Le dimanche 19 mai 1974, Valéry Giscard d'Estaing (48 ans) devient le troisième président de la Ve République en réunissant sur son nom les électeurs de droite et du centre.
Mal-aimé des Français, il n'occupera le palais de l'Élysée que le temps d'un septennat mais celui-ci restera comme l'un des plus féconds de la Ve République avec des réformes majeures qui vont bouleverser la société française.
Valéry Giscard d'Estaing a pris la mesure des bouleversements induits par les événements de Mai-68. Mais il a aussi eu la malchance d'arriver au pouvoir à la fin des « Trente glorieuses » quand la France n'avait encore que 440 000 chômeurs, avec une inflation très faible et une croissance de 5% par an. Sept ans plus tard, après deux chocs pétroliers, le pays comptera 1,6 million de chômeurs, une inflation à deux chiffres et une croissance de l'ordre de 1% par an. Il n'aura plus que 31% d'ouvriers contre 38% sept ans plus tôt.
Pour le bon et le moins bon, ce président a orienté le destin de la France pour un demi-siècle, ses successeurs ayant suivi bon gré mal gré les pistes qu'il a ouvertes : judiciarisation de la politique, libéralisation des moeurs et de l'économie, monnaie européenne, abandons de souveraineté au profit de l'Union européenne, immigration, etc.
Itinéraire d'un enfant gâté
Valéry Giscard d'Estaing est né le 2 février 1926 à Coblence (Allemagne), où son père, Edmond Giscard (il a accolé la particule d'Estaing à son nom en 1922) travaillait pour les troupes françaises d'occupation. Il est mort dans le château d'Authon (Loir-et-Cher), propriété de son épouse Anne-Aymone de Brantès, le 2 décembre 2020. Son enfance s'est déroulée dans les beaux quartiers de Paris. C'est là qu'il a passé son bac, à 16 ans.
En août 1944, il interrompt la préparation de Polytechnique pour s'engager dans la Ière Armée française sous les ordres du général de Lattre de Tassigny. Ayant participé à la guerre jusqu'en Autriche, à bord de son char, il peut enfin passer le concours de l'X puis enchaîner avec l'ENA, tout juste créée par Michel Debré, enfin entrer dans la prestigieuse Inspection des Finances. Le président du Conseil Edgar Faure l'accueille dans son cabinet. Bon début de carrière pour un jeune homme de bonne famille et doté d'exceptionnels dons intellectuels.
Pour parfaire le tableau, Valéry Giscard d'Estaing se marie le 17 décembre 1952 puis hérite de son grand-père maternel un siège de député du Puy-de-Dôme (CNIP, droite libérale). Il va dès lors rester fidèle à l'Auvergne de ses aïeux et s'y fera régulièrement élire et réélire comme député et conseiller général, ainsi que comme président de la Région (1986-2004). C'est en cette qualité qu'il lancera le projet de parc d'attractions Vulcania, inspiré du Futuroscope de la Vienne. Seule déception, il n'obtiendra jamais la mairie de Clermont-Ferrand, ville traditionnellement classée à gauche. Il se consolera avec la mairie de Chamalières, banlieue huppée de Clermont-Ferrand (1967-1974).
Sa carrière fait un bond avec l'arrivée au pouvoir du général de Gaulle et l'avènement de la Ve République.
Le 9 janvier 1959, à 32 ans, il devient le plus jeune ministre de la République française en qualité de secrétaire d'État aux Finances aux côtés du ministre des Finances et des Affaires économiques, un notable de la IVe République, Antoine Pinay. Giscard témoigne très vite de sa supériorité dans la maîtrise des dossiers et dès le 18 janvier 1962, il est nommé ministre des Finances.
Sa politique de rigueur budgétaire lui vaut une impopularité croissante et de Gaulle y voit l'une des causes de sa mise en ballotage aux élections présidentielles de 1965. Il est de ce fait écarté du gouvernement le 8 janvier 1966 et remplacé aux Finances par son ancien mentor Michel Debré.
L'envol
Valéry Giscard d'Estaing va dès lors faire cavalier seul et apporter un soutien critique au gouvernement du général de Gaulle, suivant la formule du « Oui, mais ». Cela lui vaudra du Premier ministre Georges Pompidou le surnom de « Cactus ».
Avec ses fidèles Michel Poniatowski, Michel d'Ornano et Jean de Broglie, il structure son propre parti, les Républicains indépendants (Centre droit).
Pris de court par l'annonce d'un référendum sur le Sénat et la régionalisation en 1969, il prône le Non, en opposition frontale au parti gaulliste, et entraîne la démission du Général le lundi 28 avril 1969, au lendemain du résultat.
Aux élections qui suivent, il se rallie sans réserve à Georges Pompidou, ce qui lui vaut de retrouver le portefeuille des Finances avec rang de ministre d'État.
Premières minutes du débat télévisé en direct (le premier du genre) entre les deux finalistes de l'élection : Valéry Giscard D'Estaing et François Mitterrand (ORTF, 10 mai 1974), source : INA
Victoire à l'arraché
Bien que la maladie du président Pompidou fut depuis plusieurs mois devenue visible à tout un chacun, la classe politique se laisse surprendre par sa mort, survenue le 2 avril 1974.
Cependant que le président du Sénat, Alain Poher, assure pour la deuxième fois l'intérim présidentiel, le candidat du puissant parti gaulliste, Jacques Chaban-Delmas, s'engage dans la campagne avec le statut de grand favori.
Malgré la faiblesse de son parti centriste, les Républicains Indépendants, ancêtre de l'UDF (Union pour la Démocratie française), Giscard d'Estaing va néanmoins réussir à le marginaliser grâce au ralliement de Jacques Chirac, ministre de l'Intérieur dans le gouvernement sortant. Ce ralliement de l'un des leurs est bien sûr qualifié de « trahison » par les gaullistes orthodoxes.
Giscard se qualifie sans mal avec 32,6% des voix au premier tour contre 15,11% pour Chaban-Delmas. Mais le second tour s'annonce très serré face au candidat d'une gauche enfin unie, François Mitterrand (58 ans), lequel a déjà commis l'exploit de mettre en ballotage le général de Gaulle en 1965. VGE l'emporte d'extrême justesse avec 500 000 voix d'avance (50,81% des suffrages exprimés) au terme d'une campagne marquée par le premier débat télévisé en direct.
Le soir du 19 mai 1974, à peine sa victoire est-elle confirmée que Valéry Giscard d'Estaing l'annonce aux journalistes réunis dans son quartier général de la rue de la Bienfaisance, à Paris. Par un fait surprenant, il l'annonce en anglais, à vrai dire dans un anglais très scolaire qui lui aurait à peine valu la moyenne à l'oral du brevet des collèges ! Mais à dire vrai, personne ne s'en est sur l'heure ému ou étonné.
A posteriori, on peut y voir le signe avant-coureur des péripéties subalterners et parfois entachées de ridicule dans lesquelles allait s'engluer le septennat : les étrennes aux éboueurs, les repas chez les Français au son de l'accordéon, l'« affaire du laitier », les « diamants » de Bokassa, etc.). On peut y voir aussi les prémices de l'américanisation de la société, de l'alignement sur Washington et du naufrage de la langue française, un demi-siècle plus tard.
Réformes tambour battant
VGE place d'emblée sa présidence sous le signe de la jeunesse et du renouveau en se donnant un Premier ministre de 42 ans... Jacques Chirac.
Le gouvernement innove avec cinq ministères confiés à des femmes dont un ministère de la Condition féminine (confié à Françoise Giroud, intellectuelle qui avait pourtant appelé à voter Mitterrand). Notons aussi un ministère des Réformes dont le titulaire, Jean-Jacques Servan-Schreiber, sera congédié au bout de quelques jours pour avoir protesté contre les essais nucléaires !
Les réformes se succèdent tambour battant :
– 3 juillet 1974 : désireux de lutter contre la montée brutale du chômage à l'issue du premier choc pétrolier, le gouvernement croit utile de suspendre l'entrée de travailleurs étrangers ; mais cette « préférence nationale » dans l'emploi s'accompagne du droit au regroupement familial (décret du 29 avril 1976), avec des effets pervers notables.
– 5 juillet 1974 : la majorité civique, qui était fixée à 21 ans depuis 1848, est abaissée à 18 ans ; en ouvrant le droit de vote à 2,5 millions de jeunes majoritairement portés à gauche, le président signe sa défaite sept ans plus tard.
– 7 août 1974 : l'ORTF (monopole public de la radio et de la télévision) est démantelée et donne naissance à sept chaînes concurrentes ; c'est un premier pas vers l'indépendance des médias audiovisuels (et le règne de la publicité et de la haute finance dans l'information).
– 14 octobre 1974 : indemnisation des chômeurs licenciés économiques sur la base de 90% de leur dernier salaire pendant un an (cette mesure trop généreuse va s'avérer inadaptée à la crise économique mondiale qui vient d'éclater et sera rapidement abrogée).
– 21 octobre 1974 : création du « droit de saisine » avec la possibilité pour 60 députés ou 60 sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel (cette révision de la Constitution marque la première étape de la judiciarisation de la politique, les magistrats prenant le pas sur les élus du peuple).
– 26 octobre 1974 : la loi Neuwirth de 1967, qui autorisait la contraception féminine (la « pilule »), est complétée par une nouvelle loi qui prévoit le remboursement de la contraception par la Sécurité sociale ; les mineures peuvent aussi prendre la pilule sans l'autorisation de leurs parents.
– 28 novembre 1974 : les députés votent la légalisation de l'avortement (pendant une période d'observation de 5 ans) au terme d'un débat parlementaire houleux et avec le concours des députés de gauche. Cette loi a été voulue par le président de la République, lequel en a confié la gestion à sa ministre de la Santé Simone Veil. Elle est promulguée le 17 janvier 1975.
– 11 juillet 1975 : le ministre de l'Éducation nationale René Haby fait voter l'instauration du collège unique dans le but de favoriser un égal accès de tous les enfants à l'enseignement. Cette ambition émerge dans une France encore très homogène à laquelle feu le président Pompidou promettait de devenir une Suède avec le soleil en prime (c'était l'apogée de la social-démocratie suédoise, égalitaire, prospère).
Les vagues d'immigration des décennies suivantes allaient bouleverser la donne en introduisant une grande hétérogénéité de référents culturels dans la jeunesse. Les successeurs du ministre vont néanmoins atteindre magnifiquement leur objectif puisqu'un demi-siècle plus tard, la quasi-totalité des jeunes gens vivant en France, français ou étrangers, acquerront le baccalauréat. Mais ce sera, semble-t-il, au prix d'une très forte baisse des acquis scolaires, la majorité des nouveaux bacheliers maîtrisant moins bien la lecture et l'écriture que les collégiens de la génération du ministre.
À noter aussi l'introduction du divorce par consentement mutuel (11 juillet 1975), la généralisation de la mixité dans les écoles, la suppression de la commission de censure cinématographique (qui induit aussitôt une débauche de films pornographiques), l'élection du maire de Paris au suffrage universel (31 décembre 1975), etc.
VGE reprend à son compte les grands chantiers initiés par Pompidou : électricité nucléaire, TGV, Airbus, Ariane, téléphonie.
Le gouvernement tente par ailleurs d'endiguer la crise économique avec une maladresse qui n'est pas sans rappeler celle de Pierre Mauroy en 1981 :
• Création de l'autorisation administrative de licenciement,
• Forte augmentation des allocations familiales et du minimum vieillesse,
• Relance de l'activité minière avec embauche de nouveaux mineurs, notamment marocains...
Par des gestes symboliques inspirés d'une communication à l'américaine, Valéry Giscard d'Estaing veut aussi décoincer les pratiques républicaines, non sans parfois susciter le sourire : remplacement de la jaquette par le veston dans les cérémonies officielles, remontée à pied des Champs-Élysées le jour de son intronisation, changement du tempo de la Marseillaise, défilé du 14-Juillet à la Bastille, dîners informels chez des Français ordinaires et réception de ceux-ci à l'Élysée, petit-déjeuner en compagnie des éboueurs de son quartier...
Moins ouvert que son prédécesseur à l'art contemporain, il tente sans succès d'interrompre les travaux de construction du Centre Pompidou, au coeur de Paris. Mais il prend sa revanche en lançant la création d'un splendide musée du XIXe siècle (1848-1914) dans la gare d'Orsay, face au Louvre.
L'un des changements les plus lourds de conséquences de l'ère giscardienne, passé complètement inaperçu, est sans doute l'intégration de Mayotte à la République. Ce rocher surpeuplé de 300 km2 (100 000 habitants en 1974, plus de 200 000 en 2000) fait partie de l'archipel des Comores.
Le 22 décembre 1974, un référendum doit donner l'indépendance à cette dernière colonie française. Mais les Mahorais (habitants de Mayotte) ne veulent pas du futur chef d'État pressenti par la France. En conséquence, ils votent non au référendum et se retrouvent derechef citoyens à part entière d'un pays, la France, dont ils ignorent tout. Mayotte, repliée sur sa culture ancestrale, administrée par des fonctionnaires métropolitains, déstabilisée par une immigration massive, a été transformée en 2009 en département d'outre-mer.
La présidence au péril de la rigueur et de l'impopularité
Le chef de l'État a la malchance d'arriver au pouvoir juste après la guerre du Kippour. Tandis que la France prend un coup de jeune, l'Europe entre dans une interminable crise de langueur mais nul n'en a encore conscience de sorte que l'opinion française ne va pas manquer d'attribuer au président les méfaits de la crise économique et de la poussée du chômage.
La fin des Trente glorieuses suscite dans le monde de nouveaux déséquilibres géopolitiques. L'Occident doit bientôt faire front au génocide de Pol Pot au Cambodge, à la révolution islamiste en Iran, au réveil des wahhabites à Riyad et à l'invasion de l'Afghanistan par les Soviétiques. La France de Giscard y concourt à sa manière en offrant l'asile à l'ayatollah Khomeiny, adversaire du chah d'Iran.
Valéry Giscard d'Estaing accentue le caractère présidentiel du régime et donne tous les six mois à son gouvernement des instructions de façon si directive qu'elles finissent par exaspérer le Premier ministre.
Le 25 août 1976, Jacques Chirac, qui a conquis quelques mois plus tôt la direction du parti gaulliste, claque brutalement la porte du gouvernement : « Je ne dispose pas des moyens que j'estime aujourd'hui nécessaires pour assurer efficacement mes fonctions de Premier ministre et, dans ces conditions, j'ai décidé d'y mettre fin ». Il se pose désormais en rival de VGE et inaugure la guérilla contre le président en dénonçant le « socialisme rampant » de ce dernier.
À l'Élysée, Valéry Giscard d'Estaing agit en animal politique froid et impitoyable, y compris envers ses plus fidèles serviteurs. En 1977, à l'issue de la sévère défaite de la droite et du centre aux élections municipales, il se sépare brutalement de Michel Poniatowski, ministre de l'Intérieur, l'un de ses deux hommes de confiance, avec Jean Serisé. C'est lui qui avait stigmatisé la droite gaulliste en 1971 en la qualifiant de « république des copains et des coquins ».
« Ponia » ayant commis des erreurs durant la campagne électorale, VGE n'a pas hésité à mettre fin à leur long compagnonnage amical lors du remaniement qui suivit le scrutin. Dans un communiqué, la victime de la disgrâce présidentielle laisse transparaître son amertume : « Toute mon action a été dominée par ma fidélité et mon amitié pour le président de la République et par ma loyauté aux instructions reçues. Je continuerai dans le même sens, je ne suis pas de ceux qui servent un jour et attaquent le lendemain [allusion à Jacques Chirac] ».
En attendant, le président ne craint pas d'offrir Matignon (la résidence du Premier ministre) à un homme qui n'était pas issu des rangs gaullistes. Une première depuis 1958. L'heureux titulaire du poste est en effet un professeur d'économie du nom de Raymond Barre présenté par le président comme le « meilleur économiste de France ».
Confronté au durcissement de la frange conservatrice de son électorat, Giscard d'Estaing range au placard les réformes de société et notamment l'abolition de la peine de mort qu'il avait bien songé à promulguer. Le 28 juillet 1976, il rejette la grâce de Christian Ranucci (22 ans), condamné à mort pour le meurtre d'une fillette. Au moins son successeur François Mitterrand pourra-t-il ainsi accrocher au moins une réforme marquante à ses 14 années de présidence...
Parmi d'autres signes de ce durcissement, le garde des Sceaux, ministre de la Justice, Jean Lecanuet crée dès mai 1975 dans les prisons des Quartiers de haute sécurité (QHS) ; pour sa part, le ministre de l'Intérieur Alain Peyrefitte fait adopter en février 1981 la loi Sécurité et liberté, violemment combattue dans la rue.
Le président redouble par contre d'activisme en politique étrangère :
• Création du Conseil européen des chefs d'État et de gouvernement (« La décision la plus importante pour l’Europe depuis le traité de Rome », dixit Jean Monnet),
• Élection du Parlement européen au suffrage universel direct,
• Création en 1979 du Système monétaire européen (SME), prélude à la monnaie unique,
• Instauration du dialogue Nord-Sud, création du G7 (réunion périodique des principaux dirigeants du monde).
Le 19 mai 1978, le président s'honore en envoyant sans tergiverser des paras sur Kolwezi, une cité minière du Congo ex-belge où plusieurs milliers d'expatriés européens sont menacés de mort par des rebelles katangais. Mais ce succès reste sans lendemain.
En 1981, le président, par excès de sentimentalisme, va aussi convaincre le Conseil européen d'admettre la Grèce au sein de l'Union européenne. Pourtant, le Premier ministre Andréas Papandréou lui-même juge cette admission prématurée en raison du retard économique criant de son pays. Mais Giscard l'emporte avec une formule superbe : « On ne laisse pas Platon à la porte ».
Trop jeune, trop fringant, trop « moderne » et trop libéral dans tous les sens du terme, le président voit sa popularité s'effriter irrésistiblement d'autant que les Français de droite comme de gauche supportent mal la politique de rigueur engagée par son Premier ministre pour faire face au deuxième choc pétrolier et à l'aggravation du chômage.
Sans prendre de gants, Raymond Barre corrige avec un certain succès les erreurs d'orientation économique des deux premières années de la présidence dans une optique rigoriste, très libérale, voire néolibérale. Au terme de son ministère, il laissera une dette publique de seulement 20% du PIB mais aussi près de deux millions de chômeurs, cependant que le tissu industriel du pays aura commencé de se racornir en peau de chagrin.
Le 10 octobre 1979, Le Canard enchaîné publie une révélation selon laquelle Valéry Giscard d'Estaing, du temps où il était ministre des Finances, aurait reçu des diamants du président centrafricain Bokassa pour une valeur prétendue d'un million de francs ! Le président s'enferre dans la dénégation et l'affaire va être exploitée contre lui dans la campagne présidentielle de 1981.
VGE est aussi atteint par des rumeurs allusives à sa vie dissipée et à ses nombreuses aventures sentimentales. Ainsi évoque-t-on un accident qu'il aurait eu en rentrant au volant d'une Ferrari, en galante compagnie, au petit matin, « à l'heure du laitier ». Se méprenant sur le sens de l'expression, les médias vont évoquer une collision avec la voiture d'un laitier, oubliant le fait que dans les années 1970, à Paris, on ne livre plus depuis longtemps le lait à domicile !
Le septennat de Giscard a également été terni par deux assassinats. Le premier, en 1976, est celui de Jean de Broglie, ancien ministre de De Gaulle, député de l'Eure, l'un des co-fondateurs des Républicains indépendants, le parti de Giscard, et qui fut le trésorier de la campagne présidentielle de ce dernier en 1974. Le second a fait pour victime en 1980 Joseph Fontanet, ancien ministre. Enfin, l'affaire la plus spectaculaire a été la mort non encore totalement élucidée -comme les deux précédentes- de Robert Boulin, ministre du Travail, dont la famille pense qu'il a été éliminé pour des raisons politiques. Enfin, en cette décennie marquée par le terrorisme d'extrême-gauche (Allemagne, Italie...), un proche du président, le baron Empain, est enlevé contre rançon par des bandits.
Guerre intestine chez les libéraux-conservateurs
À l'automne 1980, malgré une impopularité croissante du président, la plupart des commentateurs politiques croient sa réélection assurée tant la gauche paraît divisée. C'est au point que l'humoriste Coluche (Michel Colucci) annonce sa candidature pour rire, en octobre 1980 !
Mais par son habileté tactique et sa détermination, François Mitterrand, qui en est à sa troisième tentative, va rendre confiance à la gauche. La lassitude de l'opinion, les coups de boutoir des chiraquiens et leurs appels à peine camouflés à voter au deuxième tour pour le candidat de la gauche vont finalement entraîner la défaite de VGE aux élections présidentielles de 1981.
Valéry Giscard d'Estaing prend lui-même la mesure de la trahison de son ex-Premier ministre. Il en témoignera plus tard dans un livre : « Entre les deux tours de l'élection présidentielle de 1981, alerté par quelques collaborateurs qui me disaient que les chiraquiens appelaient en sous-main à voter pour Mitterrand, j'ai téléphoné au siège du RPR en me faisant passer pour un électeur de droite. J'avais mis un mouchoir sur le téléphone afin qu'on ne reconnaisse pas ma voix et j'ai demandé quelle était la consigne. On m'a répondu que je pouvais voter pour Mitterrand. J'étais stupéfait. »
Pour cette raison et quelques autres, VGE et Chirac vont se vouer une rancune éternelle illustrée par quelques belles saillies. Au Conseil constitutionnel où les deux hommes ont siégé après avoir quitté l'un et l'autre l'Élysée, Jean-Louis Debré, qui présidait cette institution, raconte : « Chaque fois que Giscard commençait une phrase par : "Quand j'ai été élu Président...", Chirac lui répondait aussitôt par : "Quand j'ai été réélu Président..." »
Cela dit, ayant vite perdu l'espoir de reconquérir l'Élysée, VGE a poursuivi une carrière de vieux sage sans renoncer pour autant à son goût des femmes. Sa dernière initiative politique fut dédiée à l'Europe : président en 2001 d'une Convention pour l'avenir de l'Europe, il rédige un projet de Traité constitutionnel qu'il a l'amertume de voir rejeté par les électeurs français et néerlandais en 2005.
Auteur de nombreux essais et romans (Le Passage, La Princesse et le Président) ainsi que de mémoires (Le Pouvoir et la vie), il a été élu à l'Académie française en 2003 au fauteuil d'un autre président, le Sénégalais Léopold Senghor.
Bibliographie
Sur l'histoire politique de la France contemporaine, il existe peu de livres aussi clairs et bien documentés que celui de René Rémond : Notre siècle 1918-1988 (Fayard).
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Romain (19-05-2021 16:21:23)
Grace a lui j'ai quite la France en 1980 et j'ai change de nationalitee !!! car mince le"francois" la pagaille OUI mais le VGD cetait la faillite qui est grosse en ce moment et pire en 2020 apres tout... Lire la suite
HERAULT (06-12-2020 17:40:22)
Effectivement, pour un grand bourgeois catho. c'est une révolution que l'avortement, la contraception... Dommage qu'il ne soit pas allé jusqu'à l'abolition de la peine de mort, mais c'était trop.
Maud (06-12-2020 16:59:15)
Sous l'influence du mai 68, les avancées sociétales furent plus une obligation dans le sens du vent qu'une impulsion personnelle. L'abandon du Plan Calcul qui nous aurait sans doute permis d'être p... Lire la suite