Même si certains ont encore du mal à l’admettre, il faut définitivement renoncer à la quête illusoire d’un Abraham historique.
Certes, aujourd’hui comme hier, ce personnage continue de fasciner car il est une figure de référence, tant pour le judaïsme que pour le christianisme et l’islam : avant même l’alliance du Sinaï conclue avec Moïse, Dieu s’est engagé sans contrepartie avec Abraham, suscitant la foi du patriarche et, partant, celle de tous ses descendants.
Trois lieux sont liés à cette grande figure : Ur en Chaldée, Harrân en Haute-Mésopotamie et Hébron dans le sud de la Palestine.
L’expérience d’Abraham est d’abord celle d’un voyageur, d’un pèlerin, dont la Genèse (11,27-32) nous dit que la famille, après avoir résidé à Ur, dans le sud de la Mésopotamie, est allée s’établir à Harrân, en Turquie du sud-est, avant qu’elle ne reprenne la route, sur ordre de Dieu, pour se rendre vers le pays de Canaan, la « Terre promise ».
C’est donc un vaste territoire, en réalité l’ensemble ce que l’on appelle aujourd’hui le « Croissant fertile », qui sert de décor à cette histoire.
Jusque dans les années 1960, la majorité des biblistes et des historiens du Proche-Orient ancien mettaient ces pérégrinations et l’arrivée en Canaan de la tribu d’Abraham (et donc des premiers ancêtres d’Israël) en rapport avec les grands mouvements de population attestés par les sources mésopotamiennes, ceux des Amorrites, datés du début du IIe millénaire av. J.-C. (âge du Bronze moyen).
La saga des patriarches
Pour beaucoup de ces savants, comme l’Américain William F. Albright ou le Français Roland de Vaux, la saga des patriarches paraissait d’autant plus historiquement vraisemblable que la vie pastorale des patriarches de la Bible ressemblait à celle des Bédouins du Proche-Orient, telle qu’elle se déroulait encore sous leurs yeux.
De plus, des références claires à de grands sites mésopotamiens comme Ur ou Harrân semblaient correspondre aux premiers résultats des fouilles entreprises à partir du début du XXe siècle. Ainsi a-t-on longtemps pu croire que les découvertes archéologiques allaient confirmer l’existence historique des patriarches, inscrite dans une authentique réalité historique.
Au cours du dernier demi-siècle, ces espoirs ont été définitivement déçus, au fur et à mesure que progressaient en revanche les recherches permettant de mieux interpréter et comprendre le récit biblique et son contexte : il y a donc eu d’abord la remise en cause de l’âge du Bronze moyen comme cadre historique possible des traditions abrahamiques ; les spécialistes de l’étude de la Bible se montrent réservés désormais sur l’existence même d’une « époque patriarcale » en général et n’admettent plus guère que l’ère des patriarches doive à tout prix être considérée comme la phase première d’une histoire séquentielle d’Israël à inscrire dans un cadre historique précis.
Abraham, l’ancêtre des exilés
D’autre part, le contexte dans lequel ont été mises par écrit les traditions bibliques relatives à Abraham a été mieux compris. Il existe désormais un consensus pour affirmer que c’est pendant l’exil à Babylone (587-538 av. J.-C.) qu’ont commencé à être fixés les récits sur Abraham et le don de la Terre promise (le peuple d’Israël, à ce moment-là, ne possédait plus de terre), mais aussi les récits sur Moïse.
La mention de l’origine « chaldéenne » d’Abraham (Genèse 11,31) est un indice du caractère tardif de la fixation de ce récit, car les Chaldéens ne sont pas historiquement attestés avant le IXe siècle av. J.-C. Installé dans le sud de la Mésopotamie (région des très anciennes et prestigieuses cités sumériennes d’Uruk, de Larsa, de Nippur ou d’Ur), ce groupe de population a fini par devenir suffisamment puissant pour s’emparer du trône de Babylone. C’est donc une Babylonie devenue « chaldéenne » que les Judéens ont découverte lorsqu’ils sont arrivés en exil.
Dès lors, le lien entre Abraham et la ville « d’Ur des Chaldéens » serait une élaboration des exilés judéens au moment de rentrer chez eux. En créant le mythe d’une migration légendaire depuis Ur jusqu’en Canaan, en passant par la Syrie du nord, sans doute cherchaient-ils à s’assurer une légitimité, d’autant plus nécessaire pour eux que ceux restés au pays prétendaient être les seuls à pouvoir se réclamer de la descendance d’Abraham, en excluant les exilés (Ézéchiel 33,24). Il convenait donc de ne pas se laisser rejeter et de revendiquer aussi Abraham comme ancêtre.
Dans un besoin de redéfinition de leur propre identité et de valorisation de leur condition d’émigrés, les Judéens de retour d’exil ont ainsi prétendu détenir le secret des origines babyloniennes d’Abraham, faisant de lui l’ancêtre des exilés revenus de Babylonie en Juda.
Jérusalem, Foi et Histoire
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Bernard (24-12-2017 06:28:38)
L'historicité du personnage était depuis longtemps remise en cause. Reste l'aventure métaphysique qui ne peut être réduite à une anecdote. Quant au "modèle de charité laissé par le Christ", ... Lire la suite
Eliasz Pierrre (18-12-2013 09:55:39)
L` inspiration de la Bible devient toujours plus relative; heureusement le modéle de charité laissé par le Christ reste bien vivant ainsi que l`" humanisme " en religion reste requis... Lire la suite