La grande épopée des transatlantiques français

Ligne Le Havre – New York

Ils s’appelaient France, Normandie, Île de France… En leur temps, ces paquebots d’exception incarnèrent l’orgueil de tout un pays et tissèrent un lien intime avec Le Havre, leur port d’attache. Durant plus d’un siècle, la ville normande fut en effet, pour des millions de voyageurs, une porte d’accès privilégiée au Nouveau Monde.

Petite histoire pleine de nostalgie, d’une grande Histoire maritime.

Stéphane William Gondoin

Le Napoléon III, futur Ville du Havre, affiche de Louis Lebreton,1866, DR.

Rattraper le temps perdu

Dans les années 1830, les Anglais ouvrent leurs premières traversées régulières entre la Grande-Bretagne et le continent américain. En 1840, Samuel Cunard, fondateur de la célèbre compagnie qui portera plus tard son nom, inaugure la ligne Liverpool-Halifax-Boston. Le Britannia, paquebot (note) à coque en bois d’une soixantaine de mètres de long, propulsé à la vapeur, la dessert d’abord seul. Il est rejoint au fil des ans par des unités de plus en plus performantes, assurant aux armateurs de « Sa Gracieuse Majesté » la suprématie dans l’Atlantique Nord.

Les frères Pereire, fondateurs de la Compagnie Générale Transatlantique, Le Monde illustré, éd. du 21 février 1863, Paris, BnF, Gallica.En 1861, la France de Napoléon III prend conscience de son retard dans le domaine maritime et décide de se lancer à son tour à la conquête de l’océan. 

Les concessions des lignes Le Havre-New York et Saint-Nazaire-Panama sont remportées par la Compagnie Générale Maritime, bientôt rebaptisée Compagnie Générale Transatlantique (C.G.T., la Transat en abrégé).

Elle appartient aux frères Émile et Isaac Pereire, deux hommes d’affaires très impliqués dans les transports.

Le Washington, un vapeur de 105 m de long propulsé par des roues à aubes, construit dans un chantier naval écossais, entame sa croisière inaugurale le 15 juin 1864 et ouvre la liaison mythique entre Le Havre et New York.

Le Washington dans sa configuration originelle, avec ses roues à aubes et encore avec une mâture lui permettant d’avancer à la voile en cas d’avarie moteur, Le Monde illustré, éd. du 25 juin 1864, Paris, BnF, Gallica.

Un quotidien décrit un départ dans l’enthousiasme général : « La sortie du transatlantique s’est effectuée d’une manière très heureuse. La foule assemblée sur les quais l’a salué sous les vivats » (Le Figaro, 17 juin 1864). C’est le début d’une longue tradition locale : durant des décennies, les Havrais se déplaceront en masse pour saluer « leurs » paquebots à chaque entrée ou sortie.

La traversée du Washington dure 13 jours et demi, avec une escale de 24 heures à Brest. La Transat veut vite étoffer sa flotte et doit pour cette raison commander certains de ses bateaux au Royaume-Uni. Mais l’une des clauses d’exploitation des lignes l’oblige à faire fabriquer au moins cinq unités en France.

L'Impératrice Eugénie, rebaptisé Atlantique après la chute de l'empereur Napoléon III, collection Ecomusée de Saint-Nazaire, DR.

Après avoir envisagé un temps le recours aux Forges & Chantiers de la Méditerranée, les frères Pereire optent en 1861 pour la création de leur propre chantier naval, à Penhoët, près de Saint-Nazaire. Il s’agit de l’ancêtre des actuels Chantiers de l’Atlantique, qui produisent aujourd’hui encore les plus beaux paquebots du monde. On hésite un moment entre propulsion par roues ou par hélices. Cette dernière s’avérant finalement plus efficace, on ne construit plus de transatlantiques à roues après 1866 et l’on modifie l’un après l’autre les anciens modèles.

L’effondrement du Second Empire et la guerre de 1870-1871 suspendent temporairement le trafic. Certains vaisseaux changent de nom dans l’affaire, histoire de bien marquer la transition entre les régimes : Napoléon III devient par exemple Ville du Havre et Impératrice Eugénie est rebaptisée Atlantique. Même les bateaux font parfois de la politique…

La Bourgogne entrant dans le port du Havre, Bibliothèque du Congrès, Washington.

Une impitoyable compétition internationale

Au début des années 1880, l’armada de la Transat vieillit et la compagnie se lance dans un vaste programme de remplacement. Une nouvelle génération de paquebots apparaît : avec des tonnages croissants, ils sont plus puissants, plus rapides, en un mot plus modernes.

La Normandie entrant au havre, (ligne Le Havre - New York), 2 mâts, 2 cheminées, imprimerie-photo Aron Frères à Paris, 1883. La Normandie (I) ouvre le bal en 1883 : longue de plus de 140 m, elle est capable d’emporter environ 1 100 passagers répartis en trois classes. Raffinement technologique suprême, elle dispose à bord de… l’éclairage électrique ! Dans les niveaux supérieurs, 157 privilégiés profitent du confort offert par la première classe ; 866 personnes, principalement des immigrants quittant leur patrie en quête d’une existence meilleure, s’entassent pour leur part dans l’entrepont.

Normandie sert de modèle à plusieurs vaisseaux portant le nom de différentes provinces françaises, lancés jusqu’en 1893 : Champagne, Bourgogne, Gascogne, Bretagne… Mais la compétition féroce que se livrent les principales compagnies mondiales les rend dépassés en quelques années. Anglais et Allemands notamment, lancent des unités toujours plus grandes et rapides, comme par exemple le SS (note) Kaiser Wilhelm der Grosse (200,1 m) pour les Brêmois de la Norddeutscher Lloyd, ou le RMS (note) Oceanic (215 m) de la White Star Line, basée à Liverpool.

Transatlantique la Provence accostant au quai d’escale, avec sa gare maritime spécialement construite en 1906-1907 pour accueillir des paquebots plus importants, © collection Stéphane William Gondoin.

Dans cette course au gigantisme, la Transat doit composer avec un handicap considérable : en leur état actuel, les infrastructures havraises ne peuvent recevoir de navires trop imposants.

Pour tenter de rester dans le jeu, la compagnie française se dote de la Lorraine (1900) et de la Savoie (1901), atteignant 170 m, puis de la Provence en 1906 (190 m), premier paquebot à posséder à bord une précieuse TSF (Télégraphie Sans Fil), lui permettant de communiquer depuis n’importe quel point de l’Atlantique, gage supplémentaire de sécurité. Dans le même temps, on adapte l’entrée du port du Havre et on installe un quai d’escale en eau profonde, avec une nouvelle gare maritime inaugurée en 1907.

L’Olympic (à gauche) et le Titanic (à droite), 6 mars 1912.Et le temps presse, car les Anglais de la White Star Line annoncent la mise en service prochaine de trois géants de 269 m de long : Olympic, Britannic et… Titanic ! En réponse, la Transat passe commande aux chantiers de Penhoët de France (deuxième du nom). Avec ses 217 m, il n’est pas question pour le nouveau fleuron de la C.G.T. de rivaliser avec les monstres produits par les industries britannique et allemande.

Comme on l’avait déjà commencé avec la Provence, on cherche plutôt sur France à séduire une riche clientèle, notamment américaine, en lui offrant un aperçu du luxe à la française, ce qui lui vaudra le surnom de « Versailles de l’Atlantique ». Logés dans des suites ou des cabines dotées de tout le confort moderne, les passagers de première classe profitent du faste du grand salon Louis XIV, du salon mauresque, du raffinement de la cuisine servie dans la splendide salle à manger. Pour les immigrants en revanche, c’est toujours direction l’entrepont… 

Compagnie Générale Transatlantique, France, affiche d'Albert Sébille, © Photo RMN-Grand Palais - J.-G. Berizzi, DR. L'agrandissement montre le Salon Louis XIV,  photographie de Georges-Clerc Rampal, 1913, université de Washington, États-Unis.

Ironie de l’histoire, France quitte Le Havre pour sa traversée inaugurale le 20 avril 1912, cinq jours seulement après la tragédie du Titanic, et arrive à New York en moins de six jours, dans une ambiance plutôt lugubre, loin de l’atmosphère de liesse réservée habituellement aux nouveaux transatlantiques.

Toujours limitée par les capacités du port du Havre, malgré les récents aménagements, la Transat met sur cale en 1913 un paquebot inspiré du modèle France, avec la volonté affichée de poursuivre dans la voie du haut de gamme. 

De crise en crise

Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, au mois d’août 1914, les paquebots qui sont encore à New York ou en mer, comme la Lorraine, doivent regagner la France au plus vite en évitant les mauvaises rencontres. Une fois de retour au pays, les bateaux sont réquisitionnés et armés, puis pour certains transformés en transport de troupes ou en navire hôpital.

Transport de troupes à bord du paquebot La Provence, 21 novembre 1915, Le Miroir n° 104.France par exemple, auparavant symbole des jours heureux, devient successivement croiseur auxiliaire, transport de troupes pendant la très hasardeuse opération des Dardanelles, bateau sanitaire, puis à nouveau transport de troupes après l’entrée en guerre des États-Unis. Il reprendra son service civil après le conflit. La Provence en revanche, torpillée le 26 février 1916 par l’U-Boot 35, sombre en Méditerranée en emportant environ 1 600 âmes. À peu près autant que le Titanic

Publié ou mis à jour le : 2019-06-24 12:48:08

Voir les 4 commentaires sur cet article

jean Ricodeau (05-07-2018 09:32:12)

article intéressant ! Une épopée qui est maintenant du passé. Je lis en ce moment sur un sujet similaire : william J. Jennings JR & Patrick T. Conley, "Aboard the Fabre Line to Providence, imm... Lire la suite

Hugo (26-06-2018 12:35:26)

Post Scriptum Il ƒaut aussi rappeler que, réƒugié en France après la révolution de 1917 ; lui, qui était couvert de diplômes et récompenses pour ses nombreux navires russes, de commerce ou m... Lire la suite

Anonyme (26-06-2018 12:22:40)

Bonjour, Décidément tout le monde parle de ce ƒameux "Ruban bleu" mais PERSONNE ne dit qu'il est dû en grande partie ((malgré les inquiétantes vibrations des hélices mal équilibrées))...dû ... Lire la suite

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