18 avril - 13 mai 2009

Le destin de l'Inde en balance

Dans la frénésie des meetings et la cacophonie des haut-parleurs montés sur des camionnettes, l'Inde renouvelle le Lok Sabha, la chambre basse du parlement. Ces élections sont les premières depuis les attentats de Bombay qui ont plongé l'Inde dans une phase de doute et de regain de tension avec le frère ennemi pakistanais.

[voir notre dossier : l'Inde sous tension]

La République fédérale de l'Inde rassemble 28 États et 7 territoires. Le pouvoir central, installé à Delhi, tout au nord du pays, dispose du monopole de décision sur les sujets de politique étrangère, défense, monnaie, communications et impôts sur les sociétés, tandis que les États fédérés légifèrent sur certaines questions relevant de l'éducation, de la santé ou des relations sociales. Chacun de ces États dispose d'un parlement et d'un gouvernement qui lui est propre.

Le parlement national - Lok Sabha signifie «la maison du peuple» - comporte 545 sièges, dont environ 130 réservés aux dalits (intouchables ou parias) et populations tribales. Il n'existe en revanche pas de politique de discrimination positive à l'égard des femmes à l'échelle nationale, mais seulement pour les élections locales.

Tout Indien de plus de 18 ans peut voter pour renouveler le Lok Sabha, tous les cinq ans, ce qui fait un total d'un peu plus de 700 millions d'électeurs ! En raison de la taille du pays et du nombre élevé de citoyens, les élections sont étalées sur plusieurs semaines (5 phases distinctes).

Béatrice Roman-Amat

Deux partis principaux... et une multitude d'autres

Vétéran des partis politiques indiens, fondé en 1885, le parti du Congrès a exercé le pouvoir à l'échelle fédérale, sans discontinuer, de 1947 à 1977 sous la direction de Nehru, de sa fille Indira Gandhi, puis de 1980 à 1989, de 1991 à 1996 et depuis 2004. Son image de parti de l'indépendance et de défenseur d'un État séculier, laissant une place à toutes les communautés religieuses, lui vaut la sympathie et la fidélité de nombreux électeurs indiens. Mais l'épuisement de la famille Nehru-Gandhi et l'absence de leader charismatique après le vieux Singh (81 ans en 2014) inspirent les plus grandes craintes quant à son avenir immédiat.   

Le BJP (Bharatiya Janata Party, «Parti du peuple indien» - nationalistes hindous) représente la deuxième force de la vie politique indienne et pourrait ravir la première au parti du Congrès à l'issue des élections de 2014, sous la direction de Narendra Modi.

Défenseur de «l'Hindutva», ou identité hindoue, il est souvent accusé d'attiser les tensions communautaires, entre hindous et musulmans ou hindous et chrétiens. On lui reproche notamment d'avoir contribué à la campagne qui a conduit à la destruction de la mosquée d'Ayodhya, dans le nord du pays, en 1992, par une foule d'extrémistes hindous. Cette mosquée avait été construite au XVIe siècle sur le site considéré par les hindous comme le lieu de naissance du dieu Ram. Des massacres de musulmans, notamment dans le Gujarat, l'État qui vit naître Gandhi, suivirent l'épisode de la mosquée d'Ayodhya. Parti des castes supérieures et des commerçants, plus libéral économiquement que le Congrès, le BJP a du mal à se débarrasser de son image de parti de la «hindi belt», au nord du pays.

L'Inde compte également un Parti Communiste particulièrement puissant dans les États du Bengale Occidental (Calcutta) et du Kerala, tout au sud.

En outre, de très nombreux partis n'existent que dans un ou quelques États de la fédération, tout en prétendant participer à des coalitions à l'échelle nationale. C'est le cas du BSP, parti qui représente les dalits (intouchables) de l'Uttar Pradesh, mais attire également les votes de musulmans et paradoxalement de brahmanes, la caste la plus élevée de l'hindouisme. L'Uttar Pradesh est l'État le plus peuplé de la fédération (et aussi un des plus pauvres) et envoie 80 députés au parlement de Delhi. Son leader, la très controversée Mayawati Kumari (53 ans), souvent taxée de populisme, se verrait volontiers Premier Ministre. Le sud du pays compte quant à lui plusieurs partis qui se réclament de l'identité dravidienne (la population qui a précédé dans la péninsule les Indo-Européens ou Aryens du nord).

Prix du riz, déflation et chômage

Les élections de 2009 se déroulent dans un contexte difficile pour l'Inde que la récession mondiale n'épargne pas. Ses dirigeants prévoient une croissance d'environ 7% pour l'année fiscale 2008-2009, soit la plus faible depuis 6 ans. Le pays a besoin d'une croissance de 8 à 9% pour continuer à faire reculer la pauvreté et éviter une augmentation massive du chômage.

La demande intérieure, principal facteur de croissance, a déjà chuté pour les produits manufacturés et l'immobilier. Les exportations indiennes s'effondrent, notamment pour les produits textiles. Un secteur qui se situe juste après l'agriculture en termes d'importance pour l'emploi et économie indienne. La forte baisse des taux d'inflation fait craindre l'entrée du pays dans une phase de déflation aux alentours du moment des élections.

Une augmentation substantielle du budget de la défense, probable quel que soit le vainqueur des élections, contribuera aussi à détériorer l'état des finances indiennes. La tension avec le Pakistan va en effet crescendo depuis les attentats de Mumbai, à l'automne dernier. L'Inde accuse son voisin de retarder l'enquête et de ne pas agir assez énergiquement contre les mouvements terroristes à l'origine des attaques. Les infiltrations d'extrémistes pakistanais au Cachemire indien se sont également multipliées ces dernières semaines. Depuis l'indépendance de 1947, Inde et Pakistan, aujourd'hui puissances nucléaires, n'ont cessé de s'affronter, par les armes (1948, 1965) et par les mots.

Congrès, BJP et «3e front»

Les élections législatives de 2009 mettent aux prises le parti du Congrès et son principal adversaire, le BJP. Tous deux doivent chercher le soutien de petits partis aux intérêts souvent divergents. Mayawati, leader charismatique du BSP, apporte de son côté un soutien mesuré à l'initiative de «3e front», ni-BJP ni-Congrès, initié par de petits partis, dont le parti communiste indien. Ce 3e front aime à se présenter comme la solution du changement face aux deux mastodontes nationaux.

Pour rassurer l'électorat du Congrès, Manmohan Singh a promis un riz à 3 roupies par kg (Rs/kg) pour toutes les familles vivant en dessous du seuil de pauvreté, au risque d'aggraver un déficit public déjà abyssal. Malgré la croissance continue de la population urbaine, 65% des Indiens continuent à dépendre de l'agriculture pour leur subsistance et l'éradication de la pauvreté rurale constitue un des plus grands défis du futur gouvernement.

L'Inde choisit la continuité

En définitive, au terme des élections d'avril-mai 2009, le turban bleu du sikh Manmohan Singh continuera encore apporter pendant quelques années une touche de couleur aux réunions des grands de ce monde. Les électeurs indiens ont en effet reconduit le parti du Congrès et ses alliés au pouvoir.

Le parti de Manmohan Singh et Sonia Gandhi a même recueilli son meilleur score depuis 1991, alors qu'on lui annonçait une victoire à l'arrachée. C'est une bonne nouvelle pour le pays, déjà fragilisée par des tensions interreligieuses, une guérilla maoïste et des poussées séparatistes et qui n'avait pas besoin en plus d'une coalition fragile à sa tête.

Le principal défi du parti du Congrès consistera à éviter que la situation des 620 millions d'Indiens vivant déjà dans l'indigence la plus totale ne s'aggrave dans un contexte de fort ralentissement de la croissance. En Inde, le nombre de pauvres a doublé en valeur absolue depuis l'indépendance, même s'il a diminué en pourcentages. Cette Inde de la pauvreté rurale et des bidonvilles a été récemment exposée au monde entier dans Slumdog Millionnaire et Le Tigre Blanc (du jeune romancier Aravind Adiga, Booker Prize 2008), deux œuvres reconnues internationalement mais boudées par les élites indiennes, souvent désireuses de nier ces réalités.

Publié ou mis à jour le : 2019-04-30 00:23:51
Amiel (19-04-2009 17:09:38)

Il faudrait aussi parler du Sikhisme. le Premier Ministre de l'Inde actuel est un sikh (Manmohan Singh).

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