« Miss France fête ses 100 ans et peut-être que l’élection sera différente, mais elle aura lieu. » déclarait la présidente du Comité Miss France, Sylvie Tellier, en avril 2020. Le coronavirus aura-t-il raison de l’élection d’une reine de beauté cette année ? Affaire à suivre, de près… ou de loin.
La première « plus belle femme de France » fut couronnée le 10 mai 1920 et le concours prit officiellement le nom de « Miss France » en 1927. Depuis, chaque édition est le reflet de son temps. Entre sexisme et scandales, à la fois moderne et conservateur, le concours est à l’image de la société. Chaque année, il continue de réunir des millions de téléspectateurs, curieux de découvrir - et avides de juger – les « plus belles femmes » de France et d’Outre-mer.
Quelques mois après la Première Guerre mondiale, c'est sur une idée du journaliste d'origine belge Maurice de Waleffe que Le Journal organisa le concours de « La plus belle femme de France ». L’idée de son instigateur était de « mettre en avant la splendeur physique » et de prouver que « le choix de la majorité indique le type instinctif d’une nation ».
Le quotidien invita ses lecteurs à faire leur choix parmi une sélection de 2063 candidates convaincues par les arguments de Waleffe. Chacune était présentée sous un pseudo de nom de fleur, de pierre, d'oiseau ou de déesse.
Après plusieurs éliminatoires, les photos de 49 jeunes femmes furent distribuées dans les cinémas parisiens. Les Français, mais aussi les Belges, furent invités à se rendre à plusieurs reprises au cinéma pour voter lors des sept manches que compte le concours.
À leur arrivée au cinéma, chaque spectateur se voyait remettre un ticket d’entrée et une carte postale portant les noms des candidates. « Mettez, dans l'ordre de vos préférences, un numéro (de 1 à 7) en face de chaque candidate, en mettant le numéro 1 à la préférée », peut-on lire en guise de consigne dans Le Journal du vendredi 20 février 1920.
Une fois leur décision prise, les votants n'avaient plus qu'à signer et indiquer leur adresse sur la carte puis à l'envoyer au journal, pour le décompte des votes en présence d'un huissier.
Arrive le grand jour, le 10 mai 1920 : la France élit donc sa première reine de beauté. L’heureuse élue est une jeune fille de 17 ans, Agnès Souret, native d’Espelette (Basses-Pyrénées). Née d'un père breton et d'une mère basque, elle a les cheveux châtain clair, les yeux bruns et mesure 1 mètre 68.
En cadeau, la lauréate reçoit 4 000 francs des Films-Eclair, son portrait par la Photographie d'art Sartony et un coffret d'essences rares de la parfumerie Arys.
Agnès Souret savoure sa victoire le temps d’une année mais elle meurt tragiquement en 1928 à l'âge de 26 ans, d'une inflammation du péritoine. À cette occasion, Le Figaro lui adressa un article très élogieux : « Le ciel lui avait donné, outre une beauté étourdissante qu'on pouvait ne pas aimer, mais qui était certaine, infiniment de sagesse et de bonté ; elle avait ce don précieux et rare entre tous les dons : un heureux caractère, que nul mouvement d'humeur n'a jamais troublé. (...) C'est si dangereux d'être trop belle, et l'orgueil vient si vite au coeur humain! Agnès Souret était toute simplicité. »
À en croire les belles paroles du journaliste qui lui dédia cet hommage, la beauté de la jeune femme égalait son doux caractère. « C'est si rare, une très jolie personne qui a un caractère de bonté et de gentillesse, alors que tant de femmes laides sont, en outre, nuisibles ! Disons adieu à l'innocente enfant, qui était timidement venue à nous de son clair pays basque. Non, elle n'était pas née pour Paris. Elle est repartie directement pour le paradis, le séjour des anges, où sa place est toute trouvée… »
Difficile de faire mieux. Les futures Miss ont intérêt à être à la hauteur.
Le concours de beauté est-il une idée propre au XXème siècle ? L’Histoire de la beauté féminine nous prouve que non. Dans la mythologie grecque, pléthores d’histoires narrent des rivalités entre divinités ou mortels liés à la beauté des unes et des autres.
Sur l’Olympe, les déesses grecques Athéna, Héra et Aphrodite se disputent la pomme d'or « à la plus belle », que leur a lancée la déesse de la discorde Eris. Zeus décide alors de faire appel au prince troyen Pâris pour les départager dans ce qui peut être considéré comme le lointain ancêtre du concours Miss France.
Curieusement, ce concours ne se joue pas sur les qualités esthétiques des déesses, mais sur les promesses qu'elles font au jeune homme. Or, plutôt que la gloire militaire ou le pouvoir, Pâris choisit l'amour de la plus belle femme du monde, Hélène, que lui promet Aphrodite.
Le concours de beauté n’est pas renouvelé entre 1922 et 1926. Il faut attendre 1927 pour qu’il fasse son retour en grande pompe. Rebaptisé en franglais Miss France par Robert et Jean Cousin, il sera vite décliné dans différents pays.
La première Miss France « officielle » est Roberte Cusey, miss Jura 1926. Très vite, le concours s’imbrique dans la société, devenant le miroir des mœurs de son temps.
En 1937, Maurice de Waleffe casse les codes en invitant à concourir des mannequins de l’Empire colonial français : Miss Guadeloupe, Annam, Sénégal, Tonkin, Tunisie et Cambodge. Parlementaires et ministres font la moue mais le président Albert Lebrun nen a cure et invite les Miss à prendre le goûter à l’Élysée. Le public se presse pour les voir, leur présence est un véritable succès.
Entre 1941 et 1946, aucune élection n’a lieu. Il faut dire que la France est occupée à des affaires un brin plus importantes que d’élire une reine de beauté.
En 1951, les Britanniques organisent un concours Miss Bikini et l'année suivante, les Américains élisent la première Miss Univers.
Mais qu'importent ces rivaux, le concours national gagne en prestige et la France met ses Miss à l’honneur. En 1952, le 24 décembre, 17 postulantes sont logées à l'hôtel d'Angleterre, au pied du mont Blanc. On se plie en quatre pour les jeunes femmes. Une vie de rêve ? Pas tant que ça, car leurs libertés sont limitées.
Priorité au physique oblige, « Un malheureux coquard ou un bleu à la fesse compromettrait grandement les chances de ces jeunes personnes » note un journaliste du Dauphiné Libéré.
Donc, interdiction de skier, interdiction de patiner… Les Miss peuvent faire du traîneau à cheval et regarder les vitrines des boutiques. Pourtant, elles défilent sur des talons de 10 centimètres… un exercice périlleux, qui n’est pas sans risque ! Mais tant pis, ça fait partie du métier.
Cette année-là, 10 « adorables créatures » sont qualifiées pour la finale. Tous les détails de leur physique sont livrés au public. On publie un tableau reprenant pour chacune sa taille, sa « taille mannequin », sont tour de poitrine, son tour de taille, son tour de hanche, son poids, et la couleur de ses cheveux et de ses yeux.
Depuis l’initiative de Maurice de Waleffe, les départements et territoires d’outre-mer sont représentés au concours mais il faut attendre 1976 pour voir la première Miss Réunion (Monique Uldaric) décrocher la couronne.
La première Miss France noire de l’Histoire est élue en 1993, il s’agit de Véronique de la Cruz, la Miss Guadeloupe. L’événement marque un tournant dans l’histoire du concours dont les frontières dépassent pour de bon celles de l’hexagone.
De mars 1981 à avril 2010, le concours va être dirigé par le comité Miss France, présidé par Geneviève de Fontenay, une « Dame au chapeau » exubérante en diable qui va lui assurer une notoriété bien au-delà des cercles conventionnels.
La première retransmission à la télévision a lieu en 1986 sur la troisième chaîne. Ce soir-là, Guy Lux anime la soirée aux côtés d’un invité surprise, et quelle surprise ! les téléspectateurs découvrent l’abbé Pierre aux côtés d’une ribambelle de jeunes femmes en maillot de bain.
TF1 et l’animateur phare Jean-Pierre Foucault reprennent le flambeau en 1995.
Un versant masculin du concours est lancé en 1984 sous le titre de « Monsieur France ». En 1993, il prend le nom de « Mister France » pour ressembler à son homologue féminin dont le succès est bien en place. Mais il ne parvient pas à se faire une place sur la scène télévisuelle et médiatique.
« C'est un spectacle qui ne prend pas. La notion de compétition autour de la beauté de l'homme n'est pas assez enracinée dans notre Histoire », explique l'anthropologue Élisabeth Azoulay.
Depuis ses débuts, « Miss France » a dû faire face à des scandales à répétition. Par une pudeur héritée des « rosières », reines d'un jour des kermesses villageoises d'antan, le concours oblige contractuellement les lauréates à dissimuler leur intimité. Une obligation paradoxale qui a rarement été respectée en notre époque de liberté échevelé. Dès les premières décennies, des Miss ont ainsi pris la pose en tenue légère devant l'objectif des photographes : Germaine Laborde en 1929, Jeanne Juilla en 1931 ou encore Claudine Auger en 1958 pour n’en citer que quelques-unes.
Si toutes n’ont pas été sanctionnées, certaines ont payé cher le dévoilement de leur corps. Isabelle Turpault fut destituée en 1983 après la publication de photos d’elles posant en lingerie dans Paris Match. Même sanction pour Isabelle Chandieu deux ans plus tard, qui fut remplacée par l’une de ses dauphines, Carole Tredille. Un choix malheureux, cette dernière se lançant quelques années plus tard dans le cinéma pornographique.
Dans les années 2000, ces scandales se poursuivirent, le plus célèbre étant celui des photos suggestives de Valérie Bègue, Miss France 2008, publiées par le magazine Entrevue.
Outre ces affaires qui relèvent de la presse à scandale, d’autres événements ont secoué le monde des Miss. Car chaque édition du concours est le reflet de son époque, aussi bien des mœurs de la société que des situations géopolitiques.
En 1934, Miss Sarrebruck, Elisabeth Pitz, est ravie de porter la couronne. Un bonheur éphémère avant qu’on ne la lui retire deux heures plus tard. Car le public est hors de lui : la Miss est née en territoire allemand ! Même s’il est redevenu français au moment de l’élection. Face au tollé provoqué par son élection, la jeune femme se désiste au profit de sa dauphine.
Ces crispations géopolitiques se retrouvent lors de l’élection de Gisèle Charbit en 1956. Car la Miss Maroc est élue Miss France… alors que l’accord d’indépendance a été annoncé en novembre 1955.
En dépit des innombrables scandales qui ont entaché le prestige du concours et de la vente de la société Miss France à Endemol, un producteur d’émissions de télévisions (de télé-réalité, entre autres) en 2002, les audiences ne tarissent pas.
Aussi décrié que suivi, le concours est visionné chaque année par une moyenne de 8 millions de téléspectateurs et génère de confortables revenus publicitaires.
Comment expliquer le succès de cette tradition dans laquelle beaucoup voient une objectivation à outrance du corps de la femme ?
En 2016, une association féministe fustige un événement « ringard en cela qu’il considère encore les femmes comme des potiches, qui ne doivent surtout pas déborder du cadre défini. Toutes les jeunes femmes qui s’apprêtent à concourir devant les caméras valent beaucoup mieux que l’écharpe et le diadème. Les femmes n’ont pas à se plier à un concours de beauté pour définir leur valeur. Elles seules la définissent ».
À ces allégations, d’autres répondent que le concours s’est modernisé grâce au travail de la directrice générale de la société Miss France, Sylvie Tellier. Ainsi, le test de culture générale a pris une réelle importance et les Miss doivent se tenir au courant de l’actualité et savoir argumenter. « Miss France » cherche à s’émanciper de plus en plus de la maxime « Sois belle et tais-toi ».
Les audiences du concours s’expliquent par son caractère fédérateur. Tels des supporters dans un stade qui encouragent leurs équipes, les téléspectateurs soutiennent leur Miss régionale et ainsi revendiquent leurs origines.
Il ne faut pas oublier que les émissions de télévision peuvent se regarder avec beaucoup de recul. Et regarder un programme ne signifie pas forcément y adhérer. C’est le principe du « divertissement ». Aussi pouvons-nous regarder Miss France sans que cela fasse de nous quelqu’un de sexiste, rétrograde et conservateur.
Pour pouvoir se présenter, il faut d'abord être une fille. Il faut avoir entre 18 et 24 ans, mesurer au moins 1m70, être célibataire, sans enfant, ne pas vivre en concubinage, ne pas avoir de tatouages voyants ou de piercings.
Il ne faut pas avoir pas subi d'opérations de chirurgie esthétique. Il ne faut pas non plus avoir participé à des séances photos totalement ou partiellement dénudée. Il faut pour finir avoir un casier judiciaire vierge.
Des critères qui ne semblent pas tous en adéquation avec les mœurs du XXIème siècle… mais qui permettent, si l’on remporte la compétition, de se mettre à l’abri des soucis financiers pendant au moins un an. La lauréate gagne en effet 100 000 euros de cadeaux pour son sacre, puis un salaire mensuel moyen de 5000 euros pendant l'année de son règne.
Ah, et un petit plus pour avoir ses chances : s’appeler Monique ! Monique est en effet le prénom le plus récompensé, avec 5 lauréates dans l’histoire de la compétition.
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boncimino (14-06-2020 14:02:57)
bon article