Mille ans de guerres

Europe : qui sont les agresseurs ?

10 avril 2024. L’invasion de l’Ukraine nous laisse penser que la Russie est un pays ordinairement violent. Elle l’est indubitablement dans les relations entre le pouvoir et ses assujettis. Mais son Histoire, d’Ivan le Terrible à Staline, montre qu’elle n’a jamais attaqué délibérément une autre puissance européenne... sauf la Turquie !
Si nous devions décerner la palme de l’agressivité sur les cinq cents ou mille dernières années, je vous laisse deviner quel beau et grand pays cher à notre cœur l’obtiendrait…

Charlemagne accouche au forceps l'Occident autour de l'an 800. Le lointain successeur de Clovis repousse les frontières du royaume des Francs jusqu'à l'Ebre (Espagne), le Tibre (Italie) et l'Elbe (Allemagne). Il ne lui manque que de soumettre l'Angleterre et la Scandinavie pour réunir la chrétienté occidentale sous un même sceptre. Les Saxons garderont longtemps le souvenir de sa manière brutale de leur révéler la Bonne Nouvelle (l'Évangile).

Cela ne suffit pas au bonheur des peuples. Il y a un millier d'années, à l'aube de la civilisation européenne, la chrétienté occidentale ne diffère guère du monde slave oriental (Pologne, Russie, Ukraine). L'Europe est divisée en modestes principautés qui tirent leurs ressources de l'exploitation de la paysannerie et se combattent les unes les autres. Font exception l'empire byzantin, à cheval sur les détroits qui séparent l'Europe de l'Asie, et les émirats musulmans de la péninsule ibérique et de Sicile, lesquels sont plus urbanisés et mieux administrés.

Le pape Urbain II prêchant la première croisade sur la place de Clermont, Francesco Hayez, 1835, Milan, Gallerie di Piazza Scala.

Tout bascule au début du IIe millénaire

- À l'ouest émergent quelques principautés à l'origine des futurs États nationaux dont le premier et le plus important est le royaume capétien, autrement dit la France. C'est en son coeur, à Clermont (Auvergne), en 1095, qu'un pape d'origine française, Urbain II, lance un appel mémorable. Il invite ses compatriote à rouvrir par les armes les routes du pèlerinage vers Jérusalem, fermées par des nouveaux-venus redoutables, les Turcs. Dans cette population en pleine expansion démographique et pétrie de foi chrétienne, il s'ensuit un élan sans précédent qui porte des foules vers l'Orient. Ce mouvement plus tard qualifié de « croisades » est la première guerre offensive menée en Europe et elle est avant tout le fait des Français.

- Un siècle plus tard, au XIIIe siècle, tandis que s'épanouit dans notre hexagone le « beau Moyen Âge », le monde slave, à l'Est, est assailli avec la plus grande brutalité d'une part sur les bords de la Baltique par des moines-chevaliers allemands, les chevaliers Teutoniques et Porte-Glaives ; c'est le Drang nach Osten (dico), d'autre part  par les Mongols qui s'installent durablement au nord de la mer Caspienne. Il s'ensuit pour deux siècles la ruine de ce monde jusque-là épargné par les invasions.

- La fin du Moyen Âge se signale en Occident par de grandes épreuves, de la peste aux guerres dynastiques (guerre de Cent Ans, guerre des Deux-Roses, Guelfes et Gibelins, guerre de Castille et Reconquista). La chrétienté en sort renforcée. Mais à peine la France a-t-elle retrouvé prospérité et vigueur que ses souverains se jettent à l'assaut de l'Italie sous les prétextes les plus incongrus. De 1494 à 1559, les Français vont ainsi agresser et tourmenter l'Italie sans en retirer aucun profit politique... Ils y gagneront quelque chose de plus important : les bonnes manières, le goût des belles choses, Chambord et la Joconde.

La bataille de Pavie, le 24 février 1525, Albama, Birmingham Museum of Art.

- Par la guerre de conquête, la dynastie turque des Ottomans remplace l'empire byzantin et soumet à sa férule les peuples de la Méditerranée orientale et des Balkans, les excluant pour trois à quatre siècles de l'espace européen.

- À l'autre extrémité du continent, la principauté de Moscou émerge du chaos russe et se libère de l'emprise mongole. En 1547, le couronnement du tsar Ivan IV, futur Ivan le Terrible, consacre la naissance de l’empire russe. Celui-ci s’étend vers la mer Noire aux dépens des derniers royaumes mongols cependant que des aventuriers cosaques s’en vont grignoter et coloniser la Sibérie. Dans le même temps, au centre de l'Europe, une alliance matrimoniale conduit à la constitution d'un immense royaume slave et catholique qui s'étend de Dantzig à Kiev. C'est la Pologne-Lituanie. Au début du XVIIe siècle, les Polonais, catholiques ô combien détestés des Russes orthodoxes, profitent d'une querelle de succession pour envahir la Russie. Ils en viennent à parader à Moscou. Les Suédois, quant à eux, assaillent les Russes sur la Baltique. Le frêle empire se voit menacé de disparition. Ce « Temps des Troubles » s’achève en 1613 avec l’avènement d’une nouvelle dynastie, les Romanov, qui va rendre aux Russes leur pleine indépendance.

Capitulation de la garnison russe à Smolensk devant Ladislas IV Vasa en 1634.

Avènement des nations modernes

- En Europe de l'Ouest, les guerres de religion entre catholiques et protestants (France, Angleterre, Pays-Bas, Allemagne) ouvrent la voie à des États soudés, arc-boutés sur leur identité religieuse et culturelle. Le plus important d'entre eux est la France. À peine sortie de ses guerres de religion, celle-ci intervient délibérément en 1635 dans la guerre de Trente Ans qui meurtrit l'Allemagne, à seule fin d'affaiblir les Habsbourg. Après quoi, Louis XIV se lance dans des guerres sans justification aucune : guerre de Dévolution et guerre de Hollande. Elles se traduisent par de grandes violences (sac du Palatinat). Cela n'émeut pas le Roi-Soleil, esprit cultivé et fin qui a fait apposer sur ses canons la locution : Ultima ratio regum (« Le dernier argument des rois »). Mais il finit par coaliser contre lui la plus grande partie de l'Europe.

- En Russie, les premiers Romanov, Michel Ier et Alexis Ier, consolident leurs frontières méridionales avec le concours des Cosaques mais, à cause des Suédois, ne peuvent obtenir l’accès à la mer Baltique auquel ils aspirent. C’est finalement le tsar Pierre Ier le Grand qui y réussira au prix d’une lutte titanesque contre le roi de Suède Charles XII qu’il vaincra en 1709 à Poltava, dans les plaines d’Ukraine. Cette « Grande guerre du Nord » est la première des grandes tentatives d’invasion venues de l’Occident.

- Comme la Russie, l'Autriche des Habsbourg se soucie peu des guerres de conquête. Elle s'en tient à contenir la poussée ottomane. Sa politique s'inscrit dans cet aimable distique : Bella gerant alii, tu felix Austria, nube (« Que les autres fassent la guerre, toi, heureuse Autriche, contracte des mariages »). Mais en 1740, la succession de Charles VI est contestée par ses voisins qui ne veulent pas de sa fille Marie-Thérèse sur le trône. Le jeune roi de Prusse Frédéric II entre en guerre contre Vienne et, à l'issue de la bataille de Mollwitz, met la main sur la province de Silésie sans y avoir aucun droit et en violation de toutes les traditions diplomatiques de l'Ancien Régime. C'est un précédent dont les régimes forts de l'époque contemporaine sauront se souvenir, à commencer par les révolutionnaires française... 

La guerre russo-polonaise de 1792 par le peintre et militaire Aleksander Or?owski.

- Une princesse allemande devenue impératrice de Russie sous le nom de Catherine II profite de l’anarchie qui règne en Pologne, son ennemie séculaire, pour faire élire son amant Stanislas Poniatowski sur le trône de la « République des Deux Nations » (Pologne-Lituanie) en 1764. Mais avec le concours de la France de Louis XV, la noblesse polonaise se ligue en 1768 contre le nouveau souverain. Elle est rapidement vaincue et le roi de Prusse Frédéric II, habitué des mauvais coups, suggère un partage de la Pologne à l’archiduchesse d’Autriche Marie-Thérèse et l’impératrice Catherine II. Une pareille offre ne se refuse pas. Ce premier partage, en 1772, sera suivi d’un deuxième en 1793 puis d’un troisième et dernier en 1795.

- En 1768, la France, alliée des Polonais, pousse l’empire ottoman à déclarer la guerre à Catherine II. Pour empêcher les Turcs de prêter main forte aux Confédérés polonais, les troupes russes marchent vers les Balkans et atteignent la Grèce cependant que la flotte russe détruit la flotte ottomane. Sur le front est, les Russes occupent la Crimée. Ils fondent Sébastopol et Odessa sur les bords de la mer Noire. Par traité, la Russie s’érige en protectrice de tous les orthodoxes de l’Empire ottoman et obtient la libre circulation à travers les détroits turcs. Le vieux rêve de Pierre le Grand est devenu réalité.

Allégorie de la victoire de Catherine II sur les Turcs, Stefano Torelli, 1772, Moscou, Tretyakov Gallery.

La Russie impliquée dans la politique européenne

- Le 20 avril 1792, la France révolutionnaire déclare la guerre au « roi de Bohême et de Hongrie », en fait l'empereur François II, fils de Marie-Thérèse. Les souverains européens eussent préféré laisser les Français s’étriper entre eux au nom de la Liberté et des Droits de l’Homme, quitte à ramasser ensuite les morceaux comme ils l’ont fait de la Pologne, mais là, ils n’ont pas le choix, sauf à se délégitimer aux yeux de leurs sujets. Il s’ensuit une première coalition contre la France à laquelle s’associe bien sûr la Russie.

- En 1799, à la faveur d’une deuxième coalition, le général russe Souvarov et ses cosaques, aventurés pour la première fois en Europe occidentale, profitent de la débandade des troupes françaises et se disposent à envahir la France. Mais ils sont arrêtés à Zurich. De guerre lasse, le tsar Paul Ier, qui a succédé à Catherine II, se retire de la coalition. Victime d'une conspiration de palais, il est étranglé peu après, en 1801. Son fils et successeur Alexandre Ier rallie en 1805 la troisième coalition contre la France. Elle lui vaut d'être défait par Napoléon Ier à Austerlitz puis en 1807 à Eylau et Friedland. Il se résout à traiter avec l'empereur des Français à Tilsit le 7 juillet 1807.

- Napoléon Ier, qui désespère de briser la résistance anglaise, impose un Blocus continental. Mais pour faire respecter par tous les Européens cette interdiction de commercer avec l'Angleterre, il est conduit à occuper tout le continent, jusqu'à la Russie qu'il a la mauvaise idée d'envahir le 24 juin 1812. Cette campagne de Russie va lui être fatale. Le 31 mars 1814, Alexandre Ier fait son entrée à Paris, il apparaît comme le triomphateur de Napoléon et le libérateur du continent européen. La Russie se paie de ses sacrifices en plaçant sous son protectorat la Finlande et la plus grande partie de la Pologne. Elle fait désormais partie du club des grandes puissances sur lesquelles repose la sécurité européenne. 

- En juin 1815, le tsar forme une Sainte-Alliance avec les grandes puissances européennes dont la France. L’année suivante, il suggère à ses augustes alliés une réduction simultanée des forces armées et même la création d’une armée européenne de maintien de la paix !...

Le triomphe du tsar Alexandre Ier ou La Paix, Louis Léopold Boilly, 1814, Paris, musée du Louvre.

- Les bonnes intentions d'Alexandre Ier vont être trahies par... François-René de Chateaubriand, chef de file des poètes romantiques (!) et occasionnellement ministre des Affaires étrangères de Louis XVIII. Il convainc celui-ci de se porter militairement au secours du roi Alphonse VII d'Espagne, aux prises avec les libéraux de son pays. Il s'ensuit la victoire française du Trocadéro (près de Cadix). C'est la première manifestation du « droit d'ingérence » (dico).

- En 1825, à la mort d'Alexandre Ier, son frère lui succède dans des conditions troubles sous le nom de Nicolas Ier. Ce tsar méconnu, partisan de l'autocratie, est sans doute celui auquel on peut le plus clairement associer une guerre d'agression. Il la paiera cher. L'affaire débute de façon surréaliste en 1848 par une dispute entre moines latins et orthodoxes dans la basilique de la Nativité, à Bethléem, alors sous souveraineté ottomane ! Le gouvernement de la Seconde République, par souci de se concilier les catholiques français, relaie les revendications des moines latins auprès du sultan. L'empereur Nicolas Ier ne peut faire mieux que de prendre la défense des orthodoxes. Il juge le moment venu de régler la « Question d'Orient » posée par la déliquescence de l'empire ottoman, qu'il qualifie d'« l'homme malade de l'Europe ». Il propose à l'Angleterre de régler sa succession à l'amiable. Mais l'Angleterre décline l'offre car elle a aussi, en concurrence avec la Russie, des visées sur l'Asie centrale où l'une et l'autre mènent le « Grand Jeu ». 

Le ciel s'assombrit

- Dépité, le tsar attaque et détruit de son propre chef la flotte turque de la mer Noire en 1853. Il envahit aussi les provinces roumaines de l'empire turc, la Moldavie et la Valachie. Il profite de l'occasion pour combattre les tribus insoumises du Caucase, en particulier les Tchétchènes. Napoléon III ne tolère pas cette violation des conventions internationales. Il convainc le gouvernement de Victoria d'intervenir avec lui contre la Russie. Il s'ensuit la guerre de Crimée : pendant deux ans (1854-1856), Français et Anglais affrontent les Russes, non sans difficulté. Cette guerre annonce sur un plan militaire la Grande Guerre et ses horreurs : assauts inutiles et meurtriers, tranchées défensives, usage intensif de l'artillerie et première apparition de la mitraillette... Nicolas Ier meurt en 1855 et laisse la place à son fils, le très libéral Alexandre II.

- À peine le traité de Paris mettant fin à la guerre de Crimée est-il conclu que l'empereur Napoléon III s'engage à aider le roi de Piémont-Sardaigne à unifier l'Italie. Il engage ses troupes dans une guerre meurtrière contre l'Autriche qui fait obstacle à cette unité. En 1861, Victor-Emmanuel II devient ainsi roi d'Italie. Cela donne des idées aux Prussiens et en particulier au plus grand d'entre eux, Otto von Bismarck, qui devient chancelier en 1862 avec l'objectif d'unifier l'Allemagne... contre l'Autriche. En 1866, il engage une courte guerre victorieuse contre celle-ci puis, en 1870, provoque habilement Napoléon III qui lui déclare la guerre et réunit autour de la Prusse tous les États allemands. Voilà la France à son tour battue, Napoléon III renversé et l'Allemagne unifiée sous la poigne des Prussiens et de Bismarck.

Napoléon III se rend au roi Guillaume de Prusse après la bataille de Sedan, Anonyme, vers 1870.

- Le tsar réformateur Alexandre II, dépité par l'hostilité que lui vouent les révolutionnaire russes, cherche un exutoire dans la guerre contre le rival de toujours de la Russie, la Turquie ottomane. En 1878, prenant leur revanche sur le traité de Paris, ses armées marchent sur Constantinople et le tsar impose un protectorat de fait sur les peuples balkaniques. Mais le Premier ministre britannique Benjamin Disraeli craint que la Russie n'entrave bientôt la route des Indes et le canal de Suez et menace Moscou rien moins que d'une guerre. Le chancelier Bismarck saisit l'occasion pour se poser en arbitre des relations internationales. Une conférence se tient à Berlin du 13 juin au 13 juillet 1878 et règle le conflit pour une génération.

- En 1894, coup de tonnerre dans les chancelleries avec l'alliance franco-russe. Elle rapproche la République française et la Russie du très autocratique Alexandre III, sucesseur d'Alexandre II, et menace très directement l'Allemagne. Comme rien n'est simple, dix ans plus tard, en 1904, la République française va aussi conclure une Entente cordiale avec son ennemie héréditaire, l'Angleterre, mais celle-ci ne se privera pas en 1905 de pousser le Japon à faire la guerre à la Russie, alliée de son alliée !... C'est la faillite de la subtile diplomatie de Bismarck qui avait réussi à obtenir la neutralité de la Russie en cas de conflit éventuel. Mais le chancelier avait été congédié en 1890 par le nouvel empereur Guillaume II et celui-ci ne s'était plus de renouveler cet accord. Il avait préféré resserrer ses liens avec l'Autriche-Hongrie. La Grande Guerre de 14-18 était déjà en gestation dans ce fatal clivage...

- Le détonateur viendra des Balkans où, peu à peu, les peuples s'émancipent de la tutelle ottomane tout en se combattant les uns les autres. Ce que l'on sait moins, c'est que la mèche a été allumée par l'Italie. Fâché que la France s'installe au Maroc, le chef du gouvernement Giovanni Giolitti veut sa part de gâteau et réclame au sultan la cession de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque (la Libye actuelle). Le 5 octobre 1911, les troupes italiennes débarquent à Tripoli mais cette agression caractérisée ne leur réussit pas. En désespoir de cause, la flotte italienne bombarde les Détroits et Rome obtient enfin gain de cause. Cette violation délibérée du droit international approuvée par la Triple-Entente (France, Grande-Bretagne, Russie) déclenche les appétits des petits États balkaniques. Les Serbes se disent que le moment est venu de liquider ce qui reste de possessions ottomanes en Europe et se liguent avec les Bulgares contre les Turcs. La première guerre balkanique éclate deux jours plus tard. L'affaire va se clore à Sarajevo...

- Un siècle après, il est toujours illusoire de chercher un responsable à la Grande Guerre même si les vaincus ont toujours tort (Guillaume II en l'occurrence). Toujours est-il que le grand perdant est la Russie, qui se trouve réduite au grand-duché de Moscovie avant l'avènement d'Ivan le Terrible ! Elle sombre dans la première révolution totalitaire de l'Histoire, corsée d'une guerre civile, avec en prime l'intervention armée de ses anciens alliés. Français et Anglais débarquent dans la mer Noire et dans la mer de Barents pour prêter main forte aux adversaires de Lénine et des bolchéviques. La Pologne recouvre son indépendance sous l'autorité du général Pilsudski et son armée entre même à Kiev en mai 1920. Elle rêve de s'unir aux indépendantistes ukrainiens pour reconstituer l'antique Pologne-Lituanie mais les bolchéviques reprennent le dessus et Varsovie n'est sauvée que grâce à l'intervention des Français (parmi lesquels un certain capitaine Charles de Gaulle).

- En mars 1919, les bolchéviques fondent à Bakou la IIIe Internationale communiste, le Komintern, avec pour objectif d'unir tous leurs partisans autour du Kremlin. Mais contre l'avis de Trotski qui rêve d'exporter la révolution, Lénine et Staline préfèrent sauver ce qui peut l'être et se satisfont de la révolution dans un seul pays, la Russie, convertie en une fédération sans référence nationale : l'URSS. À l'Ouest, cependant, les tensions se réveillent du fait de plusieurs facteurs qu'avait anticipés l'historien-journaliste Jacques Bainville (Les Conséquences politiques de la paix, 1920) : l'humiliation de l'Allemagne, la disloquation de l'Autriche-Hongrie, le retour des États-Unis à l'isolationnisme et le souci obsessionnel des Anglais de maintenir l'équilibre des forces sur le Continent. La politique de rigueur du chancelier Brüning en 1932 amène enfin Hitler au pouvoir.

- La course à la guerre s'enclenche à nouveau en mars 1935-mars 1936, l'année où tout a basculé. Le lâchage britannique (traité naval anglo-allemand, 18 juin 1935) et l'inaction des démocraties laissent penser à Hitler qu'il a les mains libres dans ses projets d'agression à l'Est, dont il ne se cache pas. En octobre 1938-mars 1939, il dépèce la Tchécoslovaquie. Pour ne pas rester en reste, son allié Mussolini envahit l'Albanie en avril 1939. Pour gagner du temps, Staline se résout à conclure un pacte de non-agression avec Hitler, par lequel les deux larrons se partagent la Pologne. C'est le début de la Seconde Guerre mondiale. Mais le maître du Kremlin ne se fait pas d'illusion sur la suite. Entrevoyant une possible guerre avec son partenaire, il demande à ses voisins finlandais un échange de territoires et une base afin de protéger sa frontière de la Baltique. Les Finlandais ayant refusé, ils sont assaillis par l'Armée rouge mais malgré la disproportion des forces, elle a le plus grand mal à remporter cette « Guerre d'Hiver ». Ses difficultés renforcent Hitler dans la conviction qu'il vaincra l'URSS avec autant de facilité qu'il a vaincu la France... 

- En définitive, la détermination héroïque de Churchill et des Anglais ainsi que la résistance toute aussi héroïque des peuples soviétiques, avec le soutien actif de l'industrie étasunienne, auront raison de la Wehrmacht et du IIIe Reich. Grand vainqueur de celui-ci au prix de vingt millions de morts, l'Armée rouge occupe l'Europe centrale et entre dans les ruines de Berlin. Aussitôt après émerge la rivalité idéologique entre les deux superpuissances de l'après-guerre, l'une et l'autre dotées de l'arme nucléaire (les États-Unis restant heureusement à ce jour les seuls à l'avoir utilisée). C'est le début de la « guerre froide » qui préservera le continent européen de tout nouveau conflit armé jusqu'à l'implosion de l'URSS en 1991.    

André Larané
Mauvais calculs

Depuis deux siècles, sourds aux leçons de l'Histoire, les gouvernants français n'ont eu de cesse d'intervenir par les armes dans toutes les parties du globe au nom de la Liberté et le plus souvent à leur détriment.
Cela commence avec l'intervention de Louis XVI aux côté des Insurgents américains en 1778. Au lieu de laisser la perfide Albion s'enliser dans une guerre de décolonisation, il la débarrasse de ce fardeau. Résultat : l'Angleterre pourra pleinement se vouer à l'exploitation des Indes et du reste de la planète cependant que Louis XVI, ruiné par son intervention, se verra obligé de convoquer les états généraux et enclenchera la Révolution. Il y perdra la tête et la France sa suprématie en Europe.
C'est ensuite Napoléon III qui intervient au Mexique dans une guerre insensée et aide aussi le roi de Piémont-Sardaigne à chasser les Autrichiens d'Italie. Il y gagne Nice et la Savoie mais gâche son succès en protégeant le pape Pie IX, assiégé à Rome par les troupes piémontaises. Du coup, l'Italie fera faux bond à la France quand elle sera attaquée par la Prusse en 1870.
Après l'épisode coloniste (une remouture du droit d'ingérence), les épigones du général de Gaulle se piquent de jouer les héros. Saluons l'intervention des paras à Kolwesi (Congo) à l'initiative de Giscard d'Estaing. Mais Mitterrand, en 1990, commet l'erreur de répondre à l'appel du dictateur rwandais, menacé par une offensive de ses opposants tutsis. L'envoi de troupes offre un répit au dictateur et il s'ensuivra le génocide de 1994. De la même façon, Sarkozy interviendra en 2011 dans la guerre civile en Libye et Hollande répondra en 2013 à l'appel au secours du gouvernement malien menacé par une bande de Touaregs et de djihadistes. Le sacrifice de dizaines de soldats français n'empêchera pas le Sahel de sombrer dans le chaos. Même le Sénégal se voit aujourd'hui près d'y tomber. 
Le successeur de Hollande cultive à son tour une trouble fascination pour la guerre et la mort. Après avoir proclamé qu'il n'excluait pas l'envoi de troupes au sol en Ukraine, à la grande irritation de ses partenaires européens, il lance le 7 avril 2024, pour l'anniversaire de la bataille des Glières (Haute-Savoie) : « Vivre libre ou mourir : tel est notre viatique, hier, aujourd'hui et demain, pour que vive la République et vive la France ». Avec ce retour aux heures sombres de 1793, que voilà un beau programme pour la jeunesse française !

Publié ou mis à jour le : 2024-04-18 16:04:27

Voir les 12 commentaires sur cet article

Cécil Artheaud (14-04-2024 11:30:48)

Excellent article, très informatif. Personnellement j'éviterais de dresser un podium de l'agressivité des Nations. Ce sont les circonstances et l'enchaînement des évènements qui donnent ou non... Lire la suite

Mannerheim (13-04-2024 14:11:08)

Trsè bon article comme toujours, mais il y a des trous: Hiver 1939-1940 guerre contre la Finlande et annexion de la Carélie et de Petsamo. Partage de la Pologne lors du pacte germano-soviétique, d'... Lire la suite

Christian (12-04-2024 17:36:18)

Si l'on peut admettre que ce fut la France qui poussa l'Empire ottoman à déclarer la guerre à l'Empire russe en 1768, le traité russo-turc de Kutchuk-Kaïnardji, qui mit au conflit en 1774 et par ... Lire la suite

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