Tianjin (Tien Tsin)

Quel avenir pour les concessions occidentales ?

Au début du XXe siècle, toutes les cultures se rencontraient à Tianjin (Tien Tsin), avant-port de Pékin. Il reste de cette époque de beaux témoignages architecturaux hélas menacés par le développement anarchique de la Chine moderne.

Disposant d'un patrimoine d'environ mille maisons et bâtisses de facture occidentale, construites entre 1860 et 1940, la municipalité de Tianjin (ou Tien Tsin) entreprend aujourd'hui leur réhabilitation à marche forcée.

Les Occidentaux prennent pied en Chine

Au milieu du XIX siècle, les pourtours du fleuve Hai intéressent les puissances européennes. À 120 kilomètres de Pékin, elles cherchent un site où s'établir. Créée au quinzième siècle, Tianjin (en mandarin, «L'embarcadère par lequel est passé le Fils du Ciel») offre une configuration géographique idéale. Ouvert à l'activité fluviale, le fleuve Hai dessine un arc de cercle au milieu d'un bassin aéré se prolongeant jusqu'à la mer Bohai.

Clôturant la Seconde guerre de l'opium, la convention de Pékin (1860) offre trois concessions aux puissances occidentales (France, Royaume-Uni et États-Unis). En 1894, de nouvelles concessions sont attribuées à l'Allemagne et au Japon. À la fin de la guerre des Boxeurs, quatre autres concessions sont octroyées (Italie, Autriche Hongrie, Russie et Belgique). Dans leur sillage, vingt ambassades s'installent à Tien Tsin (ou Tientsin), ainsi baptisée par les Occidentaux.

Le découpage des concessions est arbitraire. Elles recouvrent des étendues variables. Si le Royaume-Uni et l'Allemagne se taillent la part du lion, Belges et Italiens sont cantonnés à des espaces confinés. Entre 1860 et 1870, les premières bâtisses voient le jour. Chaque concession reflète un style de chaque pays. Des architectes occidentaux en élaborent les plans, certains deviendront très prospères. En bordure du fleuve Hai, l'hôtel Astor devient le point de ralliement des entrepreneurs occidentaux. C'est le premier établissement hôtelier de Chine du nord ouvert aux étrangers.

Dans les premières années, la présence des Occidentaux n'est pas acquise. En juin 1870, une foule importante saccage l'orphelinat français. 18 étrangers sont tués dont le consul. Cependant la dynastie Qing apporte ses excuses et une sévère répression sera exercée contre les fauteurs de troubles. L'histoire des concessions évolue alors au rythme d'une situation internationale particulièrement chaotique. Très engagés aux Philippines, les Américains cèdent en 1902 leur concession au Royaume-Uni. Dans la foulée de l'entrée de la Chine en guerre du côté des Alliés, en mars 1917, les concessions allemandes et austro-hongroise sont dissoutes.

La cité de toutes les cultures

De 1902 à 1937, Tien Tsin connaît une période faste. Personnage séduisant, Gustav Detring incarne le dynamisme de la ville. Au service de Li Hongzhang, l'homme exerce sans le titre les fonctions de maire. Herbert Clark Hoover, futur président des États-Unis, réside alors à Tien Tsin. Dans son journal, il témoigne : «C'est une cité universelle, comme le monde en grandeur miniature. S'y côtoient toutes les nationalités, tous les styles architecturaux, toutes les cuisines ».

De son côté, le général Georges C. Marshall, qui séjournera un temps dans l'American Barracks, ajoute : «Mon premier contact avec la Chine fut surprenant. Je logeais dans une maison d'allure viennoise, je mangeais un pot-au-feu, je jouais au Badminton et le soir, combien de fois n'ai-je pas bu de bière allemande? Tirant parti de cette expérience, j'ai toujours vanté dans ma vie politique les mérites d'une cité universelle et fraternelle».

En 1932, Teilhard de Chardin y demeure, «le temps, dit-il, de prendre langue avec des cultures si opposées». Ville ouverte et libre, Tien Tsin accueille des réfugiés. En 1935, elle abrite une communauté juive forte de 3.500 âmes dont beaucoup rescapés des pogroms. «Alors que nos frères sur la Vistule souffraient le martyr, nous vivions heureux, sans la moindre turbulence», souligne Harry Rozents, originaire de Pologne. En 1938, la synagogue de Nanjin Lu est inaugurée en grande pompe. «Occidentaux, Chinois et juifs étaient de la fête», se souvient Harry Rozents.

Tien Tsin est aussi la ville des notables chinois. Comme en témoignent de nombreuses plaques à l'entrée des maisons, seigneurs de guerre et lettrés s'installent dans les concessions. Puyi, dernier empereur de la dynastie Qing, après avoir été chassé de Pékin y résidera jusqu'en 1931. Tien Tsin est aussi considéré comme la ville d'adoption de Zhou Enlai qui y a vécu une partie de son enfance. Plus tard, ses visites répétées à l'hôtel Astor témoignent d'un réel attachement à cette ville.

Le déclin et la ruine

Mais le ciel de l'Histoire s'assombrit. En 1937, l'armée japonaise occupe les concessions. Les Occidentaux sont bousculés, plusieurs bâtiments sont pillés. Sur leur déclin, les dernières concessions sont dissoutes de 1943 à 1945 par le gouvernement nationaliste.

Le 15 janvier 1949, Tianjin est libéré par l'armée de libération populaire. Tout son patrimoine architectural devient alors bien d'état. Mais aucune administration spécifique n'est créée pour en assurer la gestion. Chaque district de la ville entretient son parc de vieilles maisons comme le reste. Pendant la guerre froide, l'héritage est délaissé.

Épisodiquement entretenu, le bâti se détériore, en particulier, les anciennes concessions russes et françaises. Le rythme des dégradations s'accélère avec l'industrialisation urbaine. Des usines polluantes sont construites au coeur de la ville. Inexorablement, les édifices se délabrent, certains menacent ruine, les murs noircissent.

Dans les années 80, une nouvelle menace guette. La demande en logements et en bureaux entraîne une spirale presque incontrôlable de nouvelles constructions à la finition aléatoire. S'ajoute la boulimie financière des groupes immobiliers qui boudent cet héritage jugé peu rentable. Bientôt l'ancienne concession russe est engloutie sous le béton. Des gratte-ciel se calent entre les vieux bâtiments, les écrasent aussitôt. Faute de lumière, ce patrimoine s'enfonce désormais dans l'obscurité.

Mince espoir de restauration

Aujourd'hui la prise en compte par la municipalité de cette richesse et sa volonté de remettre de l'ordre n'est guère chose aisée. Certaines constructions sont perdues à jamais, d'autres en très mauvais état.

Située sur la rive gauche de l'Hai, l'ancienne concession italienne (quarante maisons) est actuellement en voie de restauration sous la conduite d'une société italienne connue pour ses travaux dans le centre historique de Naples. Ce quartier rappelle Imperia ou Alassio. «Flânant dans les rues Bo Ai Dao et Jian Guo Dao (ex-via Marchese et Corso Vittorio Emanuele), d'un seul coup, je reprenais pied dans mon pays», racontait dans les années vingt, un aventurier Italien.

Dessinée autour de larges rues et d'un quartier verdoyant, la concession anglo-américaine est d'un bon maintien. Sauf exception, les bâtiments demandent une restauration légère. Entourées par de petits jardins, l'architecture est d'inspiration Victorienne. Parfois, d'audacieuses bâtisses surprennent comme, par exemple, l'Institut des langues étrangères. Dans ce quartier, les bâtisses américaines sont plus amples, les jardins plus étendus comme si l'Amérique toute fière de sa grandeur souhaitait damer le pion à la cour de Saint-James.

La concession française est d'achèvement plus complexe. Véritable jeu de piste, elle abrite des ouvrages disparates mêlant des genres différents et diverses époques. S'y côtoient maisons de maître et modernisme volontariste. Comme en témoigne le pont métallique enjambant le fleuve Hai ou la cathédrale Notre-Dame des Victoria, juste réplique d'une église en pays d'Artois.

La concession française a connu un parcours très accidenté à l'issue toujours incertaine. Construites dans le quartier commerçant du Heiping Lu, les bâtisses sont encerclées par des immeubles modernes à l'esthétisme médiocre et une activité commerciale mal maîtrisée. L'église de Nanjing Lu est horriblement enclavée par deux gratte-ciel curieusement inachevés.

Au coeur du quartier, des maisons disposées en cercle entourent «le jardin français». Sous la conduite de l'architecte français, Antony Béchu, qui a par ailleurs redessiné les nouvelles structures de l'École du Parti à Shanghai, onze maisons recouvrant une surface de 60 000 mètres carrés devraient être restaurées.

Commanditaire du projet, le groupe TEDA International Hotel Group Co., Ltd. (TIHG), sous l'autorité de Mme Chang, souhaite redonner ainsi un nouveau souffle au quartier. Cependant ce projet se heurte à une difficulté majeure. Comment redresser la barre alors que les constructions modernes urbaines s'empilent à côté?

Comment à partir du jardin français irradier l'ensemble d'un quartier dont l'activité commerciale ne joue pas dans le raffinement ? Afin d'y remédier, une société franco-chinoise, China Messengers, a engagé un remodelage de l'offre et des itinéraires commerciaux du Heiping district.

Quant à la concession russe, elle a tout simplement vécu. Si subsistent quelques bâtisses, çà et là, l'ensemble du quartier est noyé sous les gratte-ciel et les autoroutes urbaines. Dans son prolongement, la concession belge n'est plus qu'un pâle souvenir. Enfin, la concession japonaise a été durablement sinisée.

En ce début du XXIe siècle, Tianjin offre l'aspect d'une ville étouffant sous la pollution, bruyante et chaotique. Les énormes travaux engagés le long du fleuve Hai comme la restauration des anciennes concessions et l'amélioration des voies d'accès donnent toutefois à Tianjin meilleure allure, en attendant de lui rendre, qui sait ? la gloire qu'elle a connue dans les années 30.

François de la Chevalerie
Publié ou mis à jour le : 2020-05-09 11:37:09

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