Cataclysmes

Une Histoire environnementale de l'humanité

Spécialiste de l'histoire globale, Laurent Testot publie Cataclysmes, une histoire environnementale de l'humanité (Payot, 2017, 22,50 euros). Une véritable Histoire du Monde, synthétique et érudite...

<em>Cataclysmes</em>

Sous le titre Cataclysmes, une histoire environnementale de l'humanité, le journaliste Laurent Testot brasse l'histoire de l'humanité depuis ses origines.

Il souligne les liens étroits entre le climat et notre destinée et met l'accent sur le poids des contraintes environnementales. Il détaille aussi les contacts entre les différentes civilisations et leurs conséquences heureuses ou malheureuses. Cette démarche l'éloigne de la tentation trop fréquente de placer l'Europe et l'Occident au cœur de l'Histoire.

Du Paléolithique, nous avons par exemple retenu la façon dont les hommes, grâce à leur technique et à leur capacité à chasser en groupe, ont éliminé les populations de grands herbivores sur toutes les terres qu'ils ont colonisées. Cette prédation à grande échelle a conduit à la désertification de l'Australie car les forêts de ce continent ont flambé sitôt qu'elles ont cessé d'être débroussaillées et entretenues par les troupeaux de grands herbivores (note).

Pour souligner mieux encore l'interpénétration entre la Nature et l'homme, Laurent Testot évoque le « pacte du blé » : cette céréale connaît toutes les espèces d'incessantes mutations génétiques ; l'une d'elles, très rare à l'état naturel, empêche la graine de se détacher de l'épi et de s'enfouir dans le sol en attendant la germination. Il y a 13 000 ans, quand ils ont commencé de collecter les graines et de les semer autour de leurs demeures, les hommes du Moyen-Orient ont, sans y faire attention, privilégié ces graines mutantes qui avaient la particularité de rester accrochées à leur épi en attendant d'être cueillies et enfin semées. C'est comme cela qu'un pacte tacite a permis aux hommes de se nourrir de ces graines et à celles-ci de se multiplier au détriment des autres. Bienvenue dans le Néolithique !

L'agriculture autorise des densités humaines cent fois supérieures aux sociétés de chasseurs-cueilleurs. Elle se base d'abord sur la culture des céréales (blé, orge et seigle au Proche-Orient, riz en Chine, maïs en Amérique centrale) et la découverte concomitante de la poterie qui permet de cuire les farines et de les rendre digestes. En Amérique centrale, on apprend aussi très tôt à cultiver des tubercules (manioc, patate douce)... 

Mais avec des conséquences malvenues : « La Révolution agricole est basée sur le stockage de réserves alimentaires, la constitution de richesse. Ce qui attise la convoitise des voisins. Les traces de violences deviennent de plus en plus fréquentes. Des fortifications sont présentes il y 8000 ans... ». Qui plus est, note Laurent Testot, les populations agricoles, astreintes à un travail répétitif et sensibles aux aléas climatiques, voient leur état général décliner par rapport aux chasseurs-cueilleurs (taille, maladies...). Il faudra attendre l'époque moderne pour qu'elles prennent enfin l'avantage.

Tout cela est raconté de façon parfaitement intelligible. Une gageure au crédit de Laurent Testot qui survole avec aisance les siècles, les techniques et les cultures.

Après l'invention de l'écriture, « s'ensuivent quelques siècles d'anarchie, lors desquels émergent de grandes religions universalistes. Elles instaurent un nouvel idéal : ne pas nuire à autrui. Revers de la médaille : la nature sera chose soumise à Singe [ainsi Laurent Testot qualifie-t-il l'humanité] ». Cinq cents ans avant notre ère, ces religions universalistes culminent dans un choc idéologique qui se prolonge aujourd'hui entre monothéismes, polythéismes, hindouisme, bouddhisme etc. Les unes promettent la vie éternelle, les autres la réincarnation ou le nirvana... Dans le même temps apparaissent les monnaies métalliques et les empires universels (Perse). C'est aussi le début des grands courants d'échanges comme la Route de la Soie. Ce moment a été justement qualifié d'« âge axial » par le philosophe Karl Jaspers, une qualification que Laurent Testot reprend à son compte. 

Quoi qu'il en soit, l'humanité demeure étroitement dépendante de son environnement, des changements climatiques comme des virus et des bacilles. C'est un réchauffement du climat qui a favorisé le passage au Néolithique et à l'agriculture ; c'est aussi un « Optimum climatique » qui a accompagné le « beau Moyen Âge » européen (XIe-XIIIe siècles) mais aussi la belle dynastie Song en Chine et l'expansion démographique des cultivateurs bantous en Afrique.

Ce réchauffement ténu (sans commune mesure avec celui qui nous subissons) a été suivi d'un « Petit Âge glaciaire » et d'un retour des famines. Les Européens de la façade atlantique et de la mer du Nord ont réagi en développant la pêche hauturière, profitant de ce que le refroidissement de l'hémisphère Nord avait aussi fait descendre morues et harengs de l'Arctique vers l'Atlantique. 

Devenus des marins émérites, les Européens ont pu découvrir l'Amérique par les Européens. S'ils ont alors subjugué et soumis les nombreuses populations du Nouveau Monde (environ quatre-vingt millions à l'arrivée de Colomb), c'est que celles-ci ont été très brutalement décimées par le « choc microbien » provoquée par la variole, involontairement importée par les nouveaux-venus. En guise de revanche, les Amérindiens leur transmettront la syphilis. Celle-ci ne sera maîtrisée qu'au XXe siècle.

Notons que la forêt « vierge » d'Amazonie n'est sans doute en fait que le résultat de la disparition de ses habitants : « Aujourd'hui, les archéologues qui fouillent l'immense bassin amazonien (...) ne peuvent donner un coup de pioche sans exhumer trace d'un village. (...) les Amérindiens disparus ont été les meilleurs composteurs de la terre »

Histoires humaines

Le livre est truffé d'anecdotes piquantes comme le récit de la « Noche triste » qui voit l'affrontement décisif entre les Espagnols et les Aztèques.

Nous avons savouré aussi l'histoire plus savante du jeune Georges Cuvier (27 ans) : en 1796, à partir de dents d'éléphants fossiles, il démontre pour la première fois que des espèces animales ont pu naître et disparaître. C'en est fini de la croyance selon laquelle le monde et ses habitants ont été créés une bonne fois pour toutes par Dieu.

Parmi les individus plus ou moins méconnus qui ont marqué l'histoire de leur empreinte, signalons ces aventuriers britanniques qui ont au XIXe siècle subtilisé ici des théiers, là des arbres à quinine, pour en développer la culture sur les terres de leur souverain... Signalons aussi ce négociant chinois qui a dérobé aux Philippines des plants de patate douce et permis à la Chine d'en développer la culture.

Convenons avec Laurent Testot que la première mondialisation, inaugurée par les Portugais et les Espagnols au XVe siècle, n'a pas eu que des effets ravageurs ! L'arbre à quinine, dont les vertus auraient été identifiées en Amazonie par des jésuites, a ainsi permis de combattre efficacement le paludisme, une maladie pluri-millénaire qui frappe les habitants des régions marécageuses. Les populations d'Europe, d'Afrique et d'Asie ont d'autre part réussi à mieux se nourrir grâce à des plantes venues d'Amérique : respectivement la pomme de terre, le manioc et la patate douce, sans parler du maïs, une céréale proprement miraculeuse qui donne une centaine de grains par épi, avec un rendement aussi élevé que le riz.

L'auteur note aussi que les désastres consécutifs au Petit Âge glaciaire, au XVIIe siècle, ont parfois pu être maîtrisés. Ainsi, au Japon, le gouvernement militaire des Tokugawa a fait reculer les famines par des mesures strictes : baisse des impôts sur la paysannerie, interdiction de planter du tabac ou de divertir du riz pour produire de l'alcool etc.

Dans le même sens, si l'économie de marché a pu s'épanouir en Angleterre et en Occident au XVIIIe siècle, c'est grâce à la régulation par les États, conformément aux vues du théoricien du libéralisme Adam Smith« l'économie de marché n'est possible que si la confiance cimente les échanges. Smith défend que l'État doit intervenir dans la vie économique pour garantir cette confiance... » Avec ce constat : « Le capitalisme balbutiant du XVIIIe siècle est profondément protectionniste ».

Élans brisés

Sans prétendre refaire l'Histoire, l'auteur de Cataclysmes montre que la Chine des Song, il y a mille ans, témoignait déjà de grandes avancées techniques et économiques, avec notamment l'apparition d'une première industrie sidérurgique au nord de l'empire. Mais l'irruption soudaine de barbares venus de la steppe a brisé net cet élan.

Peu avant, l'empire arabo-persan de Bagdad bénéficiait d'une accumulation de savoirs qu'il n'a pas eu le temps de mettre à profit. Cette fois, ce sont les Turcs et les Mongols qui l'ont réduite à néant. Atterrés par le désastre, les ulémas, protecteurs de la foi musulmane, ont dès lors choisi le repli sur les fondamentaux et coupé court à toute pensée critique (ijtihad).

Même phénomène avec la civilisation gréco-romaine, à laquelle le savoir-faire technique et le potentiel scientifique laissaient augurer un bel avenir. Celui-ci a été brisé par les invasions, elles-mêmes liées à une malheureuse vague de froid dans la steppe sibérienne, qui a poussé les nomades à chercher refuge dans les empires de la périphérie (Rome et Chine).

C'est finalement la civilisation issue de la chrétienté médiévale qui a remporté le morceau. Les historiens n'en finissent pas de s'interroger aujourd'hui sur les origines de ce « miracle ». Mais tous s'accordent avec Laurent Testot sur ses effets ravageurs aux Temps modernes sous l'effet d'un capitalisme déchaîné : colonisation et développement de l'économie de plantation, destruction des ressources naturelles.

Faute d'en avoir tiré les enseignements, nous sommes aujourd'hui entrés dans le « Temps de la démesure ». Il est illustré par les deux visages du chimiste allemand Fritz Haber (1868-1934) : il a réussi en 1909 à fixer l'azote de l'air pour fabriquer de l'ammoniac et produire en grande quantité des engrais azotés de synthèse, grâce à quoi l'humanité a pu accroître ses productions agricoles et échapper aux famines ; mais quelques années plus tard, il a aussi mis son génie au service de la guerre moderne en inventant l'ypérite et les gaz de combat. Avec pour récompense un Prix Nobel de chimie en 1919.  

Cataclysmes est à notre connaissance le premier livre en langue française qui raconte l'Histoire mondiale de façon synthétique. Limpide et érudit, également palpitant, il se lit comme un roman et renouvelle avec pertinence notre vision du monde passé, présent et futur. À mettre entre toutes les mains.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2022-07-01 15:31:46

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