Le vin

«Un chant plein de lumière et de fraternité»

Guido Reni, Bacchus buvant, 1623, Dresde, AllemagneLe vin est une civilisation à lui seul. On le retrouve dans tous les mythes occidentaux et même au cœur de la foi chrétienne, dans le rituel de l’eucharistie. Plus ancien que la plus ancienne de nos civilisations, Il est associé à l’amour, à la vie et au plaisir. Il joue aussi avec la mort et le péché.

Toujours jeune, toujours renouvelé, le vin conquiert aujourd’hui la planète en dépit de sa stigmatisation, ici et là, pour des motifs prétendûment religieux, et aussi des risques sanitaires liés à l'abus d'alcool.

Le voilà en Chine et au Chili, loin de son berceau caucasien. Avec huit millions d’hectares de vigne et une production annuelle de 250 millions d’hectolitres (environ trois litres par personne et par an), il est devenu un élément clé du commerce mondial.

Des origines antédiluviennes

Il n'y a pas moins de 140 millions d'années que la vigne est présente sur Terre, sous forme de baies sauvages. L'homme l'aurait domestiquée en Géorgie, sur les pentes ensoleillées du Caucase au VIe millénaire av. J.-C., puis en Mésopotamie où le vin est appelé « bière de montagne ». Par la route des caravanes, la vigne gagne même la Chine au IIIe millénaire avant notre ère.

C’est par tâtonnements qu’est découverte la vinification et cette technique n’en finit pas d’évoluer au gré des goûts et des terroirs.

Rare et apprécié, le vin voyage à travers tout le Moyen-Orient dans de grandes jarres en terre cuite pouvant mesurer trois mètres de haut, comme en font foi des tablettes mésopotamiennes en caractères cunéiformes vers 3000 av. J-C. Il atteint l'Égypte où, très vite, la production locale s'organise avec la technique de la pergola (la vigne s’accroche à des claies en roseaux). Les Égyptiens attribuent à leur cher dieu Osiris l’invention du vin.

Scène de vendanges, tombe de Nakht, XIVe s. av. J.-C., Thèbes, Égypte

Bien plus tard, c’est à Dionysos, un dieu d’origine orientale, venu de Phrygie, que les Grecs attribueront la révélation de la vigne et du vin. Fils de Zeus et Sémélé, ce dieu errant au caractère jovial mais imprévisible se doit de ne pas être contrarié…

Les Grecs se réunissent le soir, après souper, autour de quelques bonnes amphores et de quelques assiettes d’olives pour se distraire et refaire le monde. Ces « assemblées de buveurs » (en grec, « symposion ») ont inspiré au philosophe Platon une bonne partie de son œuvre et le titre même de l’une d’elles : le Banquet.

Les Hébreux ne sont pas moins sensibles à l’attrait de la vigne et du vin, sans en ignorer les inconvénients comme le rappelle, dans la Bible, le triste épisode de Noé et de ses trois fils Sem, Japhet et Cham, après le retrait des eaux du Déluge...

Amphore en céramique à figures rouges, attribuée à Euphronios, Grèce, vers 515-510 av. J.-C., musée du Louvre, Paris

À la conquête de l’Occident

Bacchus représenté sous la forme d'une grappe de raisin, fresque de Pompéi, Ier siècle ap. J.-C. La vigne, quand elle se répand autour de la Méditerranée à l’initiative des Grecs, donne une boisson modérément alcoolisée, épaisse et liquoreuse, aromatisée aux épices et aux herbes, parfois additionnée de résine de pin pour mieux supporter la chaleur. Elle doit être coupée d’eau avant d’être consommée.

Les Gaulois découvrent le vin au VIe siècle av. J.-C. par l’intermédiaire des colons phocéens installés à Massalia (Marseille) et c’est par cargaisons entières qu’ils l’achètent à leurs voisins romains. Les archéologues évaluent à une centaine de millions le nombre d’amphores qu’ils auraient ainsi importées avant la conquête de la Gaule par Jules César.

De consommateurs, les Gaulois ne tardent pas à devenir également producteurs. L’un de leurs premiers vignobles, le « biturisca » de la tribu des Bituriges Vivisques, est à l’origine de la réputation viticole de Burdigala (Bordeaux) et nous aurait aussi donné le mot « biture », synonyme d'ivresse ! Les Gaulois sont aussi à l’origine de l’invention du tonneau en chêne cerclé de fer. Il est d’abord réservé au transport de la bière. Au IIIe siècle de notre ère, il va partout remplacer les amphores pour le transport et la conservation du vin.

Les Romains, habiles techniciens, améliorent les techniques viticoles. Ils introduisent la greffe et, dès le 1er siècle av. J.-C., les bouteilles en verre et les bouchons en liège. La production des amphores explose pour pouvoir suivre la demande d'amateurs qui, comme cet avocat du Ier s. av. J.-C., en possédait 50 000 dans sa cave !

Le christianisme reprend la tradition œnophile des anciennes religions et de la Bible hébraïque. Le premier miracle accompli par le Christ, selon l’évangile de Jean, se rapporte au vin. C’est la transformation de l’eau en vin aux noces de Cana. Les références à la vigne sont par ailleurs multiples dans le Nouveau Testament, comme dans l’Ancien, y compris dans la bouche du Christ : « Je suis le vrai cep et mon Père est le vigneron [...] Vous êtes les sarments » (Jean, 15).

Enfin, avec la Cène, le dernier repas du Christ et de ses disciples réunis, le vin acquiert une dimension sacrée puisqu'il est assimilé au sang de celui qui va être crucifié (« Ceci est mon sang… »). Il entre ainsi dans le rituel de l'eucharistie.

Au VIIe siècle, le prophète de l’islam lui-même se montre tempéré, voire équivoque, à l’égard du vin et de sa consommation. Originaire d’un pays désertique et dépourvu de vignes, Mahomet a pu néanmoins connaître celles-ci par ses voyages en qualité de marchand caravanier. Il a aussi connu le vin, objet d’un commerce important dans tout le Moyen-Orient, y compris en Arabie.

Le Coran, exprimé par sa bouche, réprouve l’ivresse : « 43. N'approchez pas de la prière alors que vous êtes ivres ou impurs... » (sourate IV, Les femmes). Il qualifie dans une autre sourate le vin d’« œuvre du diable » mais il en fait aussi l’un des délices réservés aux croyants qui entreront au paradis : « Il y aura là des ruisseaux d’un vin délicieux à boire ».

Le grand mérite des moines

Moine goûtant son vin, enluminure du Li livres dou santé, par Aldobrandino da Siena, XIIIe s., British Library, LondresAu début du Moyen Âge, les monastères deviennent les principaux promoteurs de la viticulture, pour le service de la messe et le bien-être des moines.

Les vignobles accompagnent l’évangélisation de l’Europe et s'étendent jusqu'aux latitudes les plus extrêmes, en Angleterre et au sud de la Scandinavie.

En Bourgogne, sur les bords de la Saône, à quelques kilomètres de l'abbaye-mère de Cîteaux, les moines cisterciens font du petit vignoble du clos Vougeot un laboratoire de recherche viticole et le plus célèbre « cru » (du verbe croître) bourguignon.

Pour l'eucharistie, le clergé adopte, à partir du XIIIe siècle, le vin blanc : il faut en effet éviter les taches trop visibles sur le linge liturgique.

Au XIIe siècle, avec les débuts de l’urbanisation et l’avènement d’une élite bourgeoise et aristocratique, le vin devient aussi un enjeu commercial majeur. En 1241, en récompense de leur fidélité aux Plantagenêt, les vignerons bordelais reçoivent du roi d'Angleterre le privilège de vendre leur vin outre-Manche. 

- La Taille de la vigne avec les armes de Jean du Mas, seigneur de l’Isle-Adam, conseiller et chambellan de Louis XI, dans Barthélémy l’Anglais, Le Livre des propriétés des choses, 1480, BnF, Paris Les souverains et les princes portent grande attention à la qualité de leurs cépages. Ainsi le duc de Bourgogne Philippe le Hardi interdit-il en 1395 le cépage gamay et n'autorise-t-il que le pinot noir sur ses terres. Par la même occasion, il interdit l'emploi de fientes dans les vignes.

Ces normes de qualité vont faire des vins de Bourgogne, sous la Renaissance, les « meilleurs vins de la chrétienté ».

Le XVIIe siècle est le siècle des innovations. On redécouvre des techniques ébauchées par les Romains, avec la bouteille de verre épais, la généralisation du bouchon en liège et l'utilisation du soufre pour assainir les barriques. Il voit aussi l’émergence du champagne sous l'impulsion du légendaire Dom Pérignon, qui devient à 29 ans, en 1668, procureur de l'abbaye d'Hautvillers, entre Épernay et Reims.

Il va patiemment, à force d'attention et de rigueur, élever la qualité de ses vins mais sans jamais produire une goutte de mousseux.

C'est seulement au XVIIIe siècle, à la cour de Versailles, que le champagne se boira sous forme de vin pétillant et non plus « tranquille ».

Le champagne va connaître un essor international, en particulier à la cour du tsar, grâce à Nicole-Barbe Ponsardin, veuve en 1805 du négociant François Clicquot. Elle va multiplier par vingt le chiffre d'affaires de son entreprise.

Le monde sous le charme

Au XVIIIe siècle, en France, les superficies vouées à la vigne doublent jusqu'à atteindre 1 600 000 hectares à la veille de la Révolution, soit le double d'aujourd'hui. 

La Révolution, en redistribuant les terres des monastères, fragmente les exploitations et contribue à asseoir le pouvoir des négociants qui vont se tourner vers l'étranger.

Dans les classes populaires, le vin, au demeurant assez peu alcoolisé, devient source de calories plus encore que de plaisir. Les travailleurs de force, dans les champs, les chantiers et les mines, en consomment jusqu’à trois litres par jour. Le savant Louis Pasteur pourra formuler cette forte sentence : « Le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons ». Ce sera avant la grande crise de surproduction du Languedoc, qui va déboucher sur la révolte de Marcellin Albert.

L'Alcool, voilà l'ennemi, tableau mural, XIXe s., Ecomusée de la Communauté Urbaine Le Creusot Montceau-Les-Mines

À la fin du XIXe siècle et au début du suivant, le vin semble en péril avec la multiplication des campagnes contre l'alcoolisme. Mais c'est aussi à cette époque que sa production se mondialise. Les États-Unis, le Canada, le Chili et l’Argentine, l'Afrique du Sud ou encore l'Australie deviennent à leur tour des producteurs de vins de qualité qui concurrencent l'hégémonie européenne.

L'Europe devra s'appuyer sur ses terroirs et mettre en avant la qualité pour maintenir une tradition millénaire et continuer à donner raison à notre bon roi Henri IV qui proclama avec gourmandise que « Bonne cuisine et bon vin, c'est le paradis sur terre ! »


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Cuisine et alimentation
Publié ou mis à jour le : 2021-08-04 14:06:53
Bonne-maman (22-04-2020 15:27:24)

Merci de remettre en ligne certains anciens articles non lus par les lecteurs récents !
Très intéressant, je fais suivre ...

Gómez (08-02-2013 08:09:58)

Mes félicitations¡¡¡cet article est très éclairant pour moi

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