Confédération du Canada : 150e anniversaire

De terribles Gaulois vaincus et soumis !

L’année 2017 marque pour le Canada le 150e anniversaire de la Confédération. Cet acte de naissance du pays a une origine bien particulière puisqu’il a été adopté par le Parlement... anglais.

Mais sa genèse, totalement canadienne, mérite une analyse détaillée car elle structure encore aujourd’hui les relations entre anglophones et francophones, relations toujours complexes et difficiles...

Christian Néron, Membre du Barreau du Québec, Constitutionnaliste, Historien du droit et des institutions

Le Canada, une démocratie libérale, vraiment ?

Malgré le fait qu’il soit souvent vu comme un pays moderne et modèle, le Canada n’est pas, et n’a jamais été, une démocratie libérale : c’est une monarchie qui a la reine d’Angleterre pour chef suprême. Depuis la cession de leur pays, en 1763, les Canadiens n’ont jamais été autorisés à ratifier leur constitution. Il vaut la peine d’insister : pas une seule fois depuis… 255 ans !

Une telle idée peut paraître invraisemblable à des esprits habitués à vivre sous des valeurs républicaines mais, au Canada, le mépris de la démocratie a quelque chose de banal ; nos élites – tant coloniales que colonisées – ont toujours décidé seules des affaires importantes.

Ceux qui s’en plaignent, et qui s’en scandalisent, passent même pour des extrémistes. Au Canada, il est très mal vu de hausser le ton, encore plus de s’indigner devant les plus odieux coups de force de nos élites politiques.

Le mot « confédération », apparu dans notre vocabulaire dans les années 1864-1867, n’a jamais été utilisé dans son sens technique, mais étymologique, afin d’identifier un projet d’union de toutes les colonies anglaises qui, jusqu’en 1864, étaient restées loyales à l’Angleterre, mais indépendantes les unes des autres.

À l’époque de la révolution américaine, ces colonies avaient résisté au mouvement d’insurrection qui allait donner naissance à une nouvelle union connue sous le nom d’États-Unis d’Amérique.

Des provinces autonomes et prospères

En 1864, le contexte politique et économique a évolué. Pendant que les Américains s’entretuaient au sud du 45e parallèle, au nord, les colonies loyales à l’Angleterre ont entrepris, individuellement et sans se concerter, de se doter de réseaux d’infrastructures maritimes et ferroviaires.

Depuis quelques années déjà, la prospérité économique s’étant accrue, une alliance autour de ce projet s’était imposée, mais elle n’était pas facile à faire accepter. En effet, chaque colonie souhaitait conserver son autonomie, ses institutions juridiques et, surtout, contrôler ses finances publiques. Dans cet ensemble, figurait en outre le Québec. Acquis à l’Angleterre en 1763, il était toujours de langue et de culture française.

La question primordiale qui s’est alors posée est la suivante : peut-on, avec une telle diversité de lois, de langues et d’intérêts, créer une « souveraineté générale » pour les sujets d’intérêt commun, et conserver une sorte de « souveraineté provinciale » pour toutes les affaires locales ?

En dépit d’une origine et d’institutions communes, les Américains avaient échoué à s’entendre, ce qui avait abouti à une guerre. Dès lors, comment le Canada pouvait-il créer de toutes pièces un État fédéral sans verser dans les mêmes tourments ?

Depuis 1663, grâce à Colbert, les Canadiens français disposaient d’une constitution, la 5e de leur histoire, dotée d’un système d’administration de la justice d’une étonnante modernité. Avaient-ils alors intérêt à courir le risque d’en former une 6e avec des provinces dont la population anglo-saxonne serait majoritaire au sein d’un parlement général ?

Beaucoup en doutaient et craignaient de se retrouver dans un état de subordination face à une population bien connue pour son agressivité et sa volonté de dominer. Toutefois l’accélération du jeu politique à partir de juin 1864 va les y forcer, et ce, malgré bien des protestions.

La constitution punitive de 1840 !

En 1864, les Canadiens français vivaient sous « l’Acte d’Union », constitution qui leur a été imposée en 1840 à titre de mesure punitive. Suite à la révolte des patriotes, en 1837-1838, le gouvernement de Londres avait décidé de sévir, au point même de vouloir faire disparaître les Canadiens en tant que société civile et politique en Amérique du Nord.

Tout avait alors été calculé, pesé et soupesé, afin de les mettre à la merci de la population coloniale anglo-saxonne pour mieux les aliéner de leurs repères traditionnels. Bref, l’idée était tout simplement de les dénationaliser pour en faire plus facilement des Anglais.

Pour en arriver là, on avait pris les grands moyens. Tout, dans cette constitution, n’était que contraintes, exactions, extorsions, et injustices de toutes sortes. Le gouvernement impérial avait même osé leur faire payer la dette de la province voisine, le Haut-Canada, enlisée dans une terrible faillite qui la paralysait complètement.

Une aubaine qui se calculerait en dizaines de milliards aujourd’hui. Cependant, tous ces beaux efforts pour les contraindre à s’engager sur le chemin des bonnes manières anglo-saxonnes ne toucheront qu’une petite partie de l’élite ; les autres resteront résolument Français.

Les Canadiens français connaissent alors une ère de prospérité économique sans précédent. Sur le plan politique, ils obtiennent même une pleine autonomie intérieure par l’octroi du principe de la responsabilité ministérielle. Désormais, plus personne ne pouvait aspirer à devenir ministre au Canada, et à rester en poste, sans jouir de l’appui d’une majorité à l’assemblée législative.

Par un curieux retournement de situation, la constitution punitive de 1840 avait perdu ses épines les plus aiguisées. Résultat : loin de devenir des Anglais, les Canadiens français avaient repris confiance en eux et contrôlaient maintenant l’ensemble de la politique au Canada!

Quant aux colons anglo-saxons, qui aspiraient à une domination sans partage, ils se montraient de plus en plus furieux. Cette constitution sordide – qui leur avait tant plu en 1840 – les faisait maintenant souffrir. Ce vilain coup de boomerang ne pouvait en rester là. Les signes de frustration ne cessaient de se multiplier. Il fallait en finir avec cette constitution infâme ! Il fallait mettre un terme à tant d’injustices ! Certains prédisaient que si cette constitution n’était pas modifiée, le sang finirait par couler.

Malgré une prospérité économique sans précédent, l’indignation s’intensifiait. C’était franchement humiliant que des « conquis gouvernassent ainsi des gouvernants  » ! Parmi toutes ces voix qui criaient à l’injustice et prédisaient la violence, il y avait celle de George Brown, député au parlement du Canada-Uni, chef des réformistes du Haut-Canada, propriétaire du journal The Globe de Toronto. 

Ce politicien avait sa petite idée bien en tête. Selon lui, seule une confédération des provinces pouvait mettre un terme aux « injustices » de la constitution de 1840. À des amis, il exprimait, en une figure de langage de son cru, les raisons qui le poussaient à réclamer un tel changement.

En parlant des Canadiens français, il écrivait : « L’Union législative ne nous a pas permis de les assimiler, toutefois, une confédération des provinces nous permettrait au moins de leur couper les griffes et de leur arracher les dents. » Bref, tout un programme politique qui se résumait en une image. 

Malheureusement, il faudra des dizaines d’années avant que nos historiens ne rendent publiques les belles idées de George Brown, premier et principal artisan de la Confédération. Plus encore, les événements ne tarderont pas à montrer qu’il était aussi un homme d’action redoutable.

L’accélération des événements

Le 14 juin 1864, le gouvernement du Canada-Uni tombe sous le coup d’une motion de censure. Immédiatement, Brown sent que le moment est venu, qu’il lui faut agir, tout de suite, au risque de laisser le destin lui filer entre les mains.

Cette crise ministérielle lui permet de se présenter comme l’homme de la situation, le bienfaiteur désintéressé, le sauveur providentiel, le seul capable de sortir le gouvernement de l’impasse.

Bien entendu, elle lui permet surtout de proposer aux membres du gouvernement en péril l’adoption d’un système fédératif fondé, comme aux États-Unis, sur une souveraineté partagée entre deux ordres de gouvernement.

L’offre paraît à ce point alléchante que, dès le 22 juin, le gouvernement annonce la formation d’une coalition qui accueille dans ses rangs George Brown et quatre de ses députés. Plus encore, le gouvernement s’engage – sans mandat de la population ni autorisation des autorités impériales – à procéder à des changements constitutionnels majeurs.

L’annonce est d’autant surprenante que, lors de la dernière campagne électorale, en juin de l’année précédente, personne n’avait soulevé au Bas-Canada, l’idée de changer quoi que ce soit à la constitution. L’annonce les prend donc par surprise.

Ainsi, en un tournemain, sans prévenir, sans autorisation, sans mandat de l’électorat, un gouvernement d’élites coloniales et colonisées s’attribue les pleins pouvoirs d’une assemblée constituante. La précipitation des évènements montre que George Brown a vu juste et qu’il a pris la bonne décision au bon moment.

Dans les mois suivants, Brown va maintenir cette emprise à différents moments stratégiques, en particulier lors de la Conférence constitutionnelle tenue à Québec du 10 au 27 octobre 1864.

La Conférence de Québec

La Conférence de Québec comprend trente-trois membres ; ils sont ministres ou membres influents de l’opposition. Seuls, les francophones de l’opposition au Bas-Canada ont été écartés ; ils avaient déjà trop protesté de l’illégalité du processus. Sur ces trente-trois membres, vingt-neuf sont Britanniques, quatre sont Canadiens français  ; le déséquilibre des forces est patent. La qualité compensera-t-elle la quantité ? Nous tenterons de répondre à cette question ultérieurement.

Les travaux se déroulent dans une sorte de retraite fermée tenue du 10 au 27 octobre 1864. Que s’est-il passé exactement ? Ce n’est que bien des années plus tard que les historiens vont le révéler en étudiant les procès-verbaux restés longtemps secrets. Contre tout bon sens, un seul des quatre Canadiens français a pris la parole durant cette conférence, et ce, à de rares occasions. Pour dire les choses bien franchement, ces procès-verbaux – s’ils n’ont pas été trafiqués – nous montrent que l’avenir du Canada français avait été discuté et décidé par vingt-neuf Britanniques.

Bref, nos quatre terribles Gaulois s’étaient héroïquement écrasés dans un coin pour se rendre invisibles. C’est gênant à dire, c’est même honteux, scandaleux et tout ce que l’on voudra, mais il semble bien que ce fût le cas. George Brown avait eu bien raison d’exiger un huit-clos total, d’exclure les journalistes, d’exiger la confidentialité sur l’état des discussions, d’interdire la divulgation des procès-verbaux.

Encore aujourd’hui, bien des historiens ont du mal à comprendre la conduite de nos champions. Le député n’avait-il pas prédit qu’il réglerait le compte des Canadiens français à sa façon, qu’il leur couperait les griffes et leur arracherait les dents ? D’ailleurs, à la clôture de la conférence, dans l’après-midi du 27 octobre 1864, Brown était surexcité. Il pavoisait, il jubilait ! De toute évidence, les Canadiens français avaient obtenu le traitement qu’il leur réservait.

Heureusement pour nos historiens, il avait l’habitude de se précipiter pour tout écrire à sa femme, sa fidèle confidente. Dans une lettre datée de ce même 27 octobre, il lui témoigne, avec une formule de son cru, le sentiment du devoir accompli : « Is it not wonderful ? French-canadianism entirely extinguished ! » (« N'est-ce pas merveilleux ? Le "canadianisme-français" est définitivement éradiqué ! »)

Ce cri de triomphe n’est pas sans en rappeler un autre, si souvent cité dans nos cours de latin, lancé par Cicéron à sa sortie de l’exécution des conjurés de Catilina : « Ils ont vécu ! » Bref, les Canadiens français, coincés dans ce nouvel ordre constitutionnel, avaient vécu ! La suite des événements confirmera qu’on avait choisi la meilleure méthode pour les faire mourir sans faire de bruit.

De toute évidence, Brown avait d’excellentes raisons de croire que les Canadiens français s’étaient précipités dans son piège, qu’ils avaient acquiescé à des changements les mettant à la merci des Britanniques et que le nouveau Canada à naître serait anglo-saxon, excluant tout ce qui était français.

Bien entendu, à cause du huit-clos et de la culture du secret, les députés et la population du Canada français ne sauront rien de la conduite scandaleuse de leurs quatre champions de la Conférence de Québec. Toutefois, lors des débats parlementaires sur la Confédération, tenus aux mois de février et mars 1865, ils feront l’impossible pour obtenir que les résolutions de la Conférence de Québec soient soumises au vote de la population par référendum ou élections référendaires, mais sans effet.

Malgré une soixantaine de pétitions de la population, malgré trois motions présentées en ce sens au parlement, les ministres s’y opposeront farouchement, alléguant que l’appel au peuple était anticonstitutionnel et anti-britannique, que le Canada n’était pas une république française, mais bel et bien une monarchie anglaise.

La Conférence de Londres

Une dernière conférence va se dérouler à Londres en décembre 1866 ; il s’agit alors de rédiger le texte final du projet de loi qui devra être soumis au vote du Parlement de Westminster.

Les délégués sont cette fois au nombre de seize, dont seulement deux Canadiens français. Mais cette fois encore, la conduite de nos terribles Gaulois s’avère lamentable, surtout celle de George-Étienne Cartier qui est à proprement parler scandaleuse.

La version finale du projet de Confédération pour le Canada est donc rédigée par des Britanniques, soit les délégués des provinces et les légistes du gouvernement métropolitain. Le texte final est voté par les députés du Parlement de Westminster le 8 mars, puis sanctionné par la reine Victoria le 29 du même mois. La Confédération entre en vigueur trois mois plus tard, le 1er juillet 1867.

Une colonie de l’intérieur

Politiquement édentés et dégriffés, les Canadiens français vont vite réaliser que ce nouveau Canada qu’on leur promettait n’avait rien de binational, de biculturel et de bilingue ; en fait, il est essentiellement britannique.

Réduits à l’impuissance par une constitution conçue et écrite par des Britanniques, les Canadiens français découvrent aussi que la province de Québec n’est plus qu’une sorte de colonie de l’intérieur sous l’autorité d’un Canada où les mots « égalité et fraternité » étaient proscrits.

Au lieu de gagner en autonomie, comme on le leur promettait, les Canadiens français n’ont fait que changer de maîtres : avant 1867, le Canada tout entier avait été une colonie de la Grande-Bretagne ; après 1867, la province de Québec allait devenir une colonie intérieure soumise à l’autorité d’un Canada britannique qui se montrera de plus en plus agressif et exclusif.

À la différence des Anglais d’Angleterre qui n’avaient d’intérêt que pour le commerce et la sécurité des frontières, les Anglais du Canada vont faire preuve d’une hostilité marquée et constante à tout ce qui n’est pas britannique, ou, pour dire les choses autrement, à tout ce qui est français.

Par exemple, l’administration publique, qui sera établie au niveau fédéral, ne sera pas seulement britannique ; elle sera d’abord et avant tout agressivement britannique. Les sous-ministres, les cadres, les professionnels, les techniciens, seront unilingues anglais, et feront tout pour le rester.

On aurait pu croire qu’au fil des générations une certaine fraternité se serait développée entre francophones et anglophones, mais tout au contraire. Le français y deviendra même la langue la plus méprisée du monde.

Bien entendu, des francophones seront intégrés à la fonction publique fédérale, mais le premier critère d’emploi sera toujours le même : se montrer colonisé jusqu’à la moelle. Il n’y aura jamais d’exception ; quiconque osera s’affirmer sera tenu pour rebelle et remercié.

Mais il faut aussi se garder de mettre tous les torts sur la coercition des Anglais. Pendant un siècle et demi, les Canadiens français ont eu amplement le temps de se ressaisir et de modifier leur conduite, mais ils n’ont jamais pris les moyens pour exiger la reconnaissance de la légitimité qui leur revenait en tant que peuple fondateur du Canada.

On peut bien faire des reproches à ceux qui ne cherchent qu’à dominer, mais on peut en faire tout autant à ceux qui se montrent trop empressés à sacrifier tout ce que le droit, la tradition et l’histoire leur ont légué. Mourir tout doucement à soi-même pour mieux renaître dans l’Autre, voilà le défi existentiel qui attend tout Canadien français depuis le 1er juillet 1867.

Le 1er juillet prochain, ils seront des millions à se joindre, avec Justin Trudeau pour tambour-major, au triste cortège d’une soumission honteusement assumée. Personne ne va les y forcer ; l’homme n’est-il pas tenu pour libre lorsqu’il est la cause et le maître de ses actes ?

Publié ou mis à jour le : 2018-11-27 10:50:14

Aucune réaction disponible

Respectez l'orthographe et la bienséance. Les commentaires sont affichés après validation mais n'engagent que leurs auteurs.

Actualités de l'Histoire
Revue de presse et anniversaires

Histoire & multimédia
vidéos, podcasts, animations

Galerie d'images
un régal pour les yeux

Rétrospectives
2005, 2008, 2011, 2015...

L'Antiquité classique
en 36 cartes animées

Frise des personnages
Une exclusivité Herodote.net