On le sait : c'est Charlemagne qui a eu l'idée folle, un beau jour, d'inventer l'école. C'est une fort jolie histoire, mais pas tout à fait vraie. Si « l'Empereur à la barbe fleurie » a bien participé au mouvement, l'avancée de l'alphabétisation et de l'instruction en général ne s'est pas faite sans mal.
Revenons sur l'histoire du savoir lire et écrire, dont la diffusion a longtemps été un succès mais qui rencontre aujourd'hui de véritables difficultés.
Libres enfants de la préhistoire... vraiment ?
Tous les enfants n'ont qu'un regret : ils auraient tant aimé vivre à une époque où l'école n'existait pas ! Comment ne pas envier ces petits bonshommes préhistoriques, libres de ne pas se lever à l'aube pour passer la journée assis sur une chaise ?
Mais attention, la réalité n'est pas aussi belle. Comme tous les êtres vivants, Neandertal ou Sapiens junior devait faire l'apprentissage de la vie en suivant les conseils avisés des plus âgés. Pêcher, chasser, fabriquer les vêtements et même les repas, cela s'apprend.
Les jeunes pouvaient même entrer en apprentissage, comme le prouvent ces stocks de déchets de pierres taillées qui témoignent de l'existence de véritables ateliers d'entraînement. Impossible en effet d'improviser cette technique toute en précision, qui nécessite une bonne connaissance de l'outil et du geste.
Et qui sait si les empreintes de petites mains qui se sont glissées sur les parois des grottes n'étaient pas celles de femmes mais d'adolescents conviés à partager l'expérience de la création ?
Avec l'arrivée du néolithique ce sont les nouvelles connaissances agricoles qui doivent être transmises de génération en génération. Vu l'expansion de l'humanité à cette époque, on peut se féliciter des méthodes d'enseignement, certainement pragmatiques mais efficaces.
Dans ce texte du IIe millénaire av. J.-C., un scribe s'emporte contre son fils qui ne semble pas décidé à suivre ses conseils...
« Où es-tu allé ?- Je n’ai été nulle part.
- Si tu n’as été nulle part, pourquoi muser comme un fainéant ? Va à l’école, présente-toi au " père de l’école ", récite ta leçon, ouvre ta sacoche, grave ta tablette, laisse ton " grand frère " calligraphier ta nouvelle tablette. Quand tu auras terminé ta tâche et l’aura montrée à ton surveillant, reviens vers moi sans flâner dans les rues. À présent as-tu retenu ce que je t’ai dit ?
- Oui, je te le redirai. [...]
- Eh bien, dis-le-moi !
- Tu m’as dit d’aller à l’école, de réciter ma leçon, d'ouvrir ma sacoche, de graver ma tablette pendant que mon " grand frère " m'en gravera une nouvelle. Quand ma tâche sera terminée, je reviendrai auprès de toi après m'être présenté au surveillant. Voilà ce que tu m'as dit...
- Sois un homme, voyons. Ne hante pas le jardin public et ne traîne pas dans les avenues et les boulevards. […] Moi, nuit et jour, je suis à la torture à cause de toi. Nuit et jour tu gaspilles ton temps en plaisirs. » (cité par Samuel Kramer dans L'Histoire commence à Sumer, 1956).
Premières écoles, premiers programmes
Avec l'arrivée de l'écriture à Sumer au IVe millénaire avant J.-C., tout change. On a désormais besoin de spécialistes qu'il faut former pendant de longues années dans les premières écoles, les « maisons des tablettes ».
Pas facile en effet, la maîtrise du cunéiforme ! C'est un art réservé aux scribes qui le transmettent de père en fils, plus rarement de père en fille. Grâce à l'écriture phénicienne, alphabétique et donc plus simple, qui se développe vers 1300 av. J.-C., n'importe quel officier de bonne famille peut désormais apprendre à lire et écrire.
Mais devenir scribe, c'est une autre histoire : pour ces futurs personnages de premier plan, essentiellement masculins, il faut suivre un enseignement intensif, cher et donc réservé à l'élite. Le principe est simple puisque l'élève doit juste recopier et apprendre par cœur une liste de mots, celle d'animaux, d'étoiles ou d'objets par exemple.
À cela s'ajoutent quelques petits problèmes à résoudre concernant la capacité d'un canal ou la taille d'un champ, le futur scribe devant maîtriser parfaitement les mathématiques pour répondre aux besoins sur le terrain.
Du côté de l'Égypte, les mathématiques sont aussi à l'honneur pour faire face aux modifications de surface dues aux crues du Nil. Mais tout le monde ne deviendra pas géomètre !
Regroupés à la cour ou dans les administrations, les futurs prêtres et scribes bureaucrates passeront des années à recopier et psalmodier des textes littéraires. Dans les autres couches de la société c'est au père de famille que revient le rôle d'instruire son fils, c'est-à-dire de lui transmettre son métier. Et gare au récalcitrant qui ne doit pas oublier que les méthodes pédagogiques d'alors ne privilégiaient pas la douceur : « l'oreille du garçon est sur son dos, il écoute quand on le bat ».
Dans cet extrait du dialogue Protagoras, le philosophe Platon rappelle la dureté de la condition d'écolier en Grèce...
« Dès que l'enfant comprend ce qu'on lui dit, au plus tôt sa nourrice, sa mère, son précepteur, son père en personne, s'acharnent à cette tâche, de faire que l'enfant devienne le meilleur possible, et cela en prenant occasion de chacun de ses actes ou de chacune de ses paroles pour lui enseigner et lui expliquer que ceci est juste, cela, injuste, ceci, beau, cela, vilain, ceci, pieux, cela, impie : " Fais ceci ! Ne fais pas cela ! " Supposons qu'il obéisse de son plein gré ; mais, s'il ne le fait pas, alors, comme une baguette tordue et courbée, ils le redressent en le menaçant et en le frappant.
Et quand, après cela, ils l'envoient chez un maître, ce que par-dessus tout, et de beaucoup, ils recommandent à celui-ci, c'est de veiller à la bonne conduite de l'enfant, plutôt qu'à ses progrès pour lire et écrire ou pour jouer de la cithare. Le maître y veille de son côté, et, quand l'enfant, cette fois, a bien appris à lire et qu'il doit comprendre désormais ce qu'il lit, comme précédemment il comprenait la parole, il fait faire à ses élèves, assis sur leurs bancs, connaissance avec les poèmes de bons poètes ; il les oblige à les apprendre par cœur, car ils contiennent nombre de maximes utiles à retenir, nombre d'exemples développés ; sans parler des louanges données aux hommes de valeur du passé et de leur glorification, dans le dessein que, par émulation, l'enfant les imite et qu'il ait le désir de leur ressembler » (Platon, Protagoras, Ve siècle av. J.-C.).
L'arrivée des pédagogues
« Ni brebis, ni autre bétail ne saurait vivre sans berger ; pas davantage les enfants sans pédagogue » (Platon, Lois, Ve siècle av. J.-C.). Voilà qui est clair : pour les Grecs anciens, la jeunesse doit être éduquée, il faut que l'enfant acquière les bases de son « métier de citoyen », capable quand son tour viendra de prendre les rênes de la Cité.
On estime d'ailleurs aujourd'hui que la majorité de ces citoyens athéniens, auxquels il faut ajouter certaines femmes ou esclaves, savaient lire et écrire. L'alphabétisation est en effet placée au cœur de l'enseignement du fils de bonne famille. Pendant 7 ans, celui-ci est suivi à la trace par un paidagogos, un esclave qui est censé lui inculquer les bonnes manières et le conduire à l'école, voire d'être lui-même présent aux cours pour s'assurer du sérieux de son protégé.
Seuls les plus pauvres peuvent échapper aux leçons dispensées par un maître privé (disdaskalos) dans sa propre maison : lecture, écriture, calcul puis apprentissage des vers d'Homère, musique et sport font partie des programmes imposés. L'éducation est sévère, les punitions nombreuses mais pas autant qu'à Sparte où des écoles d'État s'emploient à éduquer mais aussi endurcir garçons et filles.
Plus tard, à Rome, le même schéma se met en place avec au fil des siècles un système de mieux en mieux organisé. Pour les bambins aisés, l'éducation se fait d'abord à la maison, parfois sous l'autorité d'un précepteur, ou dans des écoles privées enseignant lecture et arithmétique.
Puis seuls les garçons accèdent à l'enseignement du grammaticus consacré aux littératures latines et grecques, avant, pour les meilleurs, de s'initier après 16 ans à l'art de la rhétorique et de l'éloquence.
Il faut attendre l'Empire pour que l'État se penche sur le problème de l'éducation, y consacre des édifices, pensionne des professeurs et crée ainsi un véritable réseau municipal. Rien d'étonnant donc que l'on trouve incrusté sur les murs de villes comme Pompéi un nombre impressionnant de messages gravés par le premier venu.
L’alphabétisation de masse semble déjà devenue réalité. Mais pour les cancres rien de nouveau ! Une fresque de Herculanum nous montre un élève recevant des coups de bâton sous le regard indifférent de ses camarades. Rien que de très banal, à l'époque...
Au IIe siècle déjà, Juvénal plaignait les professeurs romains, peu payés et considérés...
« Et toi qui, sur les bancs d’une nombreuse école,
Exerçant des enfants à l’art de la parole,
Leur apprends à combattre un tyran inhumain,
As-tu donc des poumons ou de fer ou d’airain ?
Ce qu’ils ont lu debout, assis pour le relire,
Cent fois sur le même air ils vont te le redire.
Qui tiendrait, Vettius, à la satiété
D’un si fade aliment si souvent répété ? […]
Quel père, appréciant des travaux assidus,
Au savant Palémon, au docte Encéladus,
Pour les pénibles soins qu’exige la grammaire,
Du rhéteur seulement accorde le salaire ? […]
Si, quand le forgeron et le cardeur de laine
Goûtaient tranquillement un paisible sommeil
Toi, devançant de loin le lever du soleil,
Au milieu des grimauds qui gâtaient, dans ta classe,
Les chefs-d’œuvre enfumés de Virgile et d’Horace,
Tu n’as pas, sans profit, en ton grenier obscur,
D’un fétide lambris respiré l’air impur ! » (Juvénal, Satires, IIe siècle).
Las, les acquis romains en matière d'alphabétisation et d'instruction vont vite s'étioler au milieu du Ier millénaire de notre ère et il faudra plusieurs siècles pour que le Moyen Âge retrouve l'envie d'apprendre...
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