Si grande que soit l'émotion causée par les attentats islamistes, elle ne fait pas du terrorisme une caractéristique de notre époque. Des zélotes à Ravachol et au Sentier Lumineux, il nous a accompagnés tout au long des deux derniers millénaires.
Le terrorisme revêt des formes très diverses dont certaines peuvent même se teinter de légitimité. C'est la résistance à l'oppression étrangère et le tyrannicide.
Les autres formes de terrorisme ont en commun le massacre de civils innocents. C'est le terrorisme d'État (arme du fort face au faible) et le terrorisme révolutionnaire (arme du plus faible face au fort).
Le terrorisme sunnite de ce XXIe siècle relève du terrorisme « révolutionnaire ». Au Moyen-Orient, c'est une arme de guerre contre les chiites. En Europe, il vise au renversement d'une société tolérante et désarmée par des individus originaires de sociétés claniques et violentes qui, bien qu'accueillis avec bienveillance, n'arrivent pas à en adopter les valeurs : relations sociales fondées sur la confiance, réussite par le mérite et le travail...
Le terrorisme sunnite se distingue radicalement de ses prédécesseurs par la référence à la religion (islam) et le suicide sacrificiel, ainsi que par les nombreux soutiens dont il bénéficie dans la population de certaines cités européennes. Aucune autre forme de terrorisme dans l'Histoire ne réunit ces trois composantes !
Le terrorisme ou la résistance à l'oppression
On détecte les premières formes de terrorisme en Palestine, au 1er siècle de notre ère.
Engagés dans une guerre de libération contre les Romains et leurs collaborateurs, les zélotes - ou sicaires - sèment la terreur en égorgeant leurs victimes au milieu de la foule, sur les marchés. Traqués par les légions, ils finiront par se donner eux-mêmes la mort dans le siège de Massada.
Ce conflit constitue le premier cas historiquement attesté de résistance à l'oppression étrangère. L'Histoire nous en a offert depuis lors bien d'autres exemples, de la guérilla des Espagnols contre les armées napoléoniennes à la lutte contre l'occupant nazi, sans oublier la guerre menée par les juifs de Palestine contre l'occupant britannique.
On peut ajouter à cette liste les guerres de type colonial, les Irlandais contre les Anglais, les Macédoniens contre les Ottomans, les Kurdes contre les Turcs, le FLN algérien contre les Français, les Palestiniens contre Israël... À la différence des précédentes, ces guerres incluent des attentats aveugles contre les civils, coupables soit de collaborer avec le camp adverse soit tout simplement d'indifférence à la cause.
La Terreur, arme du faible contre le fort
Au Moyen Âge, les membres de la secte des Assassins n'hésitent pas à faire le sacrifice de leur vie quand ordre leur est donné de poignarder un ennemi.
Faute de pouvoir aligner des armées en nombre suffisant, cette secte emploie la Terreur, arme du faible contre le fort. Ses méthodes relèvent de l’assassinat politique ciblé, sur les marchés ou dans les mosquées.
Elle va perdurer pendant un siècle et demi, jusqu'à l'irruption au milieu du XIIIe siècle de guerriers nomades plus terribles qu'elle-même, les Mongols de Gengis Khan. Chassés de la steppe par la sécheresse, ils vont renverser de puissants empires, de la Chine à la Perse, en compensant leur infériorité numérique par la Terreur.
La Terreur d'État
La France invente la « terreur d'État » dans les années 1793-1794 en suspendant toutes les garanties judiciaires, « préfigurant une pratique qui va se développer considérablement au XXe siècle avec l’avènement des totalitarismes et de la violence à grande échelle », écrivent Gérard Chaliand et Arnaud Blin (Histoire du terrorisme, Fayard, 2015).
Un siècle plus tard, quand éclate la Révolution russe, Lénine puis Staline installent un nouveau terrorisme d’État plus brutal et plus durable que le précédent.
Le terrorisme d'État se retrouve dans tous les régimes totalitaires du XXe siècle avec son corollaire, l'arbitraire et la disparition des garanties judiciaires. Les dictatures latino-américaines ainsi que la République islamique d'Iran vont y avoir recours sans autre but que l'éradiquation des opposants.
La violence révolutionnaire
En Occident, au XIXe siècle, le déclin de la religion et de l'absolutisme s'accompagne de la libération de l'individu et de l'espérance en un monde meilleur. Il s'ensuit de nombreux courants de pensée dont certains, comme le nihilisme et le populisme, vont alimenter le terrorisme révolutionnaire.
Au moins à ses débuts, le terme de tyrannicide serait plus approprié concernant cette violence dirigée contre les gouvernants et leurs agents. La série commence avec Lincoln (1865) et se poursuit avec Alexandre II, Sadi Carnot (1894), Humbert 1er (1900), McKinley (1901) etc etc.
En France, les attentats sont plutôt le fait d'individus isolés qui se revendiquent de l'anarchisme. Ravachol, Auguste Vaillant et leurs émules plongent le pays dans une vague terroriste sans précédent en période de paix civile.
Les « années de plomb »
À la fin du XXe siècle, voilà qu'émerge une extrême-gauche révolutionnaire dans la jeunesse intellectuelle d'Europe. Elle se nourrit de la révolte étudiante contre l'intervention américaine au Vietnam et du mythe de la « révolution permanente » exporté par Fidel Castro, Che Guevara et Mao.
L’Italie est victime des Brigades rouges qui enlèvent et assassinent de nombreuses personnalités dont le leader politique Aldo Moro en 1978.
Ces « années de plomb » se terminent plus ou moins avec l'attentat de la gare de Bologne le 2 août 1980 par un groupe d'extrême-droite (85 morts).
En Allemagne, dans le même temps, sévit la Fraction Armée rouge ou Bande à Baader. Elle attaque des bases américaines en 1972 en tuant plusieurs personnes, enlève et assassine aussi des personnalités.
Isolées, sans enracinement populaire ni soutien extérieur, ces organisations extrémistes s'épuisent d'elles-mêmes dans les années 1980.
Le terrorisme moyen-oriental est d'abord le fait des Palestiniens en lutte contre Israël. Leur combat s'inscrit dans une perspective laïque. La prise d'otages aux Jeux Olympiques de Munich en 1972 fait prendre conscience au monde entier de la cause palestinienne. Mais celle-ci se marginalise dès la fin de la décennie cependant qu'éclate en Iran la révolution islamique.
Très vite épuisé par ses excès, le régime khomeiniste a recours au terrorisme d'État comme les conventionnels français de 1793. Il doit aussi faire face en 1980 à une agression de l'Irak voisin, dirigé d'une poigne de fer par le dictateur laïc Saddam Hussein, mascotte des Occidentaux. N'ayant pour seul allié que l'État d'Israël, l'Iran va employer contre ses ennemis extérieurs la Terreur, arme du faible contre le fort.
Une fois l'Irak hors-jeu, la République islamique d'Iran n'aura plus recours à la Terreur.
Mais sa révolution religieuse va résonner dans le monde musulman et en particulier dans le Proche-Orient arabo-sunnite, dont la jeunesse n'en finit pas de ruminer l'échec des révolutions nassériennes (Égypte) et baasistes (Syrie, Irak) à tonalité laïque, sociale et nationale. Elle va résonner aussi chez beaucoup de jeunes musulmans d'Europe qui peinent à s'intégrer à leur pays d'accueil et à ses valeurs (sacralisation du travail et de l'étude, égalité des sexes, liberté de pensée).
Dépitée par la modernité occidentale, cette jeunesse proche-orientale et islamo-européenne va donc chercher un idéal de rechange dans le salafisme, la forme la plus archaïque de la religion musulmane, prônée par les Frères musulmans et les wahhabites au pouvoir en Arabie séoudite et au Quatar.
Le ressentiment à l'égard de l'Occident et de la modernité est né dans les montagnes d'Afghanistan, à la faveur de la guerre contre les Soviétiques.
Avec le triple ou quadruple attentat du 11 septembre 2001 car, pour la première fois, il se traduit par le sacrifice assumé des terroristes.
Quinze ans plus tard, les attentats-suicides à la ceinture d'explosifs, à la voiture piégée et à la kalachnikov sont devenus affaire de routine au Moyen-Orient et en Europe.
- Au Liban ou en Irak, ces attentats-suicides sont le fait de jeunes Arabes sunnites qui s'en prennent à leurs voisins chiites. La Terreur est là employée comme arme de guerre contre l'ennemi séculaire.
- En Europe, à Paris, Londres ou Bruxelles, ils sont le fait de jeunes islamo-Européens qui tentent d'entraîner dans leur désespérance la société qu'ils haïssent pour n'avoir pas été en mesure de les intégrer et de s'y épanouir.
Leur point commun tient à l'intention suicidaire de leurs auteurs. C'est du jamais vu dans l'histoire du terrorisme... sauf le bref épisode des Assassins d'Alamout, aux XIIe et XIIIe siècles. Dans tous les cas, les auteurs d'attentats-suicides sont des musulmans. Ce sont aussi les seuls à se référer à la religion et à la promesse du paradis.
Quoi qu'il advienne, l'actuelle vague terroriste s'épuisera un jour ou l'autre comme les précédentes. Non sans avoir ébranlé les sociétés affectées par sa violence. Pour l'heure, les citoyens, en France et en Europe, témoignent d'une remarquable résilience.
Quelques oiseaux de mauvais augure décrivent le peuple comme un ramassis de vils racistes et cherchent une introuvable violence islamophobe qui validerait leurs préjugés et reporterait la responsabilité du terrorisme islamiste sur les victimes.
Au lieu de cela, les citoyens demeurent magnifiquement unis face à l'adversité et (sauf rarissimes exceptions) maîtrisent leurs nerfs. Le philosophe Yves Michaud n'exclut pas que les attentats contribuent in fine à renforcer les liens entre les Européens de toutes origines.
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Voir les 12 commentaires sur cet article
Maurice (01-11-2020 12:20:00)
Définir le terrorisme, voilà un essai bien risqué. Où commence le terrorisme ? Lutte armée pour les uns, terrorisme pour les autres ... La terreur est effectivement l'arme du faible contre le fort ave... Lire la suite
vasionensis (18-10-2020 16:55:06)
Article intéressant. Vous faites, contrairement aux journaux qui pondent mécaniquement du 'islamique', un judicieux départ entre chiites et wahabites, par exemple. En revanche, vous semblez admettre ... Lire la suite
Gilles Aerts (04-09-2020 22:37:53)
Gengis Khan épargnait les artisans et parfois les hommes de foi.