Jean-Baptiste Colbert (1619 - 1683)

Un grand commis de l'État

Issu de la bourgeoisie rémoise, Jean-Baptiste Colbert a mis ses talents et son ambition (immenses) au service de Louis XIV, le Roi-Soleil.

À la tête de tous les grands ministères en charge de l'administration et de l'économie du royaume pendant une vingtaine d'années, il a si bien rempli sa tâche que son nom a fini par désigner un mode de gouvernement spécifique à la France, le « colbertisme ».

Fabienne Manière
Un bourgeois à la Cour

Jean-Baptiste Colbert naît à Reims le 29 août 1619. La légende en a longtemps fait le fils d'un simple marchand drapier, Nicolas, tenant boutique au « Long-Vêtu ». En fait, le ministre est issu d'une grande famille de marchands internationaux appartenant à la riche bourgeoisie rémoise et à l'élite financière et commerciale du royaume.

Sans doute élevé chez les Jésuites, Jean-Baptiste arrête ses études à 16 ans à la suite des ennuis financiers de son père. Il travaille d'abord chez Mascrany, banquier lyonnais importateur de soie et d'articles de luxe puis dans une étude notariale à Paris avant de faire ses premiers pas dans le monde de la finance auprès d'un trésorier général des Parties casuelles, François Sabathier.

Jean-Baptiste Colbert acquiert ainsi une formation de marchand et d'officier de finances en même temps qu'une expérience pratique.

En 1640, à vingt ans, il devient commissaire des guerres auprès de son cousin J-B Colbert de Saint-Pouange, premier commis du secrétaire d'État à la guerre, Sublet des Noyers. Chargé de la conduite des troupes en pleine guerre d'Espagne, il voyage beaucoup.

Ainsi commence une longue carrière au service de l'État.

- au service de Le Tellier :

Michel Le Tellier (1603-1685)À la mort de Richelieu, le 4 décembre 1642, Mazarin succède à celui-ci comme « Principal ministre ». Dans le même temps, Michel Le Tellier, apparenté aux Colbert, remplace Sublet des Noyers au secrétaire d'État à la guerre. Il conserve son beau-frère de Saint Pouange comme premier commis.

Michel Le Tellier prend Colbert à son service en 1645 et lui fait obtenir un brevet de Conseiller d'État en mai 1649.

Âgé de 30 ans, totalement dévoué au secrétaire d'État à la guerre, le jeune homme est déjà loué pour sa fidélité, sa capacité de travail, son expérience des affaires. Il ne néglige pas pour autant ses affaires privées et se marie à la fin 1648 avec Marie Charron, une jeune fille issue du monde des finances : elle lui apporte 100 000 livres de dot.

- au service de Mazarin :

En mai 1648 a éclaté une crise politique majeure : la Fronde. Elle va offrir à Jean-Baptiste Colbert l'opportunité de se rapprocher du sommet.

En janvier 1649, face à l'aggravation de la situation, Louis XIV (âgé d'une dizaine d'années), sa mère la Régente Anne d'Autriche et la Cour fuient Paris pour Saint-Germain-en-Laye.

Colbert assure le lien entre les exilés et la capitale, ce qui lui vaut d'entrer en 1651 au service de Mazarin lui-même. Cette collaboration va se renforcer pendant l'exil du cardinal en Allemagne, en 1652 : officiellement Intendant du ministre, il gère aussi l'état - désastreux - de ses finances.

Après des débuts passablement houleux, Mazarin accorde une confiance sans limite à Colbert en échange d'une loyauté sans faille. Leur collaboration durera 10 ans, jusqu'à la mort du Principal ministre le 9 mars 1661. Sentant sa fin venir, il recommandera Jean-Baptiste Colbert à Louis XIV comme « étant fort fidèle ».

Haines dispendieuses

À la mort de Mazarin,  Nicolas Fouquet, surintendant des finances depuis 1653, croit pouvoir succéder au Principal ministre.

Mais Louis XIV affirme sa volonté de gouverner personnellement (symbolisée par la fameuse formule qu'il aurait utilisée devant le Conseil du Roi : « l'État, c'est moi »).

Confronté à une situation financière catastrophique et au caractère très « dépensier » de Mazarin, Fouquet a su se rendre indispensable : bien introduit auprès des Traitants (les banquiers qui prêtent au roi), il inspire confiance aux financiers. En même temps qu'il sait comment trouver de l'argent, Nicolas Fouquet est un homme flamboyant, séducteur et qui aime le luxe, comme le montre sa fastueuse demeure de Vaux-le-Vicomte.

Colbert n'est pas moins avide que Fouquet et Mazarin. Dans l'ombre de Mazarin, il a usé de son pouvoir pour prélever des commissions à son profit. Sa fortune égale ou même dépasse celle du surintendant mais à la différence de celui-ci, il ne l'étale pas.

Jaloux de Fouquet en qui il voit un obstacle à ses ambitions et dont le caractère est aux antipodes du sien, il s'est efforcé pendant des années de le discréditer auprès de Mazarin auquel il a adressé un mémoire sur les prétendues malversations de Fouquet, puis en lui faisant perdre son crédit auprès de la reine mère.

Mais c'est surtout vis-à-vis de Louis XIV que Colbert va révéler ses talents de manipulateur. Il nourrit l'hostilité du roi à l'égard de son rival en exploitant les maladresses de celui-ci, dont la trop somptueuse fête de Vaux-le-Vicomte, insulte à la grandeur royale. Il convainc aussi Louis XIV que les fortifications et les aménagements réalisés par Fouquet dans sa seigneurie de Belle-Île mettent en cause son autorité.

Fouquet est arrêté à Nantes le 5 septembre 1661. Le surintendant éliminé, c'est le début de la gloire et du véritable pouvoir pour Colbert qui n'a désormais de compte à rendre qu'au roi.

Le triomphe

Jean-Baptiste Colbert va accumuler dès lors les charges et les responsabilités : il entre au « Conseil d'en-haut », véritable gouvernement du royaume sous l'autorité du roi. Il est successivement nommé surintendant des bâtiments et manufactures en 1664, contrôleur général des finances en 1665, secrétaire d'État à la marine et à la Maison du roi en 1669.

Son autorité s'étend alors sur toute l'administration royale, à l'exception des Affaires étrangères et de la Guerre. Sa devise illustre avec orgueil ses objectifs : « Pro rege saepe, pro patria sempre » (« Pour le roi souvent, pour la patrie toujours »). Il se choisit pour emblème la couleuvre dont le nom latin, coluber, rappelle le sien ; peut-être aussi parce que cet animal à sang froid évoque son tempérament glacial.

Jean-Baptiste Colbert (29 août 1619, Reims ; 6 septembre 1683, Paris), portrait par Lefevre (musée de Versailles)

Une oeuvre considérable

L'action de Colbert va s'exercer dans trois domaines principaux : la remise en ordre des finances, le développement de l'industrie, l'essor du commerce.

- la remise en ordre des finances : toujours recommencée

La remise en ordre des finances est une préoccupation incessante mais en partie vaine. Pour combler le déficit hérité de la gestion de Mazarin et des guerres précédentes, Colbert réussit à imposer aux Traitants le remboursement de100 millions de livres. Il améliore aussi le rendement de l'impôt et astreint le roi à tenir sa comptabilité avec « un état au vrai des recettes et des dépenses ».

Pendant quelques années, le budget est à l'équilibre mais il ne résiste pas, après 1672, à la reprise des guerres et aux fastes de Versailles. Colbert doit alors se résigner à augmenter les impôts, à vendre des offices (charges de fonctionnaires acquis souvent par la bourgeoisie), à emprunter. En 1681, il crée la Ferme générale en vue de rationnaliser la collecte des impôts autres que la taille, un impôt particulièrement injuste qu'il échoue à supprimer.

Dans le même temps, il renforce le pouvoir des intendants, représentants de l'État dans les généralités ou provinces. Ces efforts tardent à porter leurs fruits. À sa mort, deux ans plus tard, la dette publique s'élève à 158 millions de livres.

- Enjeux industriels : multiplication des manufactures

Colbert se préoccupe peu de l'agriculture mais privilégie la politique industrielle. Pour cela, il établit des tarifs douaniers élevés, impose une stricte réglementation de la production industrielle et une surveillance rigoureuse des corporations.

D’après Pierre Mignard, Jean-Baptiste Colbert, vers 1685, Paris, Institut de France.Surtout, il multiplie la création des manufactures royales, grandes entreprises auxquelles le roi avance des capitaux et donne des privilèges (les Gobelins, Saint-Gobain). Il attire aussi les ouvriers étrangers pour développer des industries nouvelles : de Murano (Venise) pour le verre, de Hollande pour les draps (ainsi, la manufacture Van Robais obtient un monopole de production et le droit pour les ouvriers protestants de pratiquer leur religion).

L'essor du commerce touche à la fois la circulation intérieure, le commerce extérieur et le développement des colonies.

À l'intérieur, outre les routes et l'aménagement des voies navigables, la principale réalisation est la construction du canal des Deux-Mers par l'ingénieur Riquet entre 1667 et 1681 : ce canal établit une liaison entre Atlantique et Méditerranée, de Bordeaux à Toulouse par un canal latéral à la Garonne puis de Toulouse à Sète en franchissant le seuil de Neurouze qui sépare le bassin aquitain du littoral languedocien.

Notons aussi l'ordonnance d'août 1669, ancêtre du Code forestier, destinée à restaurer les chênaies, mises à mal par les défrichements et l'exploitation intensive du bois. Si Colbert se donne cet objectif, c'est moins par attachement à la Nature que pour garantir l'approvisionnement des chantiers navals dans les siècles à venir. Évidemment, le ministre ne se doute pas de l'arrivée des cuirassés et des paquebots à la fin du XIXe siècle, qui rendront caduc son objectif. Il nous en reste de magnifiques forêts qui font aujourd'hui le bonheur de ses descendants...   

Mercantilisme et colbertisme

C'est pour son œuvre économique que Colbert reste le plus connu. Il met en œuvre une doctrine qu'il n'a pas inventée, le mercantilisme, né au XVIe siècle, qui repose sur un principe essentiel : la richesse d'un État dépend avant tout de l'accumulation des métaux précieux.

Colbert pousse jusqu'à l'extrême cette doctrine, répandue partout en Europe à cette époque, en même temps qu'il l'accompagne d'un fort dirigisme : cette mise en œuvre conduit à qualifier la politique de Colbert du nom de « colbertisme ». Cette politique se traduit par un véritable protectionnisme : restreindre les importations, développer les exportations et par un contrôle toujours renforcé de l'État sur l'organisation de l'économie.

- Commerce : priorité à l'outre-mer

Colbert, nommé secrétaire d'État à la Marine, ajoute à ce ministère majeur la responsabilité des colonies. Il encourage la création de Compagnies de commerce, sur le modèle hollandais. Cinq grandes compagnies sont créées : en 1664, les Indes orientales et occidentales, de 1669 à 1675, les compagnies du Nord, du Levant et du Sénégal.

Jean-Baptiste Antoine Colbert, marquis de Seignelay (1er novembre 1651 ; 3 novembre 1690)Les résultats sont inégaux mais permettent malgré tout un essor commercial qui se traduit aussi pas un développement des colonies : des comptoirs comme Pondichéry et Chandernagor sur les côtes de l'Inde, l'escale de Gorée au Sénégal, la création d'une nouvelle colonie à l'embouchure du Mississipi, la Louisiane.

Dans le même temps, le ministre favorise le peuplement du Canada. Il prépare aussi un arsenal juridique destiné à mettre de l'ordre dans les relations entre maîtres et esclaves dans les colonies sucrières des Antilles et de l'Océan indien. La première version de ce texte plus tard surnommé « Code noir » est publiée par son fils Seignelay en 1685.

Parallèlement, il développe les marines de guerre, en déshérence depuis 1661, nécessaires pour protéger la flotte commerciale et lutter contre la piraterie. 

L'ordonnance royale pour les Armées navales et Arsenaux de Marine du 15 avril 1669 réorganise la Marine, autrement dit la flotte de guerre, en distinguant les officiers « de plume », chargés de construire et approvisionner la flotte, et les officiers d'« épée », chargés de la conduire.

Colbert agrandit et modernise certains ports (Toulon, Brest) et en crée d'autres (Rochefort, Lorient, au sud de la Bretagne). Il les dote d'ateliers de marine pour ne plus avoir à faire venir de l'étranger tous les composants des navires. C'est un succès indéniable avec le surgissement du néant d'une puissante industrie navale : la marine ne comptait qu'une vingtaine de navires en 1661, plus de 270 en 1677. Colbert se fait assister dans cette tâche par son fils aîné, le marquis Colbert de Seignelay, dévoué et efficace.

- Administration : l'État intervient partout

Colbert s'attache à simplifier et à unifier la législation du royaume (notamment avec l'Ordonnance des Eaux et Forêts et l'Ordonnance criminelle).

Son ambition principale - la grandeur du roi et la puissance de l'État - le conduit aussi à se préoccuper de l'action culturelle. Il protège les arts et lettres, fonde les académies de peinture et de sculpture, des belles lettres, l'Académie royale de musique, l'Académie d'architecture, la « petite académie » chargée de créer des médailles à la gloire des actions passées et à venir du Roi.

Il favorise la recherche avec l'Académie royale des sciences de Paris et l'Observatoire de Paris.

Il préside aussi aux débuts des travaux de la construction de Versailles en même temps qu'il en critique rapidement le coût. Cependant, cette action culturelle n'est pas sans ombre, celle de la censure qui contrôle toute création artistique quelle qu'en soit le domaine.

Le fardeau de l'État

Totalement dévoué au monarque, Colbert acquiert la demeure seigneuriale de Sceaux qui le met proche de Versailles. Il reçoit par ailleurs le marquisat de Seignelay et avec lui, un titre de noblesse !

« Bourgeois gentilhomme » quelque peu imbu de lui-même et fat, il se comporte en chef de clan qui gère la carrière de sa famille.

Ses trois frères occupent des fonctions éminentes : évêque de Luçon puis d'Auxerre pour l'un, ministre des affaires étrangère pour le second, Charles Colbert de Croissy, lieutenant général des armées pour le troisième. Le marquis de Seignelay, son fils aîné, lui succède à la Marine mais il ne sera jamais reçu au Conseil d'en-haut.

Colbert n'a pas été aimé de ses contemporains. On lui reproche son austérité, son ambition, son avarice, son orgueil de parvenu : Saint-Simon, le chroniqueur sans concession du règne de Louis XIV, critique avec lui « le règne de la vile bourgeoisie » et Madame de Sévigné le surnomme « Le Nord » en raison de sa froideur.

Un contemporain le décrit ainsi : « Ses yeux creux, ses sourcils épais et noirs, lui faisaient la mine austère et lui rendaient le premier aspect sauvage et négatif ».

Cependant, l'homme n'est pas sans qualité : un esprit clair, beaucoup de méthode, un sens de l'État qui en fait le modèle, aujourd'hui encore cité, du « grand commis de l'État », une énorme capacité de travail qui le faisait commencer à travailler à cinq heures et demie du matin jusqu'à très tard le soir. D'une santé par ailleurs fragile, il prise peu les fêtes de la cour. Voltaire en fit l'éloge et le XIXe siècle le reconnut comme une illustration de la bourgeoisie conquérante, valorisant le travail, l'ordre et l'épargne.

Colbert meurt, épuisé à la tâche, en 1683, avant le temps des guerres et une fin de règne de plus en plus difficile.

Publié ou mis à jour le : 2022-08-26 18:21:41

Voir les 6 commentaires sur cet article

Jacques de Boisséson (04-09-2019 23:41:40)

À propos du Canal du Midi, il s'agit du seuil de Naurouze, non de Neurouze; quant au prolongement jusqu'à l'Atlantique, il attendra le XIX° siècle et le creusement du canal latéral à la Garonne ... Lire la suite

Guillaume (26-08-2019 17:53:19)

Petit complément à propos du colbertisme. Colbert prône l'intervention de l'Etat mais précise que si une entreprise est toujours déficitaire au bout de cinq ans, l'Etat doit cesser de l'aider. ... Lire la suite

Pascuito (25-09-2017 18:54:55)

Tout à fait de vos avis, un personnage qui avait de l'ambition pour son pays.

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