Edgar Allan Poe (1809 - 1849)

Le poète maudit de l'Amérique

Samuel L. Watch, Edgar Allan Poe âgé de 26 ans, 1835, coll. privée. Vingt ans plus tard, le portrait d'Edgar A. Poe réalisé par Charles Hine en 1855, Cleveland Public Library (voir l'agrandissement).Poète famélique ou génie du récit fantastique, critique impitoyable ou alcoolique notoire, qui était cet Edgar Allan Poe que la littérature américaine porte aujourd'hui aux nues ?

Pourquoi Charles Baudelaire s'est-il emparé avec avidité de son œuvre, n'hésitant pas à consacrer 17 années de sa vie à la traduire ?

Nous vous invitons à la découverte de ce personnage étonnant, tout en contradictions, au point qu'on ne peut que l'adorer ou le détester. À vous ensuite de choisir votre camp !

Isabelle Grégor

Un mauvais départ

Pour Edgar Poe, la vie aurait pu être souriante : né le 19 janvier 1809 à Boston, il est le petit-fils de David Poe, ce compagnon d'armes que La Fayette appréciait tellement qu'il n'oublia pas de venir saluer sa veuve lors de son voyage triomphal aux États-Unis, en 1824.

Portrait de la mère d'Edgar Poe, extrait du livre La vie d'Élizabeth Poe , Free Library of Philadelphia, Rare Book Department. L'agrandissement montre le portrait du père d'Edgar Poe, John Allan, s. d.Mais les parents d'Edgar ne profitent guère de cette renommée : comédiens, ils sont obligés de courir le cachet jusqu'à ce que le père s'évanouisse dans la nature, laissant sa femme Élizabeth et leurs trois enfants dans une extrême précarité.

La santé de la jeune femme se détériore alors rapidement et elle finit par mourir à Richmond à 24 ans, 15 jours à peine avant qu'un terrible incendie ne détruise le théâtre local, entraînant dans la mort 73 personnes.

Ce drame ne fait que conforter le couple Allan dans sa résolution de prendre soin du petit Edgar, désormais orphelin. Le voici élevé comme un aristocrate virginien, apprenant le latin, les bonnes manières du Sud et la boxe dans une école privée.

Élève brillant, « Eddy » devient un bel adolescent épanoui qui se nourrit de littérature et de kilomètres de nage. « Physionomie, démarche, gestes, airs de tête, tout le désignait, surtout dans ses bons jours, comme une créature d’élection » (Charles Baudelaire). En route pour la gloire !

Benjamin Tanner, Incendie du théâtre de Richmond, 1811, The New York Public Library.

La rupture

En 1826, le jeune Edgar, l'œil vif et le cheveu noir, pousse les portes de l'université de Charlottesville pour mener à bien des études littéraires.

Edgard A. Poe (à droite) avec ses amis de l'université de Virginie, Miles George et Thomas Goode Tucker, s. d. L'agrandissement montre la chambre d'Edgar Poe (n°13) à l'université de Charlottesville (reconstitution).Son beau-père a cependant une bien mauvaise idée : ne ressentant guère d'affection pour le garçon, il décide de ne pas lui donner un sou pour ses études.

Les conséquences ne se font pas attendre : à 17 ans le futur poète plonge dans les jeux de cartes, les dettes et un alcoolisme nourri par son premier chagrin d'amour pour la belle Elmira, mariée à un autre. C'en est trop pour John Allan qui s'empresse de ramener son fils adoptif manu militari à la maison.

La cohabitation est brève puisque 4 mois plus tard, en mars 1827, le jeune homme quitte Richmond sans un dollar en poche mais des rimes plein la tête. « Je suis jeune et je suis poète !  » écrit-il alors, rempli d'espoir.

En attendant la gloire il choisit de s'engager dans l'artillerie comme secrétaire, 2 années durant. Quel ennui ! De ces longues heures naît sa première œuvre importante, le poème « Tamerlan » qui sera suivi en 1829 par le mystique « Al Araaf ».

Pour se construire un avenir, Poe entre à l'Académie militaire de West Point où il aurait pu faire carrière s'il ne s'était disputé, une fois de plus, avec son père qui ne veut plus avoir à servir de débiteur. Passage devant la cour martiale pour négligence et désobéissance, exclusion... Le revoici à la rue.

The Conchologist's First Book, 1839, Library of Virginia. L'agrandissement montre une estampe d'Alphonse Legros, La vérité sur le cas de M. Valdemar, extraite du premier recueil de récits d'Edgar A. Poe, Les Contes du Grotesque et de l'Arabesque, en 1840, Paris, BnF.

Il faut « battre monnaie de sa cervelle »

Sa première publication, réalisée grâce à une souscription des cadets de West Point, ne peut rien faire contre le dénuement total dans lequel il est plongé. Obligé de se réfugier chez sa tante Maria Clemm qui le soutiendra jusqu'au bout, il y passe trois années aux côtés de sa cousine Virginia, 9 ans à l'époque.

Virginia Clemm Poe, dessin, Lilly Library, Indiana University, Bloomington. L'agrandissement est le portrait de Virginia peint après sa mort, 1847. De nouveau, il reprend son habit de poète famélique, tâtant même de la prison pour dettes en 1833. Il commence alors à écrire des contes qui sont assez vite remarqués puisqu'il reçoit un premier prix décerné par un journal de Baltimore.

La presse, qui explose à cette époque, a en effet besoin de textes et de plumes originales. C'est une chance pour Poe qui devient collaborateur du Southern Literary Messenger pour lequel il écrit critiques et contes quelque peu étranges.

Il en oublierait presque que la petite Virginia a bien grandi : elle est désormais âgée de 13 ans et en admiration devant son cousin. Il va naître entre eux un tel amour que la mère de la jeune fille finit par accepter qu'ils se marient.

Pourtant le fiancé n'est guère fréquentable : miné par l'angoisse de perdre la raison comme sa sœur retardée et son frère alcoolique, il vit dans un état dépressif presque permanent qui le pousse à boire et à s'aliter régulièrement, victime de terribles maux de tête.

Gustave Courbet, La vague, 1869, musée des Beaux-Arts de Lyon. L'agrandissement montre une illustration du récit d'Edgar Allan Poe, Les Aventures d'Edgar Gordon Pym de Nantucket, publié par Stone & Kimball, 1895.

L'ange exterminateur

Pour faire vivre sa jeune épouse et la mère de celle-ci, Poe sait qu'en tant qu'Américain, il ne peut compter sur la littérature. Le marché est en effet inondé à 90% par les livres anglais, et rien ne protège les droits d'auteur.

Il se lance donc dans une série de critiques littéraires dont la violence extrême vaudra à sa plume le surnom de « tomahawk ». Pas de pitié ! N'a-t-il pas aimé un livre ? Il massacre : « Nous n'épargnerons pas notre peine pour exposer pleinement au regard du public ces 443 pages d'idiotie avérée, de boursouflure et de vide ».

Jules Verne, Edgard Poe et ses oeuvres (1862), dessin Frederic Lix et Yan' Dargent, intitulé L'apparition. L'agrandissement montre une illustration pour Les Aventures d'Athur Gordon Pym sous-titrée : Il est apparu sur notre chemin une figure humaine enveloppée. Bien sûr, les lecteurs adorent les coups de griffes de celui qui est désormais rédacteur en chef. Mais la consécration est encore loin : sa radicalité lui a fermé toutes les portes des maisons d'édition qui ne voient d'ailleurs pas l'intérêt de publier ses histoires courtes et sanglantes.

Qu'à cela ne tienne ! Il se lance dans la rédaction des Aventures d'Arthur Gordon Pym, le seul roman qu'il terminera. À sa publication en 1838, les critiques se font bien entendu une joie de dénigrer à leur tour l'œuvre. Cette histoire de voyage en mer cauchemardesque, soi-disant réel, c'est n'importe quoi !

Décidément New York, où il pensait prendre un nouveau départ, ne se montre guère accueillante. Il se résigne donc à revenir à Philadelphie où, pour nourrir sa famille, il accepte de rédiger un traité sur les coquillages qui se révèle un tel succès que ce sera le seul ouvrage réédité de son vivant. Parallèlement il poursuit la rédaction de ses contes, ses « morceaux de fantaisie » qui sont enfin réunis en 1840 sous le titre Tales of grotesque and Arabesque (traduit par « Histoires extraordinaires »).

Edgar Allan Poe, Histoires extraordinaires, Le Chat noir, dessins de Gris Grimly.

Poe fantastique et policier

« Histoires extraordinaires »... C'est sous ce nom qu'ont été popularisées en France les nouvelles fantastiques de Poe. Si ce genre, qui existe depuis l'Antiquité, était revenu à la mode avec la vague gothique du romantisme, il trouve chez l'Américain un nouveau souffle grâce à des récits qui plongent dans l'indicible. N'hésitant pas à flirter avec le morbide, ses œuvres ont avant tout pour but d'analyser la nature humaine, censée d'autant mieux se révéler que les circonstances sont cauchemardesques. « Je ne suis pas fou ! » prétend ainsi le narrateur du « Chat noir » avant de martyriser gratuitement l'animal et d'assassiner à coups de hache, tout aussi gratuitement, sa femme. Mais l'écriture minutieuse de ce passionné de mathématiques s'est particulièrement bien épanouie dans ce qu'il appelait ses « contes de ratiocination ». Au nombre seulement de trois, (« La Lettre volée », « Le Double Assassinat dans la rue Morgue », « Le Mystère de Marie Roget  »), ces histoires comportent déjà tout ce qui va faire la richesse du genre policier : un meurtre mystérieux, un détective à l'œil affûté, une enquête fondée sur quelques indices et beaucoup de logique, une résolution inattendue. Dans ces nouvelles, c'est le chevalier Dupin qui grâce à un sens de l'observation infaillible va lever le mystère sous le regard admiratif d'un ami, le narrateur. Cela ne vous rappelle rien ? Sherlock Holmes et le docteur Watson ne sont pas loin...

La lettre volée, dessin de Frederic Lix et Yan' Dargent, 1864. L'agrandissement montre un dessin de Hermann Wögel illustrant Le mystère de Marie Roget, Paris, Albert Quantin, 1884.

Au royaume de l'errance

Pour mettre fin à une carrière de pigiste qui le mène d'un magazine à un autre, il décide de créer son propre journal, le Penn Magazine, « revue littéraire mensuelle » destinée à la diffusion d'une « critique d'une totale indépendance ».

George Peter Alexander Healy, portrait de John Tyler (1790-1862) en 1859. Il fut le 10e président des États-Unis (1841-1845), National Portrait Gallery, Smithsonian Institution. L'agrandissement présente un daguerreotype d'Edgar Allan Poe (The Kingsley Daguerreotype), s. d., New York, The Morgan Library and Museum.L'enthousiasme de l'écrivain ne peut cependant rien faire face à la crise économique qui touche alors de plein fouet la presse. Miné par cet échec, régulièrement cloué au lit et vivant désormais grâce à la charité de sa belle-mère, il doit en plus à partir de 1842 faire face à la maladie de sa chère « petite femme » Virginia qui montre les premiers signes d'une tuberculose.

Poe retombe alors dans ce qu'il appelle ses « irrégularités », ces escapades alcoolisées pendant lesquelles il peut adopter un comportement totalement déplacé. C'est ce qui se passe en 1843, alors même qu'il doit être reçu par le président Tyler dont le fils est un de ses grands admirateurs. Invité à boire quelques verres de porto lors d'une réception, il « s'est montré, par intervalles, tout à fait insupportable […] et se donne en spectacle […], serv[ant] d'amusement à des imbéciles » (lettre de J. E. Dow).

Comme à chaque fois, redevenu sobre, Poe se lance dans des excuses et invite ses amis à ne rien dire « du manteau porté à l'envers et autres peccadilles de ce genre » (lettre à J. E. Dow). Malgré ces précautions, sa mauvaise réputation commence à s'étendre et l'on se méfie de plus en plus de ce conférencier, certes capable d'écrire des textes inclassables comme « Le Scarabée d'or » (1843), mais par trop ingérable. Il est temps de quitter la vieille Philadelphie et de porter ses ambitions à New York, la ville des possibles.

Nevermore...

Publié en 1845, « Le Corbeau » est le plus célèbre poème d'Edgar Poe. Il y raconte la visite que reçoit le narrateur, dévasté par la perte de son amour Lénore...
Le Corbeau, Edgar Poe, 1845. Dessins d'Édouard Manet en 1875.« Une fois, sur le minuit lugubre, pendant que je méditais, faible et fatigué, sur maint précieux et curieux volume d’une doctrine oubliée, pendant que je donnais de la tête, presque assoupi, soudain il se fit un tapotement, comme de quelqu’un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre. » « C’est quelque visiteur, - murmurai-je, - qui frappe à la porte de ma chambre ; ce n’est que cela, et rien de plus. » […]
Je poussai alors le volet, et, avec un tumultueux battement d’ailes, entra un majestueux corbeau digne des anciens jours. Il ne fit pas la moindre révérence, il ne s’arrêta pas, il n’hésita pas une minute ; mais, avec la mine d’un lord ou d’une lady, il se percha au-dessus de la porte de ma chambre ; il se percha sur un buste de Pallas juste au-dessus de la porte de ma chambre ; il se percha, s’installa, et rien de plus.
Alors cet oiseau d’ébène, par la gravité de son maintien et la sévérité de sa physionomie, induisant ma triste imagination à sourire : « Bien que ta tête, - lui dis-je, - soit sans huppe et sans cimier, tu n’es certes pas un poltron, lugubre et ancien corbeau, voyageur parti des rivages de la nuit. Dis-moi quel est ton nom seigneurial aux rivages de la Nuit plutonienne ! » Le corbeau dit : « Jamais plus ! » […] (traduction de Charles Baudelaire, 1871).

Le Corbeau. The Raven. Traduction française de Stéphane Mallarmé avec illustrations par Édouard Manet. Paris, Richard Lesclide, 1875.

La déchéance du Corbeau

10 dollars : à New York, c'est tout ce que possède la famille Poe pour s'offrir une nouvelle vie.

Le Corbeau illustré par Gris Grimly.Edgar se remet alors au travail et réussit à faire publier un conte par mois dans divers magazines. Mais c'est encore trop peu pour lutter contre la misère et l'aggravation de la santé de Virginia.

Il cherche donc à se diversifier et, en 1845, réussit un coup de maître avec l'écriture du « Corbeau » : « poème de l’insomnie du désespoir » selon Baudelaire, ce texte aujourd'hui considéré comme un des classiques de la littérature américaine lui apporte cette renommée tant attendue.

Tout le monde alors connaît par cœur les vers pleins de mélancolie du « Corbeau » ! Il y gagne un surnom, une accusation de plagiat et des invitations à présenter son œuvre. L'éclaircie est de courte durée puisque, la santé de Virginia ne cessant de décliner, les « extravagances » alcoolisées de celui qui « ne buvait pas en gourmand, mais en barbare, » (C. Baudelaire) se multiplient jusqu'au décès de la jeune femme, en janvier 1847, à 25 ans.

Portrait de Sarah Helen Whiteman, 1835, Brown University.Incapable de rester seul, Poe se remet en quête d'une âme sœur qu'il pense bien trouver parmi ces poétesses qui ne cessent de lui envoyer éloges et lettres.

Parmi celles-ci, Sarah Withman est la plus attachée à Poe et serait prête à l'épouser s'il acceptait d'arrêter de boire. Mais face aux nombreuses calomnies lancées par les nombreux ennemis de l'écrivain, la fiancée finit par abandonner sa promesse de mariage. Un échec de plus dans la vie de Poe...

Quand Poe évoque son alcoolisme

« Vous dites : pouvez-vous me faire comprendre à demi-mot quel était le mal terrible qui fut responsable des irrégularités si profondément déplorées ? […] Ce mal fut le pire qui puisse frapper un homme. Il y a six ans, une femme que j'aimais comme jamais homme n'aima, se rompit, en chantant, un vaisseau sanguin. On désespéra de sa vie. Je lui dis un adieu éternel et je passai par toute l'agonie de sa mort. Elle se remit partiellement […] Puis de nouveau, l'année suivante. Puis encore et encore, à des intervalles variés. Chaque fois, je vivais toutes les agonies de sa mort et à chaque retour de sa maladie je la chérissais davantage et m'accrochais à sa vie avec une opiniâtreté plus désespérée. Mais je suis d'une constitution sensible – et nerveux à un degré peu commun. Je devins fou, avec de longs intervalles d'une horrible lucidité. Lors de ces accès d'absolue inconscience, je buvais, Dieu sait à quel rythme et en quelle quantité. Il va sans dire que mes ennemis rapportaient la folie à la boisson et non pas la boisson à la folie » (lettre citée par Georges Walter).

George Caleb Bingham, The County Election, 1846. Ce tableau montre un juge de scrutin et des électeurs ivres. L'agrandissement est une illustration de la méthode du cooping, 1857, Library of Congress.

Agonie et résurrection

Le 27 septembre 1849, Poe monte sur un bateau, destination Baltimore. Il n'y arrivera jamais, disparaissant 3 jours complets dans cette ville avant d'être retrouvé le 3 octobre gisant sur un trottoir, inconscient.

Illustration de James William Carling pour Le Corbeau, 1882, paru dans La Revue Blanche, 1895. L'agrandissement montre une illustration de Louis Legrand pour Quinze Histoires d’Edgar Poe, imprimé pour les Amis des livres par Chamerot et Renouard, Paris, 1897.On lui a volé son bagage et ses vêtements, remplacés par d'autres, déchirés, souillés et trop grands, mais il tient encore à la main la canne qu'il a prise par mégarde chez un ami. Que s'est-il passé ?

L'hypothèse la couramment admise est qu'il aurait été enivré et dévalisé par des agents électoraux qui avaient alors l'habitude de s'adonner au cooping (« la mise en cage ») : il s'agissait de traîner les passants vers les bureaux de vote, quitte à se faire aider par quelques rasades d'alcool, et de les forcer à « exprimer leur voix » avant de les rejeter à la rue.

Conduit à l'hôpital, le poète de 40 ans agonise loin des siens 4 jours durant, en proie au délire. Quelques jours plus tard ce sont à peine 5 ou 6 personnes qui suivent son cercueil, placé sous une simple pierre du cimetière de Baltimore.

Dévoilement de la nouvelle tombe d'Edgar Allan Poe au cimetière de Westminster, à Baltimore, vers 1875. L’agrandissement montre une illustration des Poèmes d'Edgar Poe, traduction de Stéphane Mallarmé, 1889.Très vite, la nouvelle fait le tour du monde littéraire, et c'est l'hallali : le révérend Griswold, soi-disant exécuteur testamentaire du poète, assassine l'œuvre « d'un ivrogne, d'un malade mental, d'un homme capable et coupable des pires forfaits […], le plus grand plagiaire de tous les temps ».

Mais Poe n'aura pas à attendre longtemps pour que l'originalité de ses écrits soit reconnue notamment grâce à Charles Baudelaire qui commence à faire paraître ses traductions des contes en 1848, leur offrant une large diffusion.

Puis c'est au tour de Stéphane Mallarmé de s'emparer des poèmes de l'Américain et d'offrir une version du « Corbeau » illustrée par Édouard Manet. Aujourd'hui Poe, qui aimait à répéter « J'aime la gloire !  », a définitivement trouvé sa place dans la littérature mondiale.

Une tradition bien mystérieuse...

Il n'y a pas que la mort d'Edgar Poe qui fut mystérieuse ! Enterré d'abord sous une pierre sans nom, il dut attendre quelques années pour que sa famille puisse lui offrir une stèle en marbre blanc, finalement détruite.

Tombe d'Edgar Allan Poe, Baltimore. L'agrandissement montre le manuscrit du « Tombeau d'Edgar Poe Â» de Stéphane Mallarmé, 1877, Stuttgart, Landesbibliothek.Ce n'est qu'en 1913 qu'un lourd monument de granit est érigé à l'endroit où il repose en compagnie de sa femme et de sa belle-mère. Sous ce « Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur » (Stéphane Mallarmé, « Le Tombeau d'Edgar Poe », 1914), le poète peut enfin reposer sereinement... enfin pas tout à fait.

Depuis le début des années 30, tous les 19 janvier, date anniversaire de sa naissance, une main anonyme vient déposer sur la tombe trois roses et une bouteille de cognac entamée. Le petit manège dure ainsi des décennies sans que les curieux ne parviennent à percer l'identité du mystérieux admirateur.

Mais en 2010, la tombe se réveille sans ses présents, plongeant la ville de Baltimore dans la consternation. Pour poursuivre la tradition, la Société historique du Maryland a engagé un nouveau toaster (« trinqueur », d'après le surnom que lui ont donné les habitants). Edgar Poe peut continuer à attendre son cognac du 19 janvier.

Une vie de tempête

Fasciné par le parcours et l'œuvre d'Edgar Poe dans lequel il voit son double, Charles Baudelaire n'a cessé de rendre hommage à cet amoureux du Beau, à cet « homme désaccordé au point d’exprimer la douleur par le rire  » :
Daguerreotype d'Edgar Allan Poe (The Annie Daguerreotype), 1849, Los Angeles. L'agrandissement montre le dernier portrait de Charles Baudelaire réalisé par Étienne Carjat, Paris, 1865.« Dans ces derniers temps, un malheureux fut amené devant nos tribunaux, dont le front était illustré d’un rare et singulier tatouage : Pas de chance ! Il portait ainsi au-dessus de ses yeux l’étiquette de sa vie, comme un livre son titre, et l’interrogatoire prouva que ce bizarre écriteau était cruellement véridique. […] Causez de Poe avec un Américain, il avouera peut-être son génie, peut-être même s’en montrera-t-il fier ; mais, avec un ton sardonique supérieur qui sent son homme positif, il vous parlera de la vie débraillée du poète, de son haleine alcoolisée qui aurait pris feu à la flamme d’une chandelle, de ses habitudes vagabondes ; il vous dira que c’était un être erratique et hétéroclite, une planète désorbitée […] Hélas ! celui qui avait franchi les hauteurs les plus ardues de l’esthétique et plongé dans les abîmes les moins explorés de l’intellect humain, celui qui, à travers une vie qui ressemble à une tempête sans accalmie, avait trouvé des moyens nouveaux, des procédés inconnus pour étonner l’imagination, pour séduire les esprits assoiffés de Beau, venait de mourir en quelques heures dans un lit d’hôpital, — quelle destinée ! » (Edgar Poe. Sa vie et ses œuvres, 1852).
« Savez-vous pourquoi j'ai si patiemment traduit Edgar Poe ? Parce qu'il me ressemblait. La première fois que j’ai ouvert un livre de lui, j’ai vu, avec épouvante et ravissement, non seulement des sujets rêvés par moi, mais des phrases, pensées par moi, et écrites par lui, vingt ans auparavant » (lettre de 1864 à Théophile Thore).

Bibliographie

Charles Baudelaire, Edgar Poe. Sa vie et ses œuvres, 1852,
Georges Walter, Enquête sur Edgar Allan Poe, poète américain, éd. Phébus (Libretto), 1998.

Publié ou mis à jour le : 2020-06-26 18:02:33

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