Le règne de la loi

Le droit, une relique précieuse

3 mars 2008 : en proposant que de nouvelles dispositions pénales s'appliquent à des criminels déjà condamnés, le président Sarkozy conteste le principe de non-rétroactivité des lois. Il prend le risque d'ébranler ainsi le droit, garant de notre liberté et de notre bien-être...

Le règne de la loi (en anglais, rule of law) est à la base de notre démocratie. Il signifie que toute décision officielle doit être fondée sur une loi ou une coutume établies. Mais ne le confondons pas avec le concept d'État de droit qui nous vient des juristes allemands du XIXe siècle et laisse aux magistrats le soin non pas seulement d'exécuter les lois mais aussi de les interpréter, au risque d'outrepasser l'intention des législateurs qui les ont votées.

Le concept de droit nous est devenu tellement naturel que nous n'en percevons plus les fondement ni les bienfaits. Dans les faits, il est le fruit de plusieurs siècles, sinon plusieurs millénaires, d'efforts constants. C'est grâce à lui que, riche ou pauvre, faible ou puissant, éduqué ou analphabète, nous pouvons vivre en sécurité, sans craindre d'être dépouillé ou jeté en prison pour un oui, pour un non ou pour un rien.

Le droit est antérieur à la démocratie même si celle-ci ne se conçoit pas sans lui. Ainsi les rois de France respectaient-ils scrupuleusement les lois existantes, les us et les coutumes, sauf à de rares exceptions qui ne manquèrent pas de scandaliser les contemporains (par exemple, Louis XIV aggravant la peine infligée à Nicolas Fouquet).

Le droit, fondement de notre civilisation

Le droit remonte aux premières sociétés étatiques. Le premier code de lois que l'on connaisse est celui d'Hammourabi, il y a 4000 ans. Plus près de nous, il y a 1500 ans, l'empereur Justinien a rassemblé le droit romain dans un code qui a plus tard inspiré les juristes européens. Mais dans sa forme actuelle, qui s'applique à tous et fait fi des différences sociales ou autres, le droit est né au Moyen Âge, en Occident, plus précisément en France et en Angleterre, dans les deux premiers États modernes.

L'Europe lui doit l'avance qu'elle a pris sur les autres pays de la planète pendant plusieurs siècles. En témoigne ce voyageur arabe du XIIe siècle cité par Amin Maalouf : « En quittant Tibnin [près de Tyr, au Liban], nous avons traversé une suite ininterrompue de fermes et de villages aux terres efficacement exploitées. Leurs habitants sont tous musulmans, mais ils vivent dans le bien-être avec les Franj [les croisés de Terre sainte]. Leurs habitations leur appartiennent et tous leurs biens leur sont laissés. Toutes les régions contrôlées par les Franj en Syrie sont soumises à ce même régime : les domaines fonciers, villages et fermes sont restés aux mains des musulmans. Or le doute pénètre dans le coeur d'un grand nombre de ces hommes quand ils comparent leur sort à celui de leurs frères qui vivent en territoire musulman. Ces derniers souffrent, en effet, de l'injustice de leurs coreligionnaires alors que les Franj agissent avec équité » (Les croisades vues par les Arabes, page 301, J'ai Lu, 1983).

Le mot essentiel, dans ce texte, est équité. L'écrivain Amin Maalouf précise à propos de ce témoignage : « La notion de citoyen n'existe certes pas encore, mais les féodaux, les chevaliers, le clergé, l'université, les bourgeois et même les paysans "infidèles" ont tous des droits bien établis. Dans l'Orient arabe, la procédure des tribunaux est plus rationnelle ; néanmoins, il n'y a aucune limite au pouvoir arbitraire du prince. Le développement des cités marchandes, comme l'évolution des idées, ne pouvait qu'en être retardé ».

Non-rétroactivité des lois

L'un des principes fondamentaux du droit, sinon le principal, est la non-rétroactivité des lois pénales (un délit ou un crime ne peut être sanctionné qu'en fonction d'une loi déjà en vigueur au moment où il s'est produit).

L'hebdomadaire Valeurs actuelles du 29 février 2008 rappelle que ce principe est « de fait aussi ancien que le droit lui-même ». Nullum crimen sine lege, nulla poena sine lege preavia (« Pas de crime sans loi, pas de peine sans loi préexistante »), écrit au Siècle des Lumières Cesare Beccaria, jurisconsulte italien à l'origine du droit moderne (Des délits et des peines, 1764).

Bien évidemment, ce principe est évoqué dans notre sacro-sainte Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, promulguée en 1789, sous le règne de Louis XVI : « nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée » (article VIII). Il est repris dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (1948) : « nul ne peut être condamné pour un acte qui n'était pas réprimé ou interdit par un texte au moment où il a été commis » (article XI).

C'est dire le caractère choquant des propos de Nicolas Sarkozy, dans un entretien au journal Le Parisien (26 février 2008), quel que soit par ailleurs l'intérêt que l'on peut porter à ses idées. Souhaitant que l'on applique aux criminels déjà jugés et incarcérés son projet de loi sur la rétention de sûreté , qui permet de prolonger indéfiniment l'incarcération de criminels suspectés de pouvoir récidiver, il a déclaré : « J'aimerais qu'on ne mette pas ce principe de la rétroactivité au service des criminels les plus dangereux » !

À son grand dépit, les onze membres du Conseil constitutionnel, qui ont pour mission de veiller à ce que les textes de loi soient conformes à la Constitution de 1958, ont validé avec des réserves ledit projet de loi et ont interdit qu'il soit appliqué aux criminels déjà condamnés.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2023-04-04 12:01:19
Denise (05-03-2008 22:10:35)

Cet éditorial, par sa clarté devrait être lu et commenté à tous les élèves de CM2 ou plus tard, avec un petit exemple : dans la cour de l'école un petit camarade te " traite" comme l'on dit m... Lire la suite

Jean-François MARTIN (04-03-2008 12:28:47)

Je suis un peu surpris par cet éditorial qui me semble peu rigoureux sur le plan de la démarche historique. Pour se prononcer sur le sujet, il serait bon, tout d'abord, d'analyser la décision n° ... Lire la suite

Camille (03-03-2008 18:27:28)

Vous vous insurgez contre les propos de Sarkozy, sans doute sur la forme avec raison, mais vous vous gardez bien de proposer une solution pour les 15 prochaines années où la loi sur la rétention de... Lire la suite

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