2015 annonce-t-elle une rupture historique, comme il y a cent ans, en 1914, avec la Grande Guerre, ou comme il y a deux cents ans, en 1814-1815, avec la chute de Napoléon ?
Nous avions émis dès 2011 l'hypothèse d'une rupture qui se reproduirait en Europe occidentale tous les cent ans environ. Voyons ce qu'il en est...
Que nous réserve 2015 ?
L'Europe a de toute évidence changé de siècle en 1912-1914, avec les premières guerres balkaniques. Il s'en est suivi immédiatement deux guerres « mondiales » que le général de Gaulle s'est autorisé à réunir sous l'appellation de deuxième « guerre de Trente Ans » (la première a ravagé les pays germaniques et l'Europe centrale de 1618 à 1648).
Après quoi est venue une longue période de paix armée, la « guerre froide », de 1945 à 1989. La chute du Mur de Berlin et l'effondrement du communisme européen marquent une nouvelle césure, avec un lointain pendant à Pékin, où l'échec des émeutes de Tien An Men permet à Deng Xiaoping d'engager son pays dans la voie capitaliste autoritaire.
Les attentats du 11 septembre 2001 ont chamboulé les États-Unis et ému les téléspectateurs du monde entier mais n'ont guère affecté le cours de l'Histoire européenne. S'il doit y avoir un nouveau tournant en Europe, c'est aujourd'hui qu'il se dessine : retour des conflits armés (djihad, Ukraine), crise majeure dans la gouvernance des États et de l'Union européenne, pression migratoire...
Sautons un siècle. Le Congrès de Vienne et Waterloo, en 1814-1815, mettent un terme à la Révolution française née en 1789 et font entrer l'Europe dans un siècle de paix relative et de grandeur sans équivalent dans l'Histoire de l'humanité. Les révolutions romantiques de 1848 n'ont guère plus d'effet sur la géopolitique que nos « événements » de 1968. C'est dans les années 1880 que s'amorce un changement de rythme :
- 1877 : Victoria devient impératrice des Indes,
- 1878 : le congrès de Berlin organise le dépeçage des Balkans,
- 1885 : un nouveau congrès de Berlin conduit au dépeçage de l'Afrique. Cette poussée d'impérialisme va conduire une génération plus tard les Européens à s'entre-déchirer...
À partir de cette première approche, nous voyons se profiler en Europe un rythme centennal à raison de trois « respirations » par siècle, soit une par génération :
- 1989 => 2014...
- 1885 => 1914
- 1789 => 1815
- ...
À chaque génération son expérience de l'Histoire
Une génération est la trentaine d'années qui s'écoulent entre le moment où un homme entre dans la vie adulte et celui où il est relayé par son fils.
Ne soyons pas surpris que les grandes actions humaines aient cette durée. C'est le cas des grandes guerres (surtout civiles) : guerre des Deux-Roses (1455-1485), guerres de religion (1561-1598), guerre de Trente Ans (1618-1648), guerres mondiales (1914-1945), guerre d'Indochine et Vietnam (1946-1975)... Même la guerre de Cent Ans a le bon goût de se diviser en deux périodes, 1337-1380 et 1415-1453, entrecoupées par une « embellie » de trois décennies.
On retrouve cette durée d'une génération dans les phases de croissance comme les « Trente Glorieuses » bien nommées (1944-1974).
Ce que nous supputons pour expliquer ce rythme trentenaire, c'est qu'il faut le temps de l'oubli pour oser changer de cap...
À tout moment se côtoient trois générations. La génération active garde une mémoire aigüe des actions de la précédente et tâche d'en éviter les travers. C'est Jean Monnet et de Gaulle qui bâtissent l'Europe atlantique autour de l'axe franco-allemand. C'est Metternich et Talleyrand qui bâtissent l'Europe pacifique de la Sainte-Alliance.
Lui succède une génération qui, se fiant aux progrès accomplis par ses prédécesseurs, croit venue la fin de l'Histoire et l'« ère des bons sentiments » (l'expression a été utilisée aux États-Unis pour qualifier la génération qui a succédé à Washington). C'est Cohn-Bendit et Delors qui fondent l'Europe libertaire-libérale. C'est aussi Disraeli et Jules Ferry qui entreprennent de convertir la planète entière à leur « valeurs ».
La quatrième génération - celle d'Alexis Tsipras ?! - découvre l'impasse dans laquelle l'a conduite la précédente. N'ayant pas connu la première, elle ne peut tirer parti de son expérience. Elle est obligée d'innover pour sortir de l'impasse. Nous en sommes là.
Dans les entrailles de l'Histoire européenne
Voyons si cette approche, encore une fois très subjective, se vérifie dans la profondeur des siècles, en Europe occidentale.
Le Siècle des Lumières débute conventionnellement en 1715 avec la mort du vieux roi Louis XIV (le plus long règne de toute l'Histoire de l'humanité). Un an plus tôt est morte la reine Anne Stuart, laissant le trône d'Angleterre à un cousin allemand, l'Électeur de Hanovre. Comme il ne parle pas anglais et porte peu d'intérêt à sa promotion, le Parlement de Westminster s'en trouve renforcé.
C'est une génération plus tôt, en 1689 (tiens, tiens...), que s'est installée en Grande-Bretagne la démocratie parlementaire. Dans le même temps, en 1685, en France, la révocation de l'Édit de Nantes a consolidé au contraire le pouvoir du monarque en anéantissant toute forme de dissidence, même religieuse.
Ces tournants sont l'aboutissement de deux événements en sens opposé, l'un et l'autre survenant la même année, en 1649 : la décapitation de Charles 1er Stuart et la victoire de Mazarin sur la Fronde.
Jusqu'ici, notre cycle historique fonctionne plutôt bien pour ce qui concerne l'Europe occidentale. Qu'en est-il autour de 1615 ? Rien de significatif en France : une régence qui se traîne après l'assassinat d'Henri IV. Mais c'est au centre de l'Europe que tout se passe.
En 1618, les querelles entre protestants et catholiques aboutissent à la guerre de Trente Ans, déjà évoquée. Elle aboutit en 1648 aux traités de Westphalie qui vont morceler l'Allemagne mais lui offrir aussi deux siècles de prospérité et de floraison culturelle sans pareille (Bach, Mozart, Leibniz, Beethoven, Goethe...). Cette même guerre de Trente Ans va consacrer l'effacement de l'Espagne des Habsbourg et installer la France à l'avant-scène pour deux siècles.
Plus avant, nous arrivons en 1588. C'est la défaite de l'Invincible Armada et le premier signe du déclin de l'Espagne. Un peu plus tôt, en 1579, se sont émancipées les Provinces-Unies, qui vont devenir le premier État moderne, fondé sur la démocratie locale, le capitalisme et le grand commerce maritime.
Enfin, 1515 : Marignan. Cette bataille, qui oppose les Suisses au roi François 1er, est la plus meurtrière depuis l'Antiquité. À part ça, elle n'a guère d'importance historique !...
Autrement plus important est ce moine allemand qui placarde en 1517, sur la porte de son église, une diatribe contre le pape ! Le moine s'appelle Luther et il va provoquer une scission définitive au sein de la chrétienté romaine et de l'Europe occidentale. La conséquence immédiate est une succession de guerres de religion pendant près de deux siècles.
Passons sur les conflits entre François 1er et Charles Quint, sans plus de portée que Marignan. Plus importante sans doute est la conquête du Mexique par Cortès en 1520. C'est pour l'Espagne le début de la colonisation du continent américain, découvert par Christophe Colomb une génération plus tôt, en 1492.
Faut-il poursuivre ?...
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Voir les 7 commentaires sur cet article
marc (11-07-2015 16:38:42)
Le pauvre "George" semble obnubilé par le rapprochement Poutine -Hitler. Est-il bien sur de savoir lire ce qui s'écrit sur ce site ? Pour le coup c'est lui qui aurait besoin de cours d'histoire un p... Lire la suite
Daniel (09-07-2015 21:38:11)
Une très belle page de synthèse, Monsieur Larané. Merci profondément pour ces cours d'histoire permanents auprès desquels ceux que nous distillait l'enseignement secondaire faisaient si pâle fig... Lire la suite
Daniel (09-07-2015 21:37:34)
Une très belle page de synthèse, Monsieur Larané. Merci profondément pour ces cours d'histoire permanents auprès desquels ceux que nous distillait l'enseignement secondaire faisaient si pâle fig... Lire la suite