12 octobre 2022 : le président de la République française a jugé urgent de remettre en chantier la loi Leonetti relative aux droits des malades et à la fin de vie, en légalisant le « droit à mourir ». Celui-ci est déjà pratiqué dans plusieurs pays occidentaux ; le Canada, à l'avant-garde de la « modernité », en offre une glaçante illustration.
Un film japonais, Plan 75 (septembre 2022), entrevoit les dérives auxquelles peut conduire ce droit associé à de basses préoccupations comptables...
Adoptée à l’unanimité en avril 2005 par l’Assemblée nationale, la loi du député et médecin Jean Leonetti proscrit « l’obstination déraisonnable » du corps médical et la « prolongation artificielle de la vie » du patient ; elle autorise l’arrêt d’un traitement sur avis collégial, si ce traitement relève de « l’obstination déraisonnable » ; elle impose le respect des volontés du patient quant à l’arrêt d’un traitement.
En 2016, la loi Leonetti-Clayes a modifié à la marge ces dispositions afin que les personnes en fin de vie puissent s’éteindre aussi sereinement que possible, et jusqu’à ce jour, la société française s’est accommodée de ces dispositions. Si elles sont encore mal appliquées, cela n’a rien à voir avec la loi mais relève de l’effondrement du système de santé et de la pénurie de soins palliatifs, un enjeu politique d’une autre ampleur.
Pour une frange progressiste de la classe politique, toutefois, il importe d’aller beaucoup plus loin vers le « droit à mourir », à l'imitation de ce qui se fait au Canada, en Belgique ou encore en Suisse. Il s'agit de donner aux médecins l'autorisation d’administrer un traitement létal aux personnes qui souhaitent éviter les tourments de la fin de vie, voire de la vie tout court.
Faire de la place pour les jeunes
Cette revendication cache la peur d’une société écrasée par le fardeau de ses vieillards. La cinéaste japonaise Chie Hayakawa craint qu’elle ne débouche par paliers successifs sur la tentation inavouée de libérer des ressources financières pour la fraction saine de la population.
Elle s'en fait l'écho dans un film lumineux, tout en finesse, douceur et émotion, sans une once de violence. Tous les personnages de Plan 75 sont aimables mais ils n’en participent pas moins à un dispositif glaçant.
L’idée du film serait partie d’un fait divers : l’assassinat en 2016 de plusieurs vieillards dans une maison de retraite par un tueur en série.
De fait, le Japon ayant devancé tous les autres pays dans la transition démographique, il connaît aujourd’hui le pourcentage de personnes âgées le plus élevé du monde (29% de plus de 65 ans). Il s'ensuit que les jeunes actifs se voient privés d’une part croissante des fruits de leur travail au profit de leurs aînés, d’où le désespoir de certains d’entre eux.
La cinéaste imagine donc que le gouvernement vote le « droit à l’euthanasie » pour les personnes de plus de 75 ans. Une administration zélée se met en place pour accueillir et traiter les postulants. Une prime de 100 000 yens (c’est moins que le salaire mensuel d’une aide-soignante) leur est offerte pour qu’ils s’offrent quelques douceurs avant le grand saut.
Le dispositif se révèle si efficace que le gouvernement japonais envisage bientôt de l’étendre aux plus de 65 ans !... Il s’en justifie en rappelant que la mesure s’inscrit dans une tradition nationale, l’ubasute (« abandon des vieux »).
Cette tradition a fourni le motif d’un chef-d’œuvre du cinéma : La Ballade de Narayama (Shōhei Imamura, Palme d’Or à Cannes en 1983). Dans les villages très pauvres d’antan, les vieux, arrivés à 70 ans, se devaient de gravir la montagne et d’y attendre la mort. Dans le même temps, les villageois pratiquaient l’infanticide des filles pour pallier l’absence de contraception et stabiliser leur population.
Mais nous n'en sommes plus là et le Japon de Plan 75 baigne dans un confort sans égal dans le monde et dans l’Histoire. Ce n'est pas la misère ou la menace de famine qui pousse à l'élimination des vieux mais l’effondrement des naissances.
La population du Japon ne se renouvelle plus depuis 1974 et diminue depuis 2005. Avec une fécondité proche d’un enfant par femme, le nombre de naissances est divisé par deux à chaque génération, tous les trente ans environ. Il va s’ensuivre mécaniquement une quasi-disparition des Japonais au cours du prochain siècle. En attendant, la proportion d’anciens sera appelée à augmenter régulièrement, de sorte que les actifs seront conduits à travailler de plus en plus pour le seul bénéfice des retraités.
Les jeunes gens, écrasés par le poids de leurs aînés, seront de moins en moins enclins à faire des enfants et les élever, de sorte que la société s'enfoncera dans une nuit de plus en plus profonde.
Les enjeux sont similaires en Europe, même si dans certains pays comme la France, la chute de la fécondité est masquée par l’immigration. Celle-ci alimente les emplois de service sans remédier aux besoins d’emplois qualifiés.
Autant dire qu’en l’absence de regain de la natalité, toutes les sociétés modernes seront un jour ou l'autre tentées par un Plan 75 qui soulagera à court terme le fardeau des actifs. Et comme dans le film japonais, on s'appliquera à lui trouver des motivations généreuses et progressistes, avec les encouragements du capitalisme financier, prompt à repérer les bonnes affaires derrière les « belles » idées.
Pas assez d’enfants !
On retrouve dans Plan 75 une lointaine référence au film Soleil vert de Richard Fleischer (1973). Dans un New York surpeuplé et suffocant de chaleur, les vieillards sont ainsi « invités » à se faire gentiment euthanasier. Il n’empêche que notre situation n'a rien de commun avec la New York de Soleil vert, même si l’action de ce film est supposée se dérouler en 2022 !
Richard Fleischer a réalisé son film dans la foulée du livre à succès de Paul Ehrlich, La Bombe P comme Population (1968), qui pointait la menace d’un trop-plein d’hommes, et du Rapport Meadows (1972) qui craignait qu’à trop prélever de ressources naturelles, nous en venions à replonger dans la misère.
Dans les faits, la natalité s’est effondrée dans tous les pays développés à partir de 1974. Aujourd’hui, exception faite de l’Afrique noire, la population humaine est en-deçà du seuil de renouvellement et ne va pas tarder à diminuer. Nous sommes désormais confrontés à la difficulté de remplacer les anciens dans les fonctions essentielles au bien-être commun (industrie, agriculture, encadrement, éducation). Mais ni cela, ni le réchauffement climatique, ni l’épuisement des ressources naturelles ne freinent notre fringale de consommation.
Nous ne sommes manifestement pas prêts à nous passer de notre SUV hybride Mercedes, de notre iphone Apple dernier cri, de nos vidéos on-line, de nos croisières et voyages aux antipodes, de nos cerises du Chili et de nos roses du Kenya. Bien mieux, grâce aux servives numériques des GAFA américains (Google, Amazon,…), nous pouvons désormais faire appel à des livreurs sous-payés pour nous livrer à domicile la pacotille produite à l’autre bout du monde par des enfants esclaves.
Autant dire que notre prospérité insolente est aux antipodes de Soleil vert et si les pays occidentaux les plus avancés en sont venus à autoriser le suicide assisté, ce n'est pas comme dans ce film pour éliminer des bouches inutiles mais dans une démarche consumériste. On programme son suicide sans nécessairement être en fin de vie, comme on programme son changement de sexe, en se laissant guider par une pulsion individuelle qui a l'avantage de nourrir un juteux commerce.
La mort, une affaire de gros sous
En 1981, déjà, Jacques Attali, alors conseiller du président François Mitterrand, avait entrevu et dénoncé cette tendance dans un livre d’entretiens (« L'avenir de la vie », Michel Salomon, Seghers) : « Dans une société capitaliste, des machines à tuer, des prothèses qui permettront d'éliminer la vie lorsqu'elle sera trop insupportable, ou économiquement trop coûteuse, verront le jour et seront de pratique courante. Je pense donc que l'euthanasie, qu'elle soit une valeur de liberté ou une marchandise, sera une des règles de la société future ».
La dystopie attalienne est devenue réalité dans plusieurs États occidentaux, à savoir dix États américains, les Pays-Bas, la Suisse, la Belgique, l'Espagne, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada (mais pas le Japon, qui demeure réticent au droit à l'euthanasie).
En juin 2016, le Parlement d'Ottawa a voté la loi C-14 qui a mis en place l'Aide médicale au suicide (MAiD, Medical Assistance in Dying). Peut en bénéficier toute personne qui juge ses conditions de vie intolérables. En mars 2023, la loi pourrait l'étendre aux mineurs « matures » et aux malades mentaux et aux dépressifs, même jeunes.
D'ores et déjà, au Canada, 5% environ des décès relèvent de la MAiD et des médecins déplorent que des dépressifs dans la force de l'âge et des malades y aient recours alors que des soins appropriés pourraient leur rendre goût à la vie. Le gouvernement progressiste de Justin Trudeau n'a cure de ces réserves. Il préfère écouter ses services comptables qui évaluent à une centaine de millions de dollars les économies annuelles en dépenses de santé générées par l'élimination de ces personnes (note).
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Voir les 6 commentaires sur cet article
Orante (14-10-2022 16:51:59)
Plus je connais les hommes et plus j'aime les bêtes ...
pmlg (13-10-2022 13:37:30)
@ chris 34 La douleur « deshumanisante » ? Ce n'est par la douleur qui est deshumanisante, c'est l'incompétence de ceux qui doivent la prendre en charge et notamment de ceux qui n'ont d'autre solu... Lire la suite
pmlg (13-10-2022 13:28:38)
@ Edzodu : oui Je crois que vous revez un peu ! Il ne faut pas tout mélanger. La question de la fin de vie et la « solution euthanasique » [... une autre expression a eu cours au siècle dernier !]... Lire la suite