L'énigme Napoléon résolue

René Maury et François de Candé-Montholon (Albin Michel,  2000)

L'énigme Napoléon résolue

Voici un essai qui tient à la fois du livre d'Histoire et du roman policier. Les auteurs ont conjugué leurs talents pour séduire les historiens tout autant que les amateurs de suspense et de beau style.

Les mobiles du crime se découvrent au fil des pages d'une manière haletante que n'auraient pas désavouée Conan Doyle et son héros Sherlock Holmes. De quoi plaire aux lecteurs de (bons) policiers, fussent-ils indifférents à l'épopée napoléonienne...

Les mystères de Sainte-Hélène

Le 5 mai 1821, Napoléon 1er meurt en exil sur l'île britannique de Saint-Hélène, dans l'Atlantique sud. Il a à peine 52 ans. Le gouverneur britannique de l'île, sir Hudson Lowe, s'empresse de publier un communiqué selon lequel il serait mort d'un cancer de l'estomac, comme son père.

Malgré quelques rumeurs sur un empoisonnement, les choses auraient pu en rester là si, en 1955, n'étaient publiées les Mémoires de Louis Marchand, le jeune valet qui avait assisté l'empereur dans ses dernières années et avait scrupuleusement noté tous ses faits et gestes.

Un dentiste et toxicologue suédois, Sten Forshufvud, se jette sur l'ouvrage et y relève 28 des 31 symptômes d'un empoisonnement lent à l'arsenic! L'enquête sur un éventuel crime est lancée 130 ans après la mort de la victime. Un record.

Différentes hypothèses circulent, avec des scénarios plus invraisemblables les uns que les autres, jusqu'à ce qu'un professeur d'économie de l'université de Montpellier se saisisse à son tour de l'enquête.

René Maury publie en 1994 un essai: L'assassin de Napoléon (Albin Michel), où il évoque déjà l'éventualité d'un empoisonnement chronique, à petites doses, par le surintendant de l'Empereur, le comte général Charles de Montholon.

Celui-ci aurait entrepris de verser d'infimes quantités de poison dans le vin de Constance («Klein Constantia»), un Sauvignon vendange tardive liquoreux d'Afrique du Sud réservé à l'Empereur, que celui-ci sirote à raison d'un ou deux verres par jour.

Les mobiles et les preuves

La première enquête de René Maury passionne les initiés sans toutefois emporter la conviction des plus éminents spécialistes de l'Empire comme l'historien Jean Tulard. Il est vrai que l'hypothèse d'un assassinat par un fidèle a de quoi laisser sceptique. Même Conan Doyle aurait du mal à rendre plausible pareil scénario.

Pourtant, René Maury y arrive avec le deuxième essai qu'il vient de publier sur la question, en collaboration avec François de Candé-Montholon.

Le descendant du présumé assassin a ouvert pour lui la correspondance privée de son aïeul. En confrontant les faits avec les mensonges, les non-dits et les supplications du comte, René Maury fait partager au lecteur sa certitude sur les mobiles et les preuves du crime.

Dans une habile progression, il montre l'empereur arrivant à Sainte-Hélène en 1815, à peine âgé de 46 ans et en pleine santé, entouré d'une suite de plusieurs dizaines de personnes. La crainte de chacun est de demeurer plusieurs décennies sur cet îlot inhospitalier que décrit fort bien François de Candé-Montholon.

Bientôt, la séduisante Albine de Montholon devient la maîtresse du grand homme, histoire de satisfaire ses besoins physiologiques, sans cesser de rester passionnément attachée à son mari, lequel lui rend son amour au centuple.

Montholon a eu connaissance du livre de souvenirs de la marquise de Brinvilliers, célèbre empoisonneuse du siècle précédent et spécialiste hors pair de l'arsenic. Avant qu'elle ne soit découverte et exécutée, d'illustres rejetons de l'aristocratie auraient tiré parti de son savoir-faire en «poudre de succession», surnom ironique donné aux poisons.

Il décide, sans en parler à quiconque, d'empoisonner l'empereur à petit feu dans l'espoir que le gouverneur de l'île, Hudson Lowe, le rapatriera en Europe afin de le faire soigner. Le gouverneur, en effet, craint plus que tout que l'on accuse la Grande-Bretagne et lui-même de porter tort à l'illustre prisonnier.

La manoeuvre échoue et bientôt, c'est Albine qui retourne, seule, en Europe où elle accouchera d'une fille. Montholon reste sur place dans l'espoir que sa fidélité sera récompensée par une donation testamentaire de l'empereur, lequel dispose d'une énorme fortune à Paris, chez le banquier Jacques Laffitte.

Loin de son égérie, Montholon désespère et se cherche un remplaçant. Il continue de verser de l'arsenic dans le vin de l'empereur. Il sait que la santé de celui-ci pourra se rétablir sitôt que l'empoisonnement aura cessé.

Mais un concours de circonstances précipite l'échéance fatale et secrètement désirée...

Le plus étonnant, dans les supputations de René Maury, est la manière dont Hudson Lowe et Charles de Montholon se seraient solidarisés pour faire accréditer la thèse d'un décès naturel suite à un cancer de l'estomac d'origine héréditaire, alors qu'aucun des cinq médecins présents à l'autopsie n'a envisagé cette hypothèse !

Comme dans tout bon roman policier, on connaît dès le début la victime. Reste à découvrir les mobiles de l'assassin et l'enchaînement des faits. À ce jeu, nos auteurs ont réussi un coup de maître. Ils ont prouvé que l'on pouvait encore mettre à jour des vérités intimes de l'Histoire lointaine.

L'énigme Napoléon résolue fera date parmi les 300.000 ouvrages déjà dénombrés sur l'épopée napoléonienne et, à défaut d'être reconnu comme un travail d'historien, il pourra se ranger parmi les meilleurs ouvrages de la littérature policière.

André Larané

Publié ou mis à jour le : 10/06/2016 09:42:47

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