Le 21 décembre 1873, l'officier de marine Francis Garnier (34 ans) meurt près de Hanoi au cours d'un combat entre sa troupe et des irréguliers chinois, les « Pavillons noirs ».
Aujourd’hui oubliée, sa mort eut un grand retentissement en France, à la Chambre des députés ainsi qu'au gouvernement, où certains s’interrogèrent sur le bien-fondé de l’intervention française en Indochine. En définitive, sa mort allait renforcer la détermination des milieux colonistes..
Amorce d'une conquête
Après leur installation à Saigon, au sud de l'empire du Viêt-nam, en 1859, les Français s'étaient mis en tête de chercher une voie de pénétration vers la Chine du sud.
Ils voyaient dans la mainmise sur cette région, dont ils surestimaient la richesse, une opportunité pour leurs commerçants et l'occasion de rivaliser avec les Britanniques, fortement présents aux Indes.
Un officier, Doudart de Lagrée, tente de reconnaître la vallée du Mékong. Mais il mesure les difficultés de l'expédition, le fleuve étant barré par des rapides et bordé de principautés hostiles. Sa conclusion est que la voie qui mène à la Chine n'est pas le grand fleuve de la Cochinchine (le Mékong) mais celui du Tonkin, la grande province vietnamienne du nord (le Sông Koi ou Fleuve rouge).
Il meurt en tentant de reconnaître cette autre voie et c'est un de ses adjoints, Francis Garnier, qui achève le voyage. Parti de Saigon, il atteint la rivière des Perles, qui débouche sur le grand port chinois de Canton. Après deux ans de pérégrination, il est de retour à Saigon.
Il publie une belle relation de cette mission : Voyage d'exploration en Indo-Chine 1866-1868, et caresse dès lors l'objectif d'ajouter le Tonkin aux possessions françaises du sud.
Son projet bénéficie d'un écho favorable chez les républicains qui ont succédé à Napoléon III à la tête de la France ainsi que chez les missionnaires catholiques et les officiers de marine qui gouvernent la Cochinchine.
Rébellion tonkinoise
Justement, Tu Duc, l'empereur du Viêt-nam, s'inquiète des agissements de certains trafiquants français au Tonkin, notamment un certain Dupuis qui vend des armes à un général chinois du Yunnan (province chinoise limitrophe du Tonkin).
Il craint non sans raison que ces trafiquants n'excitent les opposants locaux à sa dynastie et s'en plaint au gouverneur français de Cochinchine, l'amiral Dupré. Mais Dupuis intervient de son côté auprès du même gouverneur pour qu'il protège les commerçants français du Tonkin.
L'amiral Dupré envoie Francis Garnier à Hanoi, capitale du Tonkin. Sur place, l'officier de marine se heurte au refus des mandarins d'ouvrir le port et le Fleuve Rouge aux commerçants étrangers, tant chinois que français. Ces mandarins locaux ont le soutien de l'empereur Tu Duc.
Francis Garnier ne se laisse pas intimider et avec seulement 120 hommes, attaque la forteresse de Hanoi, défendue par 7 000 soldats annamites au service de l'empereur Tu Duc. Il réussit contre toute attente à s'en emparer. Il n'en reste pas là. Au, terme d'une campagne de trois semaines et avec le concours des 140 000 chrétiens locaux, il s'empare également de toutes les forteresses du delta.
Le gouverneur Dupré finit par s'inquiéter de son activisme. Il ne lui envoie pas les renforts qu'il attend. Finalement, le jeune officier de marine trouve la mort aux portes de Hanoi, au cours d'une embuscade tendue par des mercenaires chinois au service des Annamites, les terribles « Pavillons noirs ».
Sa mort est exaltée en France par les promoteurs républicains de la colonisation. Mais l'amiral Dupré, qui mesure les risques d'une conquête du Viêt-nam, choisit d'évacuer le Tonkin et d'abandonner les chrétiens locaux à leur sort, en échange de la promesse par l'empereur Tu Duc d'ouvrir les ports et le fleuve aux commerçants français.
Comme la situation des commerçants français établis au Tonkin reste précaire, Jules Ferry, président du Conseil, reprend la conquête moins de dix ans plus tard. En juillet 1881, il obtient un crédit de 2,5 millions de francs pour officiellement lutter contre les pirates chinois qui sévissent sur le Fleuve Rouge et menacent les commerçants.
Le 25 avril 1882, avec seulement 600 hommes et trois canonnières, le capitaine de frégate Henri Rivière (55 ans) renouvelle l'exploit de Francis Garnier et s'empare de la forteresse de Hanoi. Mais il est tué le 19 mai de l'année suivante, comme son prédécesseur, par les « Pavillons noirs » ! Le gouvernement français en fait aussitôt un héros national.
Jules Ferry porte sans attendre à 4 000 puis à 9 000 hommes les effectifs du corps expéditionnaire en Extrême-Orient et donne l'ordre de châtier comme il se doit les Tonkinois.
Plus au sud, à Hué, l'empereur Tu Duc meurt en août de la même année. Aussitôt, une escadre sous les ordres de l'amiral Courbet bombarde les forts de la ville.
Par le traité de Hué du 25 août 1883, l'amiral Courbet impose au nouvel empereur, Ham Nghi, la présence d'un résident français à ses côtés et le protectorat de la France. Le protectorat n'est véritablement confirmé que par le traité de T'ien-tsin avec la Chine, quelques mois plus tard, le 9 juin 1885.
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