La Ve République débutait en 1959 sur un scandale sexuel qui mettait en cause l'un des plus hauts personnages de la République précédente, rien moins que le président de l'Assemblée nationale André Le Troquer. Il était démontré qu'il avait profité d'un réseau de prostitution de mineures de 12 à 15 ans ! Il s'en tirera avec une peine de prison avec sursis vite amnistiée...
60 ans plus tard, l'arrestation du millionnaire américain Jeffrey Epstein pour des faits similaires montre la permanence de certains comportements pédophiles dans les classes privilégiées.
Considérée il y a soixante ans comme un délit simplement passible de la correctionnelle, la pédophilie était encore prônée comme une forme de désinhibition souhaitable dans les cercles intellectuels des années 1970, jusque sur le plateau de l'émission Apostrophes par l'écrivain Gabriel Matzneff (Les moins de seize ans, 1974) ou le leader de gauche Daniel Cohn-Bendit (note).
Il a fallu attendre les années 1990 pour que la loi et les cercles progressistes se rallient à une plus sévère prohibition. Aujourd'hui, la pédophilie est rangée parmi les crimes les plus odieux. Qui s'en plaindra ?
Socialiste, héros de guerre, républicain farouche : intouchable !
Né en 1884, André Le Troquer a laissé un bras dans la Grande Guerre puis est devenu député socialiste de Paris...
En 1940, il fait partie de la poignée de parlementaires qui s'embarque sur le Massalia à destination du Maroc, en vue de poursuivre la lutte contre l'occupant allemand.
De retour en métropole, André Le Troquer est l'avocat de Léon Blum au procès de Riom et réussit le tour de force de ridiculiser le gouvernement pétainiste. Ses états de service lui valent de descendre les Champs-Élysées aux côtés du général de Gaulle.
Socialiste et républicain scrupuleux, il est plusieurs fois ministre sous la IVe République. Lors du Congrès qui élit en 1953 le successeur du président Vincent Auriol, il contribue à l'élection de René Coty en éliminant plusieurs bulletins au nom de son rival Joseph Laniel, sous prétexte qu'y manque le prénom !
André Le Troquer est président de l'Assemblée nationale à l'avènement de la Ve République. Avec amertume, il assiste à l'installation au pouvoir du général de Gaulle, auquel il n'a eu de cesse de s'opposer sous la précédente République.
Quand la prostitution de mineures faisait les choux gras de la presse...
En 1958, une adolescente issue d'une maison de correction est arrêtée pour chantage. Elle est accusée ainsi que quelques autres adolescentes, de vendre ses charmes à de vieux messieurs.
L'enquête montre qu'elles ont été recrutées par Pierre Sorlut, un jeune homme au demeurant très séduisant qui se présente comme un ancien policier de la DST (Direction de la surveillance du territoire). Charmeur, il convainc les mères de lui confier leurs filles pour les emmener à l'Opéra, leur faire rencontrer des messieurs et ainsi promouvoir leur avenir !
Le 10 janvier 1959, au lendemain de l'entrée du général de Gaulle à l'Élysée, un entrefilet du Monde évoque la mise sous mandat de dépôt de ce soi-disant policier accusé de détournement de mineures.
L'hebdomadaire à scandales Aux écoutes du monde précise qu'il organisait des parties fines dans différents endroits dont un pavillon de chasse à la disposition du président de l'Assemblée nationale, le pavillon du Butard, dans la forêt de Fausses-Reposes (ce bijou de l'architecte Gabriel est aujourd'hui en attente de nouvelles affectations).
Le démenti d'André Le Troquer excite la curiosité de la presse. Elle met à jour un réseau de prostitution qui implique une fausse comtesse roumaine, Elisabeth Pinajeff, maîtresse d'André Le Troquer, et des adolescentes auxquelles on promet une carrière à l'opéra ou au cinéma en échange de leur docilité envers de vieux notables fortunés.
Un journaliste de France-Soir évoque à cette occasion les « ballets roses » de la République. La presse dans son ensemble prend l'affaire à la légère et se rit de ces vieux messieurs qui cherchent le réconfort auprès de quelques fillettes confiées à leurs bons soins par des mères bienveillantes.
Pas moins de 23 personnalités se trouvent compromises parmi lesquelles André Le Troquer, qui se pavane sans comprendre l'indignité de son attitude et se prétend victime d'un complot gaulliste. Il est vrai que l'affaire, en disqualifiant le personnel de la IVe République, n'est pas pour déplaire au Général !
Le président de l'Assemblée nationale demande en définitive à être lui-même inculpé. Il est déféré devant devant le tribunal correctionnel (sic) sous les chefs d'inculpation d'attentat à la pudeur sur mineures de 15 ans, actes impudiques sur mineures...
Bénéficiant de l'indulgence du tribunal et de l'opinion, André Le Troquer s'en tire avec une amende de 3 000 francs et un an de prison avec sursis. Pierre Sorlut s'en tire quant à lui avec cinq ans ferme, ramenés à quatre.
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anne (25-08-2019 12:30:27)
On reste sans voix et se demande pourquoi! Tant de scandales sur tant de sujets qui restent sans sanction véritable, dans tous les domaines prouvent que rien ne change réellement ou si peu. Je m... Lire la suite