La Culture de la Céramique cordée (ou Corded Ware Culture en anglais) est une culture archéologique d’Europe du Nord du Chalcolithique (Néolithique final) qui a perduré de -3000 à -2350 dans un vaste espace allant du Rhin à la Volga en passant par l’Europe centrale, le sud de la Scandinavie et même la côte du nord de la Norvège. Elle supplante localement la Culture des vases à entonnoir (ou Funnelbeaker Culture en anglais).
Découverte à la fin du XIXe siècle elle fut depuis au cœur de débats houleux concernant l’identité du ou des peuples qui l’ont constituée. En effet, elle est très fortement suspectée d’être la source de la majorité des langues indo-européennes (dico), famille de langues à laquelle appartiennent le français mais aussi notamment l’allemand, le latin, le grec, les langues iraniennes et les langues slaves.
En 1999, l’indo-européaniste James P. Mallory supposait que cette culture archéologique était à l’origine de la plupart des langues indo-européennes parlées aujourd’hui à l’exception de certaines comme le grec ou l’arménien.
Cette idée a près d’un siècle. Le grand archéologue marxiste australien Vere Gordon Childe a formulé déjà en 1926 l’hypothèse selon laquelle cette culture archéologique est l’origine des langues indo-européennes, dans le cadre d’une migration d’est en ouest. À la même époque, l’archéologue nationaliste allemand Gustaf Kossinna émettait les mêmes idées mais en plaçant pour des raisons idéologiques son origine sur le territoire allemand, inspirant les idées nazies.
Sur le plan archéologique, la culture la plus connue qui en descend est la Culture campaniforme étendue à toute l’Europe occidentale à partir d’une rapide expansion issue de la Céramique cordée de Bohème, aujourd’hui en République tchèque. Qui étaient réellement les peuples de la Céramique cordée et que nous disent l’archéologie et la génétique à leur sujet ?
Mode de vie et archéologie
D’après les archéologues, la Céramique cordée formait un vaste complexe de groupes locaux formant des échanges économiques et culturels. Elle se caractérise notamment par le pastoralisme et la chasse pour se nourrir, mais aussi par l’usage de la roue, de l’araire, la consommation de lait et l’usage de la laine.
Ses sites archéologiques contiennent une céramique aux motifs géométriques appliqués à la corde, des haches de combat, des objets d’ambre. Nous ne savons pas quel était l’usage de cette céramique. Dans une poignée de sites archéologiques elles montrent un usage pour la cuisine et plus rarement un usage pour l’alcool. Si cette céramique possède une similarité apparente avec celle des Yamnayas (la population de la culture de Yamna ou culture des tombes en fosse, étendue plus au sud dans la steppe pontique jusqu’à l’Europe centrale) elle n’en descend pas toutefois.
Un des arguments en défaveur de « l’hypothèse kourgane » de Marija Gimbutas et de l’archéologue français J.P. Demoule, spécialiste du Néolithique et grand adversaire de l’existence des Indo-européens, est que les techniques pour imprimer les motifs des objets de la Céramique cordée et de la culture de Yamna ne sont pas les mêmes et que la Céramique cordée ne descend pas de la culture de Yamna. Or, la génétique montre que leurs populations étaient cousines et descendaient d’ancêtres communs, sans descendre directement l’une de l’autre.
Très peu d’habitations ont été trouvées, ce qui a fait suggérer aux archéologues un mode de vie nomade, certains arguant toutefois que cela pouvait être dû à des choix idéologiques. Quelques habitations ont été étudiées en Finlande, en Suisse, au Danemark, aux Pays-Bas et en Allemagne notamment. Il fut conclu au début des années 2000 que les populations de la Céramique cordée vivaient en familles nucléaires et pas en villes ou villages, et que la population était répartie dans de petits hameaux ou des habitations individuelles.
Le degré de nomadisme n’a pas encore été tranché par les archéologues, ni l’importance de l’usage du cheval. L’élevage de bétail est un élément important de cette culture, ses traces ont significativement augmenté lors de sa genèse. La culture de céréale a joué un rôle sur certains sites archéologiques.
Il semblerait que le mode de subsistance varie selon les groupes et dépendait des opportunités de telle région. Par exemple à Gaasemosen, site côtier de la péninsule du Jutland au Danemark, les habitants élevaient du bétail sur de longues distances de manière combinée à de la pêche et de la chasse selon les saisons. En Suisse, ils vivaient au bord des lacs où le Néolithique s’était déjà épanoui et utilisaient les mêmes techniques que lors du Néolithique.
La Culture de la céramique cordée est plus un horizon rassemblant plusieurs cultures archéologiques unies par la même céramique qu’une culture unique. En Russie sa version locale est la Culture de Fatyanovo-Balanovo. En Scandinavie, c’est la Culture des haches de combat, caractérisée par ses haches en forme de navire. Des objets (boutons de vêtement notamment) témoignent d’une imagerie solaire, que l’on retrouve aussi au sein de la Culture campaniforme qui descend de la Céramique cordée de Bohème.
Les pratiques funéraires
Si les habitations sont assez rares, les monuments funéraires le sont nettement moins et furent beaucoup étudiés par les archéologues qui y ont décelé les traces des mentalités de ces populations.
Le changement idéologique était radical par rapport à l’Europe du Néolithique car des tombes individuelles succédaient aux tombes collectives, avec des pratiques différenciées selon le sexe de la personne. Les tombes se trouvent dans des tumuli (ou kourganes) tout comme celles de la culture de Yamna venue de la steppe pontique ou encore les cultures plus anciennes de Samara et de Khvalynsk des rives de la Volga au Ve millénaire av. J.C. dont les squelettes sont génétiquement apparentés.
Les tumuli de la Céramique cordée étaient alignés. Les archéologues en ont déduit qu’ils suivaient des axes routiers. Les hommes étaient accroupis sur leur côté droit et la tête tournée vers l’ouest, et c’est l’inverse pour les femmes. Quelques hommes furent enterrés comme des femmes avec des biens féminins, ce qui ne laisse pas d’interroger les archéologues sur une éventuelle reconnaissance de l’homosexualité.
Les biens retrouvés dans les tombeaux sont aussi différenciés selon le sexe de la personne. Les femmes avaient des colliers de dents animales, des disques solaires en cuivre, des ornementations de coiffure, des céramiques avec des pots de forme ovoïde. Les tombes masculines incluent des haches de combat, couteaux, lames et paires de disques d’ambre. Des wagons pouvaient être trouvés dans les tombes.
Les béchers typiques qui ont donné son nom à cette culture archéologique se retrouvent dans des tombes masculines et féminines. Leur forme varie selon les régions, minces à long cou aux Pays-Bas et dans certaines parties d’Allemagne, plus globulaires en Scandinavie.
La culture funéraire semble témoigner d’une culture guerrière socialement stratifiée, bien que le taux de stratification varie selon les sites et l’évaluation des archéologues. Il a été observé des tombes et groupes de tombes où les biens sont plus importants.
Paléogénétique et linguistique
La paléogénétique soutient totalement l’idée que la majorité des langues indo-européennes proviendrait des dialectes parlés au sein de la Céramique cordée. En effet, l’étude tant de l’ADN autosomal (les 22 chromosomes) que des lignées paternelles directes des squelettes séquencés sur l’ensemble géographique de cette culture archéologique montre qu’elle correspond à une grande expansion de populations apparentées aux fameux Yamnayas.
S’ils leur sont proches sur l’ADN autosomal ce n’est pas le cas sur les lignées paternelles directes. La très grande majorité des sites archéologiques de la Céramique cordée montrent des lignées paternelles directes d’haplogroupe R1a-M417 (notamment son sous-clade R1a-Z645), un très lointain cousin du R1b-Z2103 constituant la quasi-totalité des lignées masculines des hommes de la culture de Yamna (ou culture des tombes en fosse).
Les hommes de la Céramique cordée de Bohème quant à eux portent des chromosomes Y immédiatement parents de ceux de la culture de Yamna mais n’en descendent pas. Ils descendent d’un ancêtre commun ayant vécu d’après l’horloge biologique en -4200. Les lignées R1a-M417 ne sont apparentées à tous ces lignages qu’il y a plus de 20.000 ans, ce qui signifie que l’indo-européen commun a été appris par certains et transmis à d’autres ou qu’il résulte d’une synthèse de différents groupes lointainement apparentés.
Comment peuvent-ils être si proches dans l’ADN autosomal ? Les chercheurs ont émis l’hypothèse que ce soit par échange de femmes entre groupes apparentés. Peut-être que ces différents groupes de pasteurs des steppes descendants de chasseurs cueilleurs d’Europe orientale (le cluster génétique des Eastern Hunter Gatherers) se considéraient comme des uenetos, terme gaulois renvoyant à un vieux concept indo-européen théorisant les groupes ethniques considérés comme des égaux, apparentés, avec lesquels la guerre doit se faire selon certains codes.
Malheureusement, la paléogénétique manque de squelettes anciens avant -3500 qui puissent nous permettre de comprendre comment eut lieu la synthèse de différents groupes et où vivaient-ils durant les millénaires avant leur essor. Nous disposons de deux squelettes (en Carélie russe et à Arkhangelsk) de chasseurs cueilleurs très septentrionaux possédant un lignage (R1a-YP1306*) très apparenté au R1a-M417. Est-ce que cela veut dire que le petit groupe dont sont issues la majorité des lignées masculines de la Céramique cordée provient du grand nord ? Pas nécessairement, car ces deux squelettes peuvent provenir d’une population de chasseurs cueilleurs qui a migré vers le nord.
Ce que la génétique nous dit aussi, et qui est confirmé par l’archéologie, est que cette vaste culture archéologique était constituée de groupes tribaux apparentés entre eux mais ne formant pas une unité. C’est normal sur une telle aire de répartition. La majorité des grands groupes linguistiques indo-européens s’est déjà subdivisée à l’intérieur de l’horizon de la Céramique cordée.
Le lignage (R1a-Z93, un descendant du R1a-M417) de l’expansion indo-iranienne en Asie est né en -3000 toujours d’après l’horloge biologique dans la Céramique cordée dans l’ouest de la Russie au sein de la culture de Fatyanovo-Balanovo. Il en est de même pour son parent immédiat le lignage R1a-Z282, qui donna d’une part en Scandinavie le R1a-Z284 des squelettes de la Culture des haches de combat (Battle-Axe Culture) et d’autre part le lignage qui diffusa les langues balto-slaves.
Dans la Céramique cordée de Bohème, nous retrouvons autour de -2900 le premier exemplaire connu du lignage R1b-U106 qui migra rapidement vers la Scandinavie où il s’est épanoui au IIIe millénaire av. J.C. et est devenu un marqueur majeur de l’aire où sont parlées les langues germaniques.
À ses côtés, d’autres squelettes de la même période montrent un lignage d’haplogroupe (R1b-L51) très proche ancêtre immédiat de celui de la Culture campaniforme dont la langue est probablement ancestrale aux langues celtes et aux langues italiques. La Céramique cordée semble avoir été centrale bien plus que la culture de Yamna dans la diffusion des langues indo-européennes.
L’archéologie offre bien peu d’éléments pour nous informer sur l’idéologie de la Céramique cordée. Elle nous indique uniquement que sa population était guerrière, qu’hommes et femmes avaient un statut différencié, possédait une élite, qu’elle pratiquait l’élevage de bétail et n’avait pas de villes mais de petits hameaux et propriétés privées. Il est quasiment certain désormais que la majorité des langues indo-européennes en provient.
À ce stade de différenciation depuis l’indo-européen commun, plusieurs langues apparentées étaient nécessairement parlées à la fin de la période de cette culture et plusieurs des grands rameaux étaient nés. Mais au début de l’existence de cette culture vers -2900 des dialectes de l’indo-européen commun étaient parlés.
Si les travaux comparatistes du mythologue Georges Dumézil sont justes, la population de la Céramique cordée a eu (au moins une partie d’entre eux l’avait préservée) une structure tripartite comme nous la voyons au Moyen Âge français avec une caste sacerdotale au sommet, puis une aristocratie guerrière et une fonction productrice (agriculteurs, artisans).
Le terme indo-européen reconstruit désignant le roi (rex en latin, rix en gaulois) *h?r??-s est connu dans les langues indo-iraniennes et italo-celtiques, parmi des peuples ayant conservé la tripartition de la société à une époque connue (notamment les Gaulois et les Aryens de l’ère védique en Asie) et descendant de la Céramique cordée mais n’est pas attesté dans les langues descendant de la population de la Culture des tombes en fosse (ou culture de Yamna).
Berlin, capitale de la nouvelle Europe
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