Michel Psellos, spécialiste de la politique française, a identifié un bel exemple de manipulation qui a trompé tout à la fois journalistes, hommes politiques et avocats...
La dépêche d’Ems en 1870 est un exemple classique de manipulation par le chancelier Bismarck - qui souhaitait la guerre - d’un compte-rendu de propos entre le roi Guillaume 1er de Prusse - qui ne la souhaitait pas - et l'ambassadeur de France. L’empereur Napoléon III va tomber dans le piège et perdra la guerre.
À l'aune de cette manipulation, saluons comme il se doit celle de l'avocat Thierry Herzog à l’intérieur d’une affaire d’écoutes téléphoniques qui a défrayé la chronique parisienne ces derniers jours.
Il a réussi à retourner au plan médiatique une situation délicate en mystifiant ses confrères sur le point de savoir quel téléphone était écouté, le sien ou celui de son client Nicolas Sarkozy, lequel est également avocat, ce que les journalistes, les hommes politiques et les avocats eux-mêmes ont visiblement oublié.
Heureusement, tout cela ne devrait déboucher que sur une guerre des mots...
Politique et manipulation
Tout commence quand Le Monde révèle le vendredi 7 mars 2014 que les conversations téléphoniques entre Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog étaient écoutées « depuis un an ». Le cabinet de l'avocat venait en outre de faire l’objet d’une perquisition, en présence du bâtonnier de l’ordre des avocats comme il est de règle.
À l'instigation de Maître Herzog, qui a dénoncé la mise sur écoute abusive d'« un avocat » - sans préciser lequel -, ses confrères se sont indignés de cette violation du secret professionnel qui entraîne que toutes les conversations de cet avocat avec ses autres clients ont pu également être écoutées et que leurs dossiers ont pu être saisis lors de la perquisition de son cabinet.
Une pétition a été immédiatement signée par plusieurs centaines d’avocats et par le président du Conseil national des barreaux pour stigmatiser cette atteinte aux relations entre un avocat et son client (voir notre encart).
La polémique a enflé pendant le week-end et au début de la semaine suivante, à tel point que peu de commentateurs ont remarqué une mise au point faite le mercredi 10 mars par le nouveau parquet financier à l’Agence France-Presse : « les lignes téléphoniques de Maître Herzog n’ont jamais été interceptées et enregistrées », avec la précision suivante : « seule une ligne téléphonique, souscrite sous un nom d’emprunt, a été placée quelques heures sur écoutes, immédiatement interrompue dès lors qu’elle a été identifiée comme étant la sienne » (celle de Maître Herzog).
Les lignes de Maître Herzog n’ont donc pas été écoutées - sauf par inadvertance pendant quelques heures à la suite d’une tentative de dissimulation -, et si une écoute a bien eu lieu et a conduit les juges d’instruction à prévenir le bâtonnier de l’ordre des avocats un an auparavant (en fait six mois), c'est pour des raisons qui n'ont rien à voir avec Maître Herzog.
Que s’est-il donc passé, qui a provoqué cette protestation indignée des avocats ayant fait enfler l’affaire ? Tout simplement que Nicolas Sarkozy est lui-même avocat. Il a prêté serment le 16 septembre 1981 et s’est réinscrit au barreau de Paris à son départ de l’Élysée sous le numéro de toque R175.
Comme toute personne suspectée d’un délit pouvant donner lieu à une condamnation à plus de deux ans de prison, il a pu faire l’objet d’écoutes téléphoniques sur demande d’un juge d’instruction. Et en tant qu'avocat, il a bénéficié d’une procédure particulière : conformément à la loi, sa mise sur écoutes a été notifiée au bâtonnier de l’ordre des avocats par une lettre confidentielle des juges d'instruction.
Il n’y a donc pas péril en la demeure et les avocats en tant que tels n’avaient pas de raison de s’indigner du fait que les conversations téléphoniques de Nicolas Sarkozy, suspecté dans une affaire de financement libyen puis une affaire de trafic d'influence apparue incidemment, aient pu être écoutées et que ses conversations avec ses proches, comme avec son médecin, son notaire ou son avocat Maître Herzog l'aient été « par ricochet » : il est loisible à chaque citoyen de penser ce qu’il veut de ces deux affaires et du fait qu’un ancien président de la République soit mis sur écoutes, mais il s’agit là d’un jugement de nature politique qui ne concerne en rien l’ordre des avocats. Sinon, l’ordre des médecins aurait dû protester lui aussi, ainsi que l’ordre des notaires.
Comment un avocat se joue de ses confrères
Maître Herzog a profité de ce que les journalistes, la classe politique et même ses confrères ignoraient que son client Nicolas Sarkozy était lui-même avocat !
Entretenant un flou savant, il a dénoncé des écoutes « entre un avocat et son client » alors qu’il s’agissait en vérité d’écoutes entre « un avocat suspect et son avocat », non critiquables sauf à considérer que les avocats jouissent d’une immunité leur épargnant la justice commune, ce qui n’est pas le cas comme l’a rappelé la garde des Sceaux.
Le flou entretenu par Maître Herzog a été facilité par le fait que, les écoutes ayant finalement conduit à le suspecter lui-même de complicité dans le trafic d’influence, son cabinet a fini par être perquisitionné après envoi d’une lettre au bâtonnier le concernant, cinq mois après la première lettre qui concernait Maître Sarkozy.
Ainsi Maître Herzog s’est-il livré à une manipulation remarquablement habile qui a parfaitement fonctionné et qui a conduit ses confrères à donner dans le panneau et à élever une protestation indignée pour faire enfler l’affaire sur le plan médiatique.
Paris le 10 mars 2014 – La presse s’est faite l’écho des conditions dans lesquelles M. Nicolas Sarkozy et son avocat ont été, plusieurs mois durant, mis sur écoutes téléphoniques dans le cadre d’une enquête visant l’ancien président de la République.
Le barreau de Paris condamne avec la plus extrême fermeté toute violation du secret professionnel que la loi garantit dans les rapports entre un avocat et son client.
Il ne s’agit pas là d’accorder à l’avocat une immunité quelconque mais d’assurer à l’ensemble de nos concitoyens la garantie de ce que les révélations qu’ils peuvent être amenés à faire, en toute confiance, à leur conseil, dans le cadre de leur défense, ne puissent, en aucun cas, être divulguées.
Il y a en effet une différence entre le fait de mettre sur écoute un avocat soupçonné d’avoir commis un délit et celui de profiter d’écoutes ordonnées à d’autres fins pour glaner des informations sans rapport avec l’enquête initiale. En l’espèce, un avocat a fait l’objet d’écoutes, non pas parce qu’un soupçon pesait sur lui, mais parce que, dans une autre affaire, un soupçon pesait sur son client [cette phrase est factuellement fausse].
C’est en ce sens que le barreau de Paris s’insurge contre des dérives qui menacent l’un des piliers de notre démocratie : la garantie offerte à chacun de ce qu’il peut organiser librement sa défense avec son conseil sans risquer de voir ses propos utilisés, un jour, contre lui.
C’est pourquoi le bâtonnier et le vice-bâtonnier de Paris, Pierre-Olivier SUR et Laurent MARTINET, ont sollicité du président de la République, garant de nos valeurs républicaines, une audience afin d’évoquer avec lui cette situation extrêmement préoccupante et les réformes propres à y remédier.
Pierre-Olivier SUR : « Le secret professionnel est absolu. Il n’est pas destiné à protéger l’avocat mais à permettre au client de se confier librement à celui qu’il a chargé de la défense de ses intérêts ».
Communiqué de l'Ordre des avocats de Paris
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