Le rapport des sociétés à leur passé

L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France

Introduction

La mémoire et l’histoire font référence au passé. Sans poursuivre les mêmes objectifs, leurs intérêts, les enjeux qu’ils recouvrent s’entrecroisent parfois, s’influencent au risque parfois de les confondre.

Comme l’histoire, la mémoire n’est pas figée, mieux vaut parler des mémoires. Ainsi, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le regard porté sur ce passé douloureux a muté depuis 1945, comment, pourquoi ? Quelles distinctions mettre en évidence, quelles complémentarités et quels enjeux sont liés aux mémoires et à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ?

Mémoire et histoire, une distinction nécessaire

La réflexion d’un historien sur ces questions, Antoine Prost

Le défi que les historiens doivent désormais relever est de transformer en histoire la demande de mémoire de leurs contemporains. C’est en fonction de la vie qu’il faut interroger la mort, disait fortement L. Febvre. On fait valoir sans cesse le devoir de mémoire : mais rappeler un événement ne sert à rien, pas même à éviter qu’il ne se reproduise, si on ne l’explique pas. Il faut comprendre comment et pourquoi les choses arrivent. On découvre alors des complexités incompatibles avec le manichéisme purificateur de la commémoration. On entre surtout dans l’ordre du raisonnement, qui est autre que celui des sentiments, et plus encore des bons sentiments. La mémoire se justifie à ses propres yeux d’être moralement et politiquement correcte, et elle tire sa force des sentiments qu’elle mobilise. L’histoire exige des raisons et des preuves.
Extrait de la conclusion de l’ouvrage d’Antoine Prost, Douze Leçons sur l’histoire, coll. Points Histoire, 1996.

Les réflexions et travaux des historiens permettent de mieux comprendre les nuances et les relations entre ces différents concepts. Ainsi, pour des historiens comme Antoine Prost ou encore Pierre Nora, les mémoires relèvent fondamentalement de la subjectivité, c'est-à-dire de leur détermination par les sujets qui les conçoivent.

La démarche de l’historien, quant à elle, est déterminée par une volonté d’objectivité et elle relève d’un processus de vérité, même si celle-ci est contingente et provisoire, relative aux sources, aux temps et à la position de l’historien. Comme telle, elle contient la possibilité de son évolution, voire de sa réfutation. C’est à cette condition qu’elle est scientifique.

Une société démocratique ne peut pas en rester à un rapport simplement patrimonial et mémoriel de son passé. Elle se doit de le regarder en face. Et pour cela, le travail de l’historien lui est indispensable.

De 1945 à nos jours, des mémoires françaises de la Seconde Guerre mondiale

Au lendemain de la guerre, la priorité pour les dirigeants français, de Gaulle et ceux qui lui succèdent en 1946, est de rétablir l’unité nationale. Il s’agit d’abord de faire oublier l’humiliante défaite de 1940 mais aussi le rôle joué par le régime de Vichy qui a étroitement collaboré avec l’Allemagne nazie.

La condamnation des responsables politiques (Pétain, Laval) puis de Français ayant collaboré passe par une période d'épuration sauvage puis légale entre 1945 et 1946. .

Les deux principales forces politiques, gaullistes et communistes tentent d’enraciner l’image d’une France unanimement résistante. L’histoire même participe à cette vision tronquée comme en témoigne l’ouvrage de Robert Aron, Histoire de Vichy publié en 1954. Il développe la thèse du bouclier (Pétain) et de l’épée (de Gaulle). Ce livre reste longtemps une référence malgré d’autres travaux d’historiens qui, dès 1951, montrent que le régime de Vichy est indissociable de la Collaboration. .

Le discours d’André Malraux en 1964 sur le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon est un temps fort de cette période de résistancialisme. Ce concept est forgé par l’historien Henry Rousso pour qualifier une vision de la résistance intérieure, celle des gaullistes et des communistes qui minimisent le soutien que les Français ont accordé à Vichy et les présentent comme majoritairement résistants. Cette vision d’une France unanimement résistante ou « résistancialiste » prévaut largement jusqu’à la fin des années 1960.

Le mythe résistancialiste –on peut bien parler d’un mythe dans la mesure ou les discours des élites qui ponctuent l’époque prétendent que la majorité des Français furent des résistants- ne disparaît pas d’un seul coup. Lorsqu’il devient trop difficile de le défendre, la question peut être évacuée. En 1972, Pompidou avait invité à la « réconciliation nationale » après avoir gracié Paul Touvier, il semblait proclamer une sorte d’« oubli », d’une période où « les Français ne s’aimaient pas »

Publié ou mis à jour le : 2018-11-27 10:50:14

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