Samuel Pepys ou monsieur moi-même

Claire Tomalin (Champ Vallon, 540 pages, 26 euros,  2014)

Samuel Pepys ou monsieur moi-même

La biographie du grand diariste anglais Samuel Pepys (prononcer « Pips ») par Claire Tomalin vient d’être traduite et éditée en français. Le lecteur français peut ainsi entrer de plain-pied dans un monument de la littérature historique anglaise, de même importance que les Mémoires du duc de Saint-Simon pour la littérature historique française.

Samuel Pepys (1633-1703) est un self-made man, fils d’un tailleur londonien apparenté de loin à Edward Montagu (Lord Sandwich), et qui doit tout à d’éminentes qualités intellectuelles détectées durant son passage à l’école élémentaire au cours duquel il fait l’école buissonnière pour aller assister en 1649 à l’exécution du roi Charles 1er.

Ses examinateurs lui obtiennent une bourse pour étudier à l’Université de Cambridge, où il obtient sa licence au Magdalene College. Il en demeurera si reconnaissant qu’il lui lèguera sa bibliothèque d’une valeur considérable amassée tout au long d’une vie, et dans laquelle son journal écrit dans une sorte de sténographie sera exhumé et décrypté plus d’un siècle après sa mort, puis soigneusement expurgé de ses nombreux passages contraires à la morale victorienne.

Dès son retour à Londres, Samuel Pepys devient collaborateur à la fois de Georges Downing (qui donnera son nom à Downing Street, la résidence du Premier ministre anglais) et de son lointain cousin Edward Montagu, qui a renié les idées légitimistes de son père pour embrasser la cause du Lord Protecteur Cromwell. Pepys décide alors de tenir chaque soir un journal et le fera pendant une dizaine d’années, sans rien y cacher ni de la vie professionnelle d’abord instable d’une sorte de membre désargenté d’un cabinet ministériel, ni d’une vie privée commencée par un mariage en cachette de son protecteur Montagu qui le loge dans une soupente de son palais.

Fort heureusement, la carrière de Lord Sandwich progresse avec sa nomination à la tête d’une escadre, qui va après la mort de Cromwell chercher le roi Charles II réfugié en Hollande. Celle de Pepys progresse en parallèle et le voici nommé clerc des actes au Conseil de la Marine, poste qui ne vaut guère par ses émoluments mais beaucoup par les occasions de pots-de-vin qu’il offre.

Samuel Pepys y est le seul roturier mais supplante bientôt tous ses collègues aristocrates moins capables et plus dilettantes. Il y amassera une fortune considérable et finira sa carrière comme député au Parlement et secrétaire (c’est-à-dire ministre) de l’Amirauté du roi Jacques II, dont l’exil à l’issue de la « Glorieuse Révolution » de 1688 signera la fin de la carrière administrative de Pepys.

Cela ne l’empêchera pas de rester une sommité de son époque, car cet esprit distingué est entre-temps devenu membre et même Président de la Royal Society, l’équivalent anglais de l’Académie des Sciences récemment créée et où s’illustrent le physicien Isaac Newton et l’architecte Christopher Wren, qui reconstruira la cathédrale Saint-Paul de Londres après le Grand Incendie.

En effet, Pepys a eu la chance de vivre une époque cruciale de l’histoire londonienne avec le développement de la Cité, la Grande Peste de 1665, la guerre anglo-néerlandaise de 1665-1667 qui vit Londres tout près d’être envahie par l’escadre hollandaise, et le Grand Incendie de 1666 qui donne lieu à des scènes savoureuses où l’on voit Pepys se préoccuper de sauver dans cet ordre sa fortune, les siens puis son fromage parmesan qu’il enterre pour le préserver du feu, avant de songer à ses dossiers administratifs.

Comme il est bon vivant, le journal ne cache rien non plus de ses aventures galantes prolongées après son veuvage par une longue cohabitation sans remariage, ni de ses problèmes avec ses domestiques aux charmes desquels sa femme lassée de ses infidélités n’est pas insensible, ni de ses banquets et beuveries avec les inconvénients gastriques qui s’ensuivent. Pepys a souffert de calculs rénaux et a dû subir à l’âge de 25 ans une opération chirurgicale pour extraire une pierre grosse comme un œuf, dans les conditions d’asepsie et de connaissances anatomiques imprécises de ces temps héroïques de la médecine. Il en conserve une mentalité de miraculé qui connaît l’importance de goûter chaque jour aux plaisirs de la vie tant qu’ils sont à portée de la main, et qui n’est pas pour rien dans l’intérêt de son journal pour tous les aspects de la vie intime.

Son côté volontiers scabreux conduira les premiers transcripteurs de sa sténographie à en caviarder les passages les plus intéressants, avant qu’une édition complète soit enfin rendue publique dans les années 1970. Sa lecture exhaustive permet désormais de savourer des épisodes sexuels camouflés sous un sabir hispano-franco-gréco-latin de son invention, et des aphorismes comme « épouser une fille qu'on a mise enceinte, c'est comme chier dans son chapeau et le remettre sur sa tête » ou des remarques politiques comme « les enfants des rues crient maintenant baise mon Parlement au lieu de baise mon cul, si grand et si général est le ressentiment contre le Parlement croupion ».

Michel Psellos

Publié ou mis à jour le : 10/06/2016 09:42:47

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