5 mai 2013

Syrie : une nouvelle guerre d'Espagne ?

La guerre civile qui frappe la Syrie depuis deux ans présente des analogies évidentes avec celle qui a meurtri l'Espagne entre 1936 et 1939. Ces analogies nous éclairent sur la tragédie et nous amènent à réfléchir sur ses possibles retombées internationales.

Un régime autoritaire, socialiste et laïc

Il y a un demi-siècle, la Syrie est passée sous la coupe du parti Baas (Renaissance en arabe), un parti nationaliste arabe, social, laïc et autoritaire. Il s'est très vite érigé en champion de la guerre contre Israël et en allié de l'Union soviétique.

Avec la prise de pouvoir du général Hafez el-Assad, en 1970, le parti est tombé entre les mains de la puissante minorité alaouite, une communauté proche des chiites et en conflit larvé avec la majorité sunnite.

En 2000, la mort d'Hafez el-Assad et l'arrivée à la tête de l'État de son fils Bachar el-Assad, médecin ouvert à la culture occidentale, ont fait espérer une évolution démocratique du régime baasiste. Ces espoirs ont été brisés par la rébellion d'avril 2011 et la répression qui s'en est suivie.

Illusions démocratiques

Quant le « printemps arabe » a éclos en Tunisie, en janvier 2011, dans une effervescence joyeuse, chacun a espéré qu'il déboucherait sur le triomphe de la démocratie façon occidentale. Très vite, au contraire, après que les dictatures de Tunisie et Égypte ont été abattues par les soulèvements populaires, on a vu les islamistes se rapprocher du pouvoir et aussitôt contester les acquis laïques de plusieurs décennies. D'ores et déjà, le dramatique recul de la condition féminine démontre leur influence grandissante.

Pour le gouvernement syrien et les minorités religieuses qu'il prétend représenter, la prise de pouvoir par les islamistes est apparue inacceptable, à la fois parce qu'elle remet en cause ces avancées laïques et parce qu'elle fait craindre une mainmise de l'islam sunnite sur les consciences, avec à terme une extermination physique des minorités.

De fait, dès les premières manifestations antigouvernementales, les militaires ont réagi sans ménagement, n'hésitant pas à bombarder leurs propres villes.

La plupart des observateurs occidentaux, peu au fait de l'« Orient compliqué » (de Gaulle), ont cru que le régime baasiste ne résisterait pas longtemps à la rébellion populaire. Mais deux ans après, il tient encore ferme et sa résistance fragilise les pays voisins.

Alliances improbables

C'est ici qu'intervient l'analogie avec la guerre d'Espagne. Celle-ci a éclaté en juillet 1936 à la suite d'un « pronunciamento » comme l'Espagne en a connu beaucoup au cours de son Histoire.

- Espagne, 1936 :

Une fraction de l'armée se soulève contre le gouvernement républicain en raison de ses références appuyées au régime soviétique. Les rebelles bénéficient du soutien de la bourgeoisie mais aussi des croyants, révulsés par les violences à l'égard du clergé catholique.

Si le conflit s'envenime, c'est que les deux camps reçoivent de puissants soutiens de l'étranger :

• Les rebelles obtiennent une aide massive de Hitler et Mussolini cependant que les républicains font appel à Staline et aux Occidentaux. Le premier vend chèrement son aide militaire. Les seconds se tiennent en réserve, en concédant seulement une aide clandestine à l'armée loyaliste.

• Des volontaires de tous pays se précipitent en Espagne. Ils constituent des Brigades internationales au service du gouvernement républicain mais celles-ci se divisent entre trotskystes, anarchistes et staliniens et en viennent à se combattre. Les motivations louables de beaucoup de volontaires sont dévoyées par les agents staliniens, davantage soucieux d'éliminer leurs concurrents que d'affronter les franquistes. 

- Syrie, 2011 :

La situation apparaît similaire... mais inversée de la précédente, avec Assad et l'armée régulière dans le rôle de Franco et des « nationalistes » ; les rebelles de l'Armée syrienne libre (ASL) dans le rôle des républicains.

• Les premiers obtiennent l'aide de leurs alliés traditionnels : la Russie, héritière de l'Union soviétique, et l'Iran chiite, sans parler du Hezbollah, le parti chiite libanais.

• Les seconds font appel aux démocraties occidentales, lesquelles se gardent bien d'intervenir militairement et prononcent même un embargo officiel sur les armes.

Plus réactifs sont les pays sunnites qui encouragent partout dans le monde les activistes islamistes : l'Arabie séoudite, principal pourvoyeur de fonds des salafistes, et « notre ami » le Quatar, qui soutient généreusement les Frères musulmans. C'est ainsi que la rébellion syrienne se trouve noyautée par les factions islamistes comme le camp républicain espagnol l'était par les partis marxistes (staliniens et trotskistes). 

La Syrie comme l'Espagne

La guerre d'Espagne a fait 400 000 morts en un peu moins de trois ans (et autant par la suite, du fait de la répression franquiste).  Au bout de deux ans, le bilan de la guerre de Syrie est, quant à lui, de « seulement » 80 000 morts pour une population à peine inférieure (Espagne : 25 millions d'habitants en 1931 ; Syrie : 20 millions d'habitants en 2011).

En dépit de ces différences statistiques, l'analogie entre l'Espagne et la Syrie paraît limpide, avec les mouvances islamistes dans le rôle des Brigades internationales ; l'Iran et la Russie dans le rôle des Italiens et des Allemands.

Les Russes, indéfectibles soutiens du régime baasiste depuis un demi-siècle, alimentent celui-ci en armements sophistiqués. Les Iraniens l'assistent avec leurs conseillers militaires. Qui plus est, le Hezbollah libanais lui amène des milliers de combattants aguerris.

De leur côté, les rebelles de l'Armée syrienne libre, qui n'ont pas la légitimité démocratique des républicains espagnols, se voient peu à peu étouffés par les volontaires islamistes venus de tous pays, y compris d'Europe.

À mesure que le conflit se prolonge, il est visible que beaucoup de ces rebelles n'ont rien à envier en brutalité au « Franco » syrien, Bachar el-Assad. Au demeurant, celui-ci, qui s'est engagé dans la guerre en croyant protéger les gens de son clan, n'est sans doute pas pire que les autocrates de la péninsule arabe (Arabie, Quatar, Bahreïn...), lesquels oppriment et répriment sans état d'âme les étrangers et les dissidents.

En Syrie comme en Espagne, les exactions sont assez équitablement partagées entre les deux camps. il n'y a pas les « bons » d'un côté, les « méchants » de l'autre.

Vers un éclatement de la Syrie

La principale dissemblance avec la guerre d'Espagne tient à l'hétérogénéité de la Syrie, avec face à face des communautés religieuses (sunnites contre minorités chiites, druzes et chrétiennes) et linguistiques (majorité arabe et minorité kurde).

D'idéologique, le conflit est de ce fait très vite devenu communautaire. Il ne s'agit plus d'« islamo-démocrates » opposés à un tyran mais d'Alaouites, chrétiens, Druzes, sunnites laïcs et autres Kurdes qui se battent pour leur survie face aux islamo-sunnites.

Il pourrait s'ensuivre un éclatement de fait du pays, comme au Liban ou en Irak, où les Kurdes jouissent depuis une décennie déjà d'une très large autonomie. Cette perspective explique tout à la fois l'inquiétude de la Turquie voisine, qui craint que ses propres Kurdes ne s'émancipent à leur tour, et les manœuvres d'Israël, lequel ne trouverait rien à redire à l'éclatement du Proche-Orient en principautés lilliputiennes et hostiles les unes aux autres.

L'État hébreu, en bombardant en mai 2013 des bases de l'armée régulière syrienne, a ainsi donné un coup de pouce aux rebelles islamistes, en théorie ses ennemis les plus virulents, de manière à attiser les tensions entre sunnites et chiites.

Comme il est difficile d'imaginer que l'Iran et le Hezbollah libanais assistent sans réagir à l'effondrement de leur allié alaouite, on peut prévoir une intensification de leurs actions en Syrie avec une résurgence du conflit millénaire entre Arabo-sunnites et Irano-chiites. 

Deux éventualités sont à craindre : que le conflit déborde sur les pays voisins, dans une conflagration générale qui secouerait tout l'« arc chiite » (Liban, Syrie, Irak, Bahreïn, Iran, Pakistan) ; que la victoire finale du régime syrien débouche sur une répression extrêmement brutale (à l'image de celle qu'a connue l'Espagne après le triomphe de Franco).

André Larané
Post-scriptum (janvier 2014)

Ainsi que nous l'avions pressenti plus haut, le régime de Damas et ses alliés n'ont pas hésité à recourir à la terreur et à la guerre chimique pour contenir leurs ennemis. Le quartier de la Ghouta, à l'Est de Damas, est de la sorte frappé le 21 août 2013 par une attaque au gaz sarin qui a fait plusieurs centaines de morts.

Or, le président Obama, le 20 avril 2012, avait solennellement mis en garde les protagonistes en signifiant que l'emploi d'armes chimiques était la « ligne rouge » à ne pas franchir sous peine d'une intervention militaire des États-Unis et de leurs alliés. En réaction à l'attaque de la Ghouta, Français et Britanniques fourbissent leurs armes et se tournent vers Washington. Las, le président américain oublie ses engagements... comme en 1936 le Premier ministre britannique Stanley Baldwin et le Président du Conseil français Léon Blum, quand ils avaient renoncé à aider le gouvernement légitime d'Espagne.

Bien loin d'intervenir, les États-Unis tentent de calmer le jeu en se détournant de leurs alliés traditionnels arabes et en réintégrant l'Iran dans le concert des Nations, par l'accord de Genève sur le contrôle des installations nucléaires iraniennes, le 24 novembre 2013. L'Iran obtient dès lors le maintien en place de son allié syrien, le président Bachar el-Assad. Ce maintien est formalisé par la nouvelle conférence de Genève sur la Syrie, ouverte le 22 janvier 2014. 

Le président russe Vladimir Poutine se rue dans la brèche et affiche un soutien total à son allié syrien, pour signifier qu'à la différence du président américain, il n'a qu'une parole et que l'on peut compter sur lui. La guerre reprend avec une violence redoublée. Selon la seconde éventualité citée plus haut, on peut craindre qu'il s'ensuive une brutale répression contre les derniers îlots de résistance islamistes.

Publié ou mis à jour le : 2021-03-23 11:21:33

Voir les 18 commentaires sur cet article

Erik (22-12-2016 14:31:03)

La cause semble entendue. Que notre réflexion nous fasse pencher plutôt vers la droite ou plutôt vers la gauche, nous sommes quasi-unanimes à trouver la comparaison déplacée. Cela ne nous empê... Lire la suite

varinot (19-12-2016 20:12:53)

Je ne vois pas où peut être cette analogie. La Russie de Poutine n'est pas impérialiste, Poutine, même si ça dérange beaucoup de personnes, est nationaliste par obligation ; il défend son pays ... Lire la suite

Gilbert Grellet (17-12-2016 20:11:14)

Difficile d'accepter cette idée d'analogie avec la Guerre d'Espagne. Cette dernière a été déclenchée par un putsch de généraux fascisants contre un gouvernement républicain démocratiquement ... Lire la suite

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