30 janvier 2011

Afrique : les chemins de la démocratie

Révolution en Tunisie, émeutes en Égypte, scrutin embrouillé en Côte d'Ivoire, naissance d'un nouvel État au Sud-Soudan...
Nous nous proposons d'éclairer ces événements et d'en imaginer les issues les plus probables à la lumière de l'Histoire et des dossiers d'Herodote.net.

L'Afrique bouge. Nul ne s'est soucié de célébrer l'an dernier le cinquantenaire des indépendances de la moitié de l'Afrique subsaharienne, car le bilan de ces premières décennies n'inclinait guère aux congratulations.

Les élections organisées en octobre 2010 en Côte d'Ivoire par le président Gbagbo n'offraient pas de motif de réconfort.

Dans le même temps, l'organisation d'un référendum d'autodétermination au sud du Soudan a laissé de marbre les commentateurs bien qu'il s'agisse de la première remise en cause officielle des frontières héritées de la colonisation.

Et voilà que l'Histoire s'est mise à avancer là où l'on ne l'attendait pas, dans la Tunisie réputée paisible et stable. Cette révolution démocratique est la première dans le monde arabe et même dans l'ensemble des pays à majorité musulmane.

Il n'est pas étonnant qu'elle ait donné des idées aux Égyptiens mais rien ne dit que la démocratie avance sur les bords du Nil comme en Tunisie.

Tunisie : une démocratisation à l'occidentale ?

Quelles que fussent les craintes des gouvernants occidentaux et arabes, nous ne pouvons que nous réjouir de la Révolution tunisienne et de son déroulement.

Le gouvernement provisoire a déjà dû consentir au renvoi des principaux représentants de l'ancien régime et, si la pression des manifestants se maintient, il devra anticiper les prochaines élections, au moins au niveau municipal, de façon à renouveler au plus vite la classe politique.

Une subversion par les intégristes religieux apparaît improbable ; grâce en soit rendue à la politique éducative et laïque engagée après l'indépendance par Habib Bourguiba.

Les événements actuels peuvent s'expliquer (a posteriori) par le développement humain de la Tunisie, tel qu'il apparaît dans les statistiques. Le pays est à certains égards (fécondité, espérance de vie) plus proche de l'Europe que la Turquie islamo-nationaliste d'Erdogan. Il est par ailleurs nettement plus avancé que l'Égypte.

Développement humain comparé

 
population (m° d'hab, 2009)

revenu par habitant (dollars)

nombre d'enfants par femme

espérance de vie
 
% d'adultes alphabétisés
  
sources : Ramsès/Ined/World Factbook

 France 
62

32800

1,88
 
82
 
99
 

 Tunisie
10

7200
 
1,84
 
74
 
78

Égypte
83

4900
 
2,82

70
 
71
 

Turquie
75

11600

2,1
 
71
 
87
 
Égypte : vers un coup d'État militaire...

L'Égypte, bien que tournée vers l'Orient, se rapproche à certains égards de la Tunisie, avec la même pratique de la langue arabe et une Histoire qui a parfois battu au même rythme. Ainsi la dynastie fatimide de Kairouan (Tunisie) s'est-elle implantée en Égypte au Xe siècle.

- le poids de l'islam :

Mais l'Égypte contemporaine se distingue de la Tunisie par le niveau de développement humain comme le montre le tableau ci-dessus (fécondité, espérance de vie, alphabétisation). Elle s'en distingue aussi par le poids de la religion. De son riche passé préislamique, l'Égypte conserve une importante minorité chrétienne de rite copte (environ un dixième de la population), dont la langue liturgique est proche de celle des pharaons.

D'autre part, la vallée du Nil a vu apparaître en 1928 le premier mouvement intégriste islamique. Il s'agit des Frères musulmans. Malgré la répression qu'il a eu à subir de la part du raïs Nasser dans les années 1960, il demeure extrêmement influent et c'est sans doute à lui que l'on doit les pogroms et massacres dont ont été victimes les chrétiens l'an passé.

- une prospérité illusoire :

Plus important que tout, l'économie égyptienne, en dépit de statistiques flatteuses, repose sur du sable : les revenus du pétrole de la mer Rouge, les péages du canal de Suez, les transferts des expatriés et le tourisme, alors que l'économie de la Tunisie (et de la Turquie) repose sur le tourisme mais aussi et surtout sur l'industrie et l'agriculture, seules vraies sources de richesses.

Aussi les émeutes qui ont éclaté à Suez à la mi-janvier 2011 ont-elles peu à voir avec la Révolution tunisienne qui les a inspirées.

Menées par la fraction éduquée de la jeunesse, elles ont débouché sur des violences dans les grandes villes du pays et au Caire, sans pour autant rallier les masses populaires. Les médias annoncent quelques dizaines de milliers de manifestants dans tout le pays... ce qui serait considéré comme un fiasco s'il s'agissait de manifestations syndicales en France !

Ces manifestations sont dirigées contre l'autocrate Hosni Moubarak (82 ans), lequel est au pouvoir depuis l'assassinat de Sadate, il y a 30 ans, soit plus longtemps encore que le Tunisien Ben Ali. Comme ce dernier, il a bénéficié jusqu'en janvier 2011 du soutien indéfectible des dirigeants occidentaux et arabes, qui ont vu en son régime musclé un rempart contre l'islamisme.

- sorties illusoires :

Le chef de l'État a tenté de dissiper la crainte que son fils ne lui succède un jour en désignant comme vice-président et successeur potentiel son chef des services secrets Omar Suleiman, un ancien militaire de... 74 ans.

Dans un pays dont la moitié de la population a moins de 20 ans, ce n'est certainement pas ce genre d'initiative qui va ramener la sérénité, pas plus que la mise en avant par les Occidentaux d'un fonctionnaire international de 68 ans, Mohamed El Baradei, comme alternative à Moubarak. Ne comptons pas davantage sur le président de la Ligue arabe, Amr Moussa (75 ans), si populaire soit-il.

Pendant ce temps, du fait de l'absence sans doute préméditée des forces de l'ordre, des émeutiers multiplient les désordres avec le concours de prisonniers évadés et même menacent les collections du musée archéologique du Caire (ce qui donne à penser sur le bien-fondé d'une éventuelle restitution des trésors pharaoniques aujourd'hui à l'abri dans les musées européens).

- la solution militaire :

Tout cela laisse présager l'éviction de l'actuel chef de l'État au profit non de la démocratie mais d'un pouvoir militaire. Ce serait la réédition du coup d'État qui a chassé le roi en 1952 et porté au pouvoir Nasser.

Cette éventualité d'un retour à l'ordre sous les chenilles des chars rassurerait les Occidentaux, les monarchies de la péninsule arabe et Israël en renvoyant les Frères musulmans dans les caves. Elle offrirait aussi un répit à la minorité copte, menacée d'éradication, tant il semble que les dictatures soient les seuls régimes, dans les pays arabes, à même de protéger les minorités chrétiennes. C'est le cas dans la Syrie d'Assad père et fils comme ce le fut dans l'Irak de Saddam Hussein.

Côte d'Ivoire : une scission de fait

Dix ans après la scission de la Côte d'Ivoire et à l'issue d'élections présidentielles contestées, les habitants de ce pays autrefois prospère craignent le retour de la guerre civile.

La genèse du drame remonte au discours de François Mitterrand à La Baule en 1990, à l'adresse des chefs d'État africains liés à la France. Il les somma d'introduire chez eux la démocratie représentative sous peine de leur couper les vivres. Ses interlocuteurs s'inclinèrent mais n'en pensèrent pas moins. Et les premières élections se traduisirent par des clivages sur la base non des programmes électoraux mais des appartenances claniques.

C'est ainsi qu'en Côte d'Ivoire s'ouvre la fracture entre le Nord, savane pauvre avec un peuplement musulman, et le Sud forestier, voué à la culture du cacao et du café, principales sources de richesses du pays, avec un peuplement essentiellement chrétien. Le Nord se donne pour leader un ancien fonctionnaire international du FMI, Alassane Ouattara, qui fut également le Premier ministre du premier président du pays, Félix Houphouët-Boigny.

Peu porté à la bagarre, Ouattara s'allie en 1999 à un redoutable chef de guerre, un catholique originaire du Nord, Guillaume Soro. Ses troupes soustraient le Nord du pays à l'autorité du gouvernement d'Abidjan. En 2010, sous la pression de la «communauté internationale», le président Gbagbo se résout à remettre en jeu son poste. Trop confiant en sa réélection, il néglige la campagne et se fait battre par son adversaire, mais refuse le verdict des urnes.

Cloîtré dans un hôtel d'Abidjan, sous la protection des forces de l'ONU, Ouattara laisse filer le temps en se consolant avec le soutien on ne peut plus malhabile des gouvernements étrangers dont celui de l'ancienne puissance coloniale, la France. Ainsi le président Nicolas Sarkozy somme-t-il le président Gbagbo de laisser sa place avant tel jour de janvier 2011. L'ultimatum étant resté sans suite, la diplomatie française en sort dévaluée.

Gbagbo, qui bénéficie de l'appui des habitants d'Abidjan et de la riche région cacaoyère, est en mesure de défier la communauté internationale et l'on imagine mal que celle-ci autorise un corps expéditionnaire panafricain, sous direction nigériane, à établir de force le président légal. Ainsi la Côte d'Ivoire semble-t-elle vouée à une partition durable.

Soudan : vers la refonte de la carte du continent ?

La partition est aussi ce qui menace maints autres pays africains, divisés entre un Nord musulman et un Sud chrétien. C'est le cas du Nigeria, qui a déjà connu en 1967 une cruelle guerre de sécession, mais aussi du Tchad et surtout du Soudan.

Ce pays de 40 millions d'habitants, le plus vaste du continent (2,5 millions de km2), couvre le bassin amont du Nil. Dominé par les Nordistes musulmans et arabes, il a pâti pendant 22 ans, jusqu'en 2005, d'une guerre entre ces derniers et leurs concitoyens chrétiens et noirs du Sud. Après quoi, les Nordistes se sont retournés contre leurs coreligionnaires noirs du Darfour, ce qui a valu au président Omar el-Béchir une condamnation par contumace pour crime contre l'humanité.

Sans précédent concernant un chef d'État en exercice, la condamnation est demeurée sans effet. Toutefois, sous la pression américaine, le président el-Béchir a consenti à accorder au Sud le droit à l'autodétermination. Le référendum s'est achevé ce dimanche 30 janvier 2011 sur la victoire écrasante du oui à l'indépendance du Sud-Soudan.

La naissance du nouvel État devrait intervenir dans les prochains mois. Doit-on s'en réjouir ? Sans doute dans la mesure où elle met les habitants à l'abri de l'armée de Khartoum. Mais l'enclavement du pays et la présence d'importants gisements pétroliers risquent de devenir de graves sources de tensions et de problèmes. Il est douteux que ce pays s'en sorte mieux que ses voisins, le Tchad ou la République centrafricaine.

D'autre part, l'indépendance du Sud-Soudan met fin à l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation, qui a été voulue par les dirigeants africains eux-mêmes afin d'éviter des revendications territoriales à n'en plus finir. Il est impossible de savoir ce qu'il en adviendra. Va-t-on assister à des réajustements homéopathiques ou, au contraire, à de nouvelles sécessions, plus ou moins brutales, au Tchad, au Nigeria, au Congo etc ? L'Afrique et les Africains y trouveront-ils leur compte ? L'avenir le dira.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2020-05-09 11:37:09
Pierre Billaud (31-01-2011 16:07:31)

Bonjour et merci pour vos articles toujours intéressants et stimulants. A propos des frontières africaines issues de la colonisation, ne peut-on pas considérer que c'est l'indépendance de l'Eryth... Lire la suite

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