10 juin 2010

Allemagne : un président trouble-fête

La démission du président de la République allemande, Horst Köhler, le 31 mai 2010, est passée relativement inaperçue. En Allemagne, elle a fait l'effet d'un coup de tonnerre dans un ciel serein, alors que le pays célébrait la victoire de sa chanteuse, Lena Meyer-Landrut, à l'Eurovision...

Le président de la République allemande a des pouvoirs limités, essentiellement honorifiques, d'après la Loi fondamentale du pays (sa Constitution de 1949),. Comme en Italie, c'est une personnalité choisie pour sa stature morale, bénéficiant en général d'un consensus large.

Ce consensus, Horst Köhler (67 ans), directeur général du FMI de 2000 à 2004 et président depuis lors, l'a fait voler en éclats ! Il a expliqué dans une interview que, dans la mesure où les exportations tenaient un rôle essentiel dans l'économie allemande, l'armée allemande avait aussi vocation à intervenir pour assurer la liberté des routes commerciales et éviter que des régions ne basculent dans l'instabilité, ce qui ferait perdre des revenus et des emplois à l'Allemagne.

S'il est partout choquant d'entendre que des soldats vont se battre à l'autre bout du monde pour des contrats commerciaux, cette maladresse prend une autre dimension en Allemagne, en raison du rapport très particulier qu'entretient le pays avec son armée.

Une armée strictement défensive

La Reichswehr («force de défense du Reich»), armée de la République de Weimar,ayant été dissoute en 1935 et la Wehrmacht, qui lui a succédé, en 1945, les Alliés ont pris en charge la sécurité du pays.

Cependant, avec la guerre froide et le déploiement des troupes occidentales dans la guerre de Corée, les États-Unis émettent le souhait que l'Allemagne contribue à sa propre sécurité. Pour ce faire, il faut trouver un cadre juridique qui évite que l'armée exerce de nouveau une funeste influence sur la vie politique, comme sous la République de Weimar. D'où la proposition de créer une Communauté Européenne de Défense (CED) mais celle-ci est rejetée par la France en 1954.

Les Américains proposent alors de placer la future armée allemande sous le commandement de l'OTAN, ce qui est fait en 1955. Constituée avec soin, la nouvelle Bundeswehr est un des seuls corps allemands dont la dénazification soit réelle et profonde. Ses buts sont également encadrés avec soin. Strictement défensive, elle doit se contenter de garantir la paix. C'est ainsi qu'elle participe aux entraînements de l'OTAN mais n'intervient jamais dans les opérations actives de la guerre froide.

Tandis que s'apaisent les tensions entre l'Est et l'Ouest, la pression des autres pays se fait plus forte pour une implication de l'Allemagne dans les opérations internationales telles que la guerre du Golfe de 1991. Cette implication se limite d'abord à des activités logistiques ou humanitaires...

En 2004, enfin, est votée une loi définissant les modalités d'engagement des troupes allemandes, sous le contrôle étroit du Parlement. Mais la population demeure réticente envers toute intervention proprement militaire et le ministère doit en permanence la rassurer sur le contenu de ses interventions. Les bavures sont par exemple scrutées et jugées avec beaucoup plus d'attention qu'en France et l'armée doit chaque fois démontrer qu'elle n'a ouvert le feu qu'après avoir été attaquée.

C'est donc ce rêve d'une armée « humanitaire » qu'Horst Köhler a brisé, provoquant ainsi un scandale dont l'ampleur ne justifiait pourtant pas cette démission, que la plupart des journaux reprochent au président, car elle affaiblit et ternit une fonction jusque là épargnée par les scandales. Sans doute n'est-ce pas le seul motif de sa décision - l'homme était, semble-t-il, mal à l'aise dans cette fonction - mais il n'est pas anodin que ce soit cette question, et non une autre, qui ait provoqué cette crise institutionnelle.

Aujourd'hui, trois candidats se sont fait connaître pour l'élection par un collège composé des députés du Bundestag et de représentants des Länder, qui se tiendra le 30 juin 2010 : Lukrezia Jochimsen, pour le parti d'extrême-gauche « Die Linke », qui n'a aucune chance d'être élue, Christian Wulff, ministre-président du Land de Basse-Saxe choisi par Angela Merkel et la coalition au pouvoir, et Joachim Gauck, ancien pasteur de RDA, qui a lutté contre le communisme et présidé les archives de la Stasi.

Choisi par le SPD (gauche) et les Verts, ce dernier séduit nombre d'électeurs de la coalition majoritaire et correspond a priori mieux aux exigences de la fonction, très morale et protocolaire, que Christian Wulff, homme politique « traditionnel ». Les négociations seront intenses durant les prochaines semaines...

Yves Chenal
Publié ou mis à jour le : 2021-02-04 12:22:27

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