21 avril 2017

France : la démocratie en pièces

Les résultats du premier tour des élections présidentielles françaises, le 23 avril 2017, ont coïncidé avec les sondages.
Le candidat du centre Emmanuel Macron et la candidate de l'extrême-droite Marine Le Pen se sont qualifiés pour le second tour. Au-delà des personnes, le scrutin révèle de troublantes tensions au sein de la démocratie française, les mêmes depuis très exactement 25 ans !

Étrange scrutin que celui de ce 23 avril 2017. Au premier tour de ces présidentielles , moins de 5 points séparent les quatre candidats de tête : Emmanuel Macron, 23,9% ; Marine Le Pen, 21,4% ; François Fillon, 19,9,% ; Jean-Luc Mélenchon, 19,6%. Mais c'est assez pour que le premier fête le soir venu sa victoire finale. Il sait en effet pouvoir compter sur le « front républicain » pour battre sa rivale du Front National (extrême-droite) au second tour.

Ce cas de figure s'est déjà produit quinze ans plus tôt avec un second tour entre Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen. Mais à l'époque, le Front National avait un discours presque uniquement axé sur la lutte contre l'immigration. Il se distinguait en cela de tout le reste de la classe politique et, comme nous l'avons montré, sa qualification au second tour des présidentielles a résulté seulement de l'effondrement de la gauche socialiste,  déjà engluée dans le néolibéralisme. 

Rien de tel aujourd'hui. C'est même le contraire qui se passe. Les questions migratoires, identitaires et sécuritaires sont passées au second rang derrière l'enjeu européiste et social.

Dans cette configuration, Emmanuel Macron, assuré de présider la République française pour les cinq ans à venir, se trouve être le seul des onze candidats à se revendiquer pleinement euro-compatible !

- Les europhobes :

Jean-Luc Mélenchon (gauche) se déclare sans ambiguïté hostile à la monnaie unique, qu'il juge responsable de l'effondrement des économies sud-européennes. Son analyse est identique sur ce plan à celle de Marine Le Pen comme à celle de Nicolas Dupont-Aignan (droite), qui a récolté 4,7% de voix au premier tour. Les uns et les autres proposent non pas une sortie immédiate et brutale de la zone euro, qui sèmerait la pagaïe sur tout le continent, mais une renégociation des traités avec surtout la menace d'un référendum en cas d'échec.

C'est que, selon eux, les autres pays européens, l'Allemagne en premier lieu, n'ont aucune envie de changer les traités ou mettre en place une quelconque « Europe sociale ». Mais ils changeraient d'avis dans l'éventualité d'une sortie de la France de la zone euro, car elle entraînerait ipso facto la fin de l'Union européenne.

Pour éviter ce cataclysme, ils accepteront quelques sacrifices et pourquoi pas ? le passage à une « monnaie commune », une solution que nous avons déjà évoquée il y a plusieurs années. Elle a l'aval des meilleurs économistes, comme Joseph Stiglitz, et remédierait au défaut rédhibitoire de la monnaie unique : désarmer les économies les plus fragiles face au rouleau-compresseur allemand et creuser année après année le déséquilibre de la balance commerciale entre l'Allemagne et ses « partenaires » (note).

Pour ces candidats qui ont rassemblé le 23 avril 45,7% des voix, le retour à la souveraineté monétaire est le préalable indispensable au sauvetage de l'industrie et de l'agriculture, ainsi qu'à une politique sociale conforme aux aspirations nationales.

Elle permet d'envisager aussi le retour à une construction européenne apaisée entre partenaires sereins, avec la reprise de projets intergouvernementaux du type Arianespace ou Erasmus (aucun projet de ce type n'a été conduit depuis 1988, l'Union ayant à partir de cette date consacré tous ses efforts au sauvetage de la monnaie unique).

- Les eurosceptiques :

François Fillon et Benoît Hamon (socialiste, 6,3%) acceptent la construction européenne dans sa variante maastrichienne. Mais le premier n'a pas moins voté contre le traité de Maastricht en 1992 et le second contre le traité constitutionnel en 2005. C'est dire que leur soutien est conditionnel et ils ne se sont pas privés de le dire à leurs électeurs.

L'un et l'autre ont voulu croire qu'ils auraient pu s'arranger avec leurs partenaires européens sans avoir besoin d'agiter la menace d'un Frexit. Benoît Hamon a même imaginé que Bruxelles et Francfort pourraient le laisser libre de conduire une politique sociale dispendieuse (revenu universel) dans le cadre de la monnaie unique ! François Fillon était plus à l'aise sur ce point, son programme d'austérité s'accommodant à la perfection des critères de stabilité monétaire de Maastricht.

- L'europhile :

Reste le futur président Emmanuel Macron (centre). Son allégeance à l'Europe de Maastricht est sans équivoque. Certes, il rêve comme ses prédécesseurs de la faire progresser vers davantage d'équité, mais seulement après qu'il aura démontré ses bonnes dispositions au grand frère allemand en réduisant comme il convient les déficits publics et en taillant dans les dépenses. 

Comme tous les néolibéraux qui ont soutenu la monnaie unique, il pense que les dysfonctionnements de la zone euro sont seulement dus à l'incurie des gouvernants : Grecs corrompus, Français incompétents, Italiens laxistes etc etc... Rien à voir avec une monnaie unique qui serait sous-évaluée du point de vue allemand et surévaluée du point de vue de ses partenaires du Sud, au point d'entraîner des déséquilibres commerciaux vertigineux !

Il admet que les excédents commerciaux allemands font problème mais pense qu'ils pourront être résolus par une négociation aimable avec l'Allemagne, avec la mise en place de procédures dirigistes qui restent à définir. Il écarte d'office une monnaie commune qui effacerait immédiatement et sans douleur ces excédents. 

L'enterrement de la droite et de la gauche

Le résultat est étonnant et devrait faire réfléchir nos amis allemands qui se réjouissent déjà d'un éventuel succès d'Emmanuel Macron :

En premier lieu, lors des primaires du Parti socialiste (gauche) et du parti Les Républicains (droite), les sympathisants de ces partis ont pris le risque de rejeter les favoris (Manuel Valls et Alain Juppé), jugés trop europhiles et néolibéraux, au profit de candidats plus effacés (Benoît Hamon et François Fillon).  On a vu ce qui leur en a coûté. Ces partis ont péri de n'avoir pas suffisamment pris en considération le rejet populaire du néolibéralisme.  

Enfin, lors du premier tour du 23 avril 2017, plus de 45% des électeurs ont voté pour des politiques franchement hostiles à la monnaie unique et à l'Europe de Maastricht ; 25% ont affiché des réserves quant à la construction européenne façon Maastricht et seulement 24% ont voté pour la politique néolibérale et maastrichienne qui sera celle de l'exécutif français jusqu'en 2022 !

D'où viennent les électeurs d'Emmanuel Macron ? Du centre traditionnel (François Bayrou), de la frange juppéiste des Républicains et de la frange vallsiste du Parti socialiste. Ils constituent l'amorce d'un futur rassemblement néolibéral et européiste qui aura l'avantage de la cohérence car ses leaders s'accordent sur absolument tout tandis qu'Alain Juppé et Manuel Valls s'opposent en tous points aux autres leaders de leurs partis respectifs. 

Ce bloc européiste et libre-échangiste enterre le traditionnel affrontement droite-gauche. Lui font face des souverainistes tant à droite qu'à gauche. Ils partagent les mêmes analyses économiques et sociales mais n'arrivent pas à se rapprocher en raison du regard que portent les uns et les autres sur les Français issus de l'immigration récente.

Voilà comment de longs mois de débats et de rebondissements auront conduit à la consolidation d'une idéologie minoritaire. Mystère de la démocratie, tours et détours de l'Histoire.

Retour au passé ?

Au crédit du bloc central, on peut faire valoir que cette situation s'est déjà produite dans l'Histoire récente sous la IVe République avec un parti communiste à 25% et un rassemblement gaulliste à peine moins important, l'un et l'autre hostiles à l'OTAN et à l'intégration ouest-européenne sous l'égide de Washington.

Écatelée entre ces deux forces contestataires, la classe politique classique a pu en constituer une troisième en associant les socialistes, les radicaux et le MRP (chrétiens-démocrates).  Elle a pu ainsi piloter le pays d'écueil en écueil, non sans succès, quitte à remodeler périodiquement les contours de la coalition.

Cette troisième force pourrait réapparaître à l'issue des élections législatives des 11 et 18 juin 2017, dans le cadre d'un régime devenu résolument parlementaire, dans lequel le président n'aurait plus que le pouvoir d'appeler à la tête du gouvernement le chef de la majorité du jour.

La France fracturée

Le scrutin du 23 avril 2017 (DR)Pour ajouter au trouble, les experts en géographie électorale ont tiré du scrutin une carte en tous points similaire à celles des référendums de 1992 et 2005.

Selon un schéma qui rappelle la France périphérique du sociologue Christophe Guilluy, elle montre un électorat majoritairement eurosceptique dans les régions rurales ou ouvrières, à l'exception de la façade atlantique, et un électorat majoritairement maastrichien dans les classes aisées et les métropoles à l'exception de la façade méditerranéenne.

Ainsi, de douze ans en douze ans, quand ils sont consultés sur les orientations néolibérales de l'Europe, les Français expriment clairement leur refus.

Ainsi que le note l'historien Marcel Gauchet, ils ne veulent pas sacrifier tout ce qui fait leur manière d'être au profit d'une idéologie dont la pertinence reste à démontrer... et à chaque fois, leur avis sonne dans le vide.

L'Europe envers et contre tout

Est-ce l'expression d'une fatalité historique ? Notre avenir est-il, que nous le voulions ou non, dans la dissolution des vieux États-nations, solidaires et protecteurs ?

Allons-nous irrésistiblement vers un « empire » européen ouvert à tous les vents ?

Comme les empires antérieurs, ce nouvel empire serait susceptible d'offrir à ses élites dirigeantes de grasses sinécures grâce aux revenus du commerce international ; il ne s'agirait plus des caravanes sur la route de la Soie mais des conteneurs venus de Chine. Qui sait ? Après tout, les historiens Gabriel Martinez-Gros et David Engels ont déjà théorisé cette hypothèse. Prions qu'elle ne devienne réalité.

Joseph Savès
L'Europe, un empire en gestation ?

Dans un entretien avec André Larané (Herodote.net), l'historien Gabriel Martinez-Gros montre que les États-Nations démocratiques apparus en Europe il y a un millier d'années constituent une exception historique. Ils sont peut-être en train de s'effacer sous nos yeux pour laisser la place à une structure autoritaire, multinationale et non-démocratique de type impérial, selon le modèle décrit il y a sept siècles par l'historien Ibn Khaldoun.


En savoir plus avec

Aucune réaction disponible

Respectez l'orthographe et la bienséance. Les commentaires sont affichés après validation mais n'engagent que leurs auteurs.

Actualités de l'Histoire
Revue de presse et anniversaires

Histoire & multimédia
vidéos, podcasts, animations

Galerie d'images
un régal pour les yeux

Rétrospectives
2005, 2008, 2011, 2015...

L'Antiquité classique
en 36 cartes animées

Frise des personnages
Une exclusivité Herodote.net