Louis de Funès (1914 - 1983)

L'humour à la française

« Comment ça merde alors ? But alors you are french ? » s’étonne Louis de Funès face à un Bourvil tout aussi surpris dans La Grande Vadrouille (Gérard Oury, 1966), transformant ce passage du film en une scène culte de l’histoire du cinéma.

Acteur le mieux payé du cinéma européen à la suite du film, Louis de Funès peut être considéré comme le plus grand acteur comique de l’histoire du cinéma français. Retour sur la vie d’un homme effréné, qui, en quatre décennies, a joué dans plus de 140 films.

Charlotte Chaulin

Louis de Funès et Bourvil dans La Grande Vadrouille de Gérard Oury (1966)

Un jeune acteur déterminé

Né le 31 juillet 1914 à Courbevoie, Louis Germain de Funès de Galarza est issu d’une famille ruinée de la noblesse castillane du côté de son père. Ses parents lui transmettent la fibre artistique, notamment sa mère qui lui apprend le piano dès son plus jeune âge.

L'acteur français Louis de Funès (1914-1983)C’est en 1933, à l’âge de 19 ans, qu’il est confronté pour la première fois au milieu du cinéma. Après trois années passées au collège Jules Ferry de Coulommiers, il se retrouve dans la foule des figurants du film de Maurice Tourneur, Deux Orphelines.

En 1942, alors que la France est occupée par les Allemands, il décide de prendre des cours de théâtre et s'inscrit aux Cours Simon à Paris. Il passe le concours d'entrée avec brio grâce à son interprétation d'une scène des Fourberies de Scapin de Molière. Le soir, il travaille comme pianiste dans un bar.

Sous l'Occupation, certains artistes cessent leur activité pour entrer en Résistance, comme Jean Gabin qui abandonne le tournage du film Remorques de Jean Grémillon (1941) pour s'engager dans la marine et les Forces françaises libres, D'autres ont quant à eux une position ambigüe : Maurice Chevalier se déclare pétainiste, Edith Piaf se produit Outre-Rhin et Arletty fréquente Soehring, un officier nazi, homme de confiance de Göring à Paris.

D'autres encore, à l'instar de Louis de Funès, continuent de travailler. « Il faut bien vivre ». C'est l'argument qu'ils utilisent, comme le rappelle l'historien Pascal Ory. 

En 1936, il épouse Germaine Élodie Carroyer qui lui donne un fils, Daniel. Mais le mariage prend vite l'eau. Le 20 avril 1943, il se marie avec Jeanne Barthélémy, qui cumulera les statuts d’épouse et d’agent et lui donnera deux fils, Patrick et Olivier. Louis enchaîne les petits rôles à un rythme effréné.

Hyperactif et doué de nombreuses grimaces et mimiques, il parvient même à incarner six personnages à la fois dans Du Guesclin de Bernard de Latour en 1948, devenant un astrologue ou seigneur en passant par mendiant ou chef de bande.

Les débuts de la gloire

L’année 1953 marque un tournant dans sa carrière qui décolle grâce au succès de Ah ! les belles bacchantes, une adaptation du célèbre spectacle des Branquignols, troupe comique d’après-guerre. C’est le début de la gloire. Trois ans plus tard, en 1956, il est à l’affiche de La Traversée de Paris de Claude Autant-Lara avec la star de Quai des brumes (1938) de Marcel Carné, le ténébreux Jean Gabin, et un quasi-inconnu appelé à devenir lui aussi une star du comique français, André Bourvil (1917-1970). 

La Traversée de Paris, le quotidien des Français sous l'Occupation

Réalisé par Claude Autant-Lara en 1956, le scénario de La Traversée de Paris s'inspire de la nouvelle du même titre de Marcel Aymé (1947). Le film se déroule pendant l'Occupation, en 1942, à Paris. La vie des Français, dont les biens sont réquisitionnés, des véhicules aux vivres, y est difficile. 

Marcel Martin (Bourvil), un chauffeur de taxi au chômage, pas très futé, reçoit d'un épicier, Jambier (Louis de Funès), mission de transporter un cochon à l'autre bout de la ville. Son acolyte ayant été arrêté, il forme un nouveau binôme avec un inconnu du nom de Grandgil (Jean Gabin) qui se révélera être un artiste de renom... Leur périple sera rempli de péripéties dans un Paris de l'Occupation très bien reconstitué (le film a été tourné en studio pour cause de budget serré).

Comme dans un documentaire, le spectateur découvre des images d'archives ainsi qu'une multitude d'éléments facilitant la plongée dans l'époque : des affichettes pour les « bons du Trésor », des affiches de films (Mademoiselle Béatrice, 1943 ; Le Journal tombe à 5 heures, 1942), de propagande (« La France continue », « Je tiens les promesses même celles des autres »), journaux (Aujourd’hui, Je suis partout...). 

Succès au box-office dès sa sortie, référence des cinéphiles d'aujourd'hui, le film montre des personnages prisonniers de leur condition sociale dans la guerre comme dans la paix. Nombre de ses répliques sont devenues cultes, comme « Salauds de pauvres ! », proférée par Jean Gabin à un couple de cafetiers, que Coluche reprendra dans les années 1980.

Le duo de Funès-Gabin se rencontre à nouveau dans Le Gentleman d’Epsom de Gilles Grangier (1962) et Le Tatoué de Denys de La Patellière (1967).

Louis de Funès brille également sur les planches et cartonne en 1958 dans le rôle principal de la pièce de Claude Magnier, Oscar, qui raconte l’histoire d’un industriel qui découvre un pot aux roses invraisemblable le temps d’une journée (sa fille est enceinte, il a été volé par l’un de ses employés etc.).

Adapté en 1967 par Édouard Molinaro, le film ne va décevoir ni les fans de la pièce, ni la production.

Louis de Funès et Claude Rich dans Oscar de Édouard Molinaro (1967)

Entre temps, Louis de Funès joue dans trois futurs blockbusters qui entreront dans le palmarès des meilleurs films comiques français de tous les temps : Le Gendarme de Saint-Tropez, Fantômas et Le Corniaud. Son amitié avec Bourvil grandit et se renforce au gré des rencontres sur les plateaux. Très vite, le duo devient mythique.

La connivence entre ces deux acteurs et l’excellent duo qu’ils forment à l’écran est à l’origine du succès de La Grande Vadrouille de Gérard Oury (1966). 

Max-Gérard Houry Tannenbaum, dit Gérard Oury (Paris, 29 avril 1919 ; Saint-Tropez, 19 juillet 2006 ) en compagnie de Louis de Funès et Bourvil

Louis de Funès dans le Gendarme de Saint-Tropez de Jean Girault (1964)Le film raconte les déboires de deux Français que tout oppose (du caractère à la classe sociale) se retrouvant obligés d’escorter un groupe d’aviateurs britanniques en zone libre, les Allemands étant à leurs trousses.

Hilarant et très bien interprété, il cumule plus de 17 millions d’entrées. Le film devient donc, et demeure pendant trente ans, le meilleur score du box-office toutes nationalités confondues (avant d’être dépassé par Titanic en 1998) et pendant quarante ans le plus grand succès d’un film français sur le territoire français. Il ne sera dépassé qu'en 2008 par Bienvenue chez les Ch’tis de Dany Boon...

Ce succès, qui s’inscrit pour Louis de Funès dans une carrière déjà bien engagée, le propulse au rang d’acteur le mieux payé du cinéma européen. Sa carrière se poursuit sur les chapeaux de roue. Les Français se ruent dans les salles de cinéma pour voir les nouvelles aventures du Gendarme (« à New York », « se marie », « en balade », etc. ).

Affiche du film Hibernatus de Édouard Molina (1969) avec Louis de Funès Les Grandes vacances de Jean Girault (1967) et Hibernatus d’Édouard Molina (1969) consacrent encore le génie de l’acteur.

Dans Hibernatus, un homme de 25 ans, Paul Fournier, congelé il y a 65 ans dans les glaces du Pôle Nord est retrouvé vivant en 1970. Pour ne pas troubler ce « mort-vivant », pour qui le choc de la découverte pourrait être mortel, tout le village du Vésinet se met à la mode de la Belle Époque... Hubert de Tartas (Louis de Funès) joue le jeu à fond lui aussi, car cet « hiberné » est le grand-père de sa femme, et, donc, propriétaire de tout ce dont le couple a hérité. 

Mais l’on ne peut pas être aimé par tous. Si le public l’adore, la critique n’aime guère ce que représente l’acteur, son air de bourgeois traditionnaliste et son autoritarisme gaullien.

L'homme derrière le masque

Hilarant à l’écran, le vrai visage de Louis de Funès est loin de ceux des personnages qu’il interprète. Adieu les mimiques à mourir de rire, bonjour les grimaces sérieuses et mécontentes.

Sa personnalité écrasante dérange ses camarades de tournage. Surtout que l’acteur ne se gêne pas pour intervenir quand bon lui semble, donnant son avis sur un passage du scénario ou le déroulement d’une scène.

Cela n’a pas plus à Claude Rich dans Oscar ou à Jean Lefebvre et Christian Marin, qui se sont retirés du casting des Gendarmes à partir de la fin des années 1970.

La Folie des grandeurs de Gérard Oury (1971) avec Louis de Funès et Yves Montand

En 1971 et 1973, Louis de Funès retrouve Gérard Oury dans La Folie des Grandeurs et Les Aventures de Rabbi Jacob. Dans ce dernier film, Louis de Funès, fervent catholique qui vote à droite et regrette les messes en latin, joue le rôle d'un industriel vaguement antisémite qui se voit obligé d'assumer le rôle d'un rabbin.

Le film est tourné dans un contexte marqué par la montée de l'antisionisme. Le 5 septembre 1972, un commando de l'organisation palestinienne « Septembre noir » a pris en otage et tué neuf athlètes israéliens dans le village olympiques de Munich. Le conflit israélo-palestinien passe au premier plan de la scène internationale suite à cet attentat sans précédent et le réalisateur éprouve de ce fait de grandes difficultés à trouver un producteur. Là-dessus, pour ne rien arranger, la sortie du film est programmée le 18 octobre 1973, soit en pleine guerre du Kippour !

Une jeune femme, Danielle Cravenne, épouse du publicitaire en charge de la promotion du film, s'émeut de cette coïncidence et, le 18 octobre 1973, armée d'un fusil long rifle, déroute le vol Paris-Nice en réclamant l'annulation de la sortie du film qu'elle juge pro-sioniste ! La farce aurait pu nourrir un scénario à la de Funès mais elle vire hélas au drame : à Marseille, où l'avion s'est posé, un gendarme, se sentant menacé, tire sur la jeune femme et la blesse mortellement...

En définitive, Les Aventures de Rabbi Jacob vont devenir un immense succès populaire en France avec 7 millions d'entrées mais aussi à l'étranger. Ce sera d'ailleurs le seul succès de Louis de Funès aux États-Unis, où il sera nommé pour le Golden Globe du meilleur film en langue étrangère en 1975. En France même, les critiques, d'ordinaire hostiles à l'acteur, apprécient le message de tolérance qu’il fait passer à merveille avec sa danse juive hassidique.

Sur sa lancée, Gérard Oury veut encore mettre en scène son acteur fétiche dans Le Crocodile, dont le tournage est prévu en mai 1975. Mais deux mois avant de retrouver l’équipe du film, Louis de Funès est victime d’un double infarctus. L'annulation du projet entraîne la faillite des Films Pomereu qui avait déjà coproduit Les Aventures de Rabbi Jacob...

Affiche du film L'Aile ou la Cuisse de Christian Fechner avec Louis de Funès et Coluche (1976)Mis au repos, Louis de Funès joue néanmoins l’année suivante dans l’Aile ou la Cuisse de Claude Zidi, le réalisateur ayant réussi à convaincre les compagnies d’assurance de le couvrir pendant le tournage. Une fois de plus, le film ne tombe pas comme un cheveu sur la soupe... mais reflète la société qu'il décrit.

Dix ans plus tôt la « malbouffe » a en effet débarqué en France avec le premier restaurant de hamburgers ouvert en plein coeur de Paris par Jacques Borel en 1961. Ce diplômé d'HEC ne s'en est pas tenu là et a projeté un nouveau concept : les restoroutes. C'est sur l'autoroute A6, vers Auxerre, qu'il a inauguré le premier d'une longue série.

Dans le film de Claude Zidi, Jacques Tricatel, PDG d'une grande chaîne de restauration de nourriture industrielle fortement présente sur le réseau autoroutier en France, est une caricature assumée de Borel. 

Le public est au rendez-vous et le film cumule 5,8 millions d’entrées. De Funès joue dans trois autres films de Fechner, La Zizanie (1978), L’Avare (1979) et La Soupe aux choux (1981). Même s'ils sont des succès, ces films ne peuvent endiguer le déclin de l'acteur, dont la santé se fait de plus en plus mauvaise. Très vite (c'est la loi du marché !), il est remplacé. Le nouveau chouchou des Français s'appelle Jean-Paul Belmondo. Et les deux derniers Gendarmes (« et les extraterrestres », « et les gendarmettes ») n'empêchent pas l’inéluctable.

Le 2 février 1980, la star américaine Jerry Lewis remet à Louis de Funès un César d’honneur. C’est le point d’orgue de sa carrière. Victime d’un nouvel infarctus, l'acteur meurt le 27 janvier 1983, à l’âge de 68 ans, à Nantes.

Quelques répliques cultes

« Ma biche, ma biche où êtes-vous ? Ma biiiiche » Le gendarme de Saint-Tropez, Jean Girault (1964)

« Qu’est-ce que je vais devenir, je suis ministre je ne sais rien faire » La Folie des Grandeurs, Gérard Oury (1971)

« Vous êtes juif ? Comment, Salomon, vous êtes juif ? Salomon est juif ! Oh ! » Rabbi Jacob, Gérard Oury (1973)

« C’est normal ! Les pauvres c’est fait pour être très pauvres et les riches très riches ! » La Folie des Grandeurs, Gérard Oury (1971)

« Ne vous excusez pas, ce sont les pauvres qui s’excusent ! Quand on est riche, on est désagréable ! » La Folie des Grandeurs, Gérard Oury (1971)

« On m’a dépendu mon pendu ! Il ne s’est pas dépendu tout seul !? » Fantomas contre Scotland Yard, André Hunebelle (1964)

« Foutez-moi l’camp ou j’te tape ! » Jo, Jean Girault (1971)


Publié ou mis à jour le : 2021-03-04 13:30:04

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