra de créer une société stable et prospère » (page 138).

C'est selon lui autour de semblables conventions (la monnaie, les religions, les empires) que se sont organisées les sociétés humaines. Les religions ne se limitent pas aux croyances en l'existence d'une entité transcendante (Dieu) ; elles incluent des croyances athées et qui ignorent le concept de vie éternelle (bouddhisme) et aussi bien des idéologies qui postulent le paradis sur terre (communisme) !

On le devine, on ne sort pas intact de la lecture de cet essai proprement décapant...

Mérite-t-il pour autant son sous-titre (Une brève histoire de l'humanité) ? Ce n'est pas certain car l'auteur s'appesantit, surtout dans la dernière partie, sur des sujets anecdotiques et néglige des phénomènes essentiels pour la compréhension du monde en devenir. Rien par exemple sur la démographie (7 enfants par femme au Niger, 1 à Taiwan). Rien sur les différences qui perdurent entre sociétés occidentales, moyen-orientales, asiatiques, africaines...

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2018-11-27 10:50:14

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