Automne 911

Le traité de Saint-Clair-sur-Epte

Depuis le milieu du VIIIe siècle, la vallée de la Seine est devenue une cible privilégiée des Vikings. Malgré l'installation de ponts fortifiés, les souverains carolingiens ne peuvent les empêcher de remonter le fleuve et ses affluents. Au fil des décennies, ils ont perdu tout contrôle sur la basse vallée de la Seine.

Gui, archevêque de Rouen, traite avec Rollon, chef des Normands, XIVe siècle, Bibliothèque municipale de Toulouse. Agrandissement : Baptême de Rollon par l'archevêque de Rouen, XIVe siècle, Bibliothèque municipale de Toulouse.À l'automne 911, le roi des Francs Charles III, dit le Simple (893-923), décide de rompre avec les stratégies perdantes de ses prédécesseurs. Ce lointain descendant de Charlemagne se résout à traiter avec Rollon, un chef viking un peu plus accommodant que les autres. 

Il le rencontre à Saint-Clair-sur-Epte, aujourd'hui paisible village du parc naturel du Vexin, à l'ouest de Paris, et lui cède la basse vallée de la Seine, à charge pour lui de la protéger contre... ses congénères. Rollon, en échange, consent à recevoir le baptême. Ainsi serait née la province plus tard appelée Normandie.

Stéphane William Gondoin
Le traité et ses mystères

Sur la date et la réalité même du traité de Saint-Clair-sur-Epte, les témoignages sont maigres et ne permettent que d'esquisser à grands traits un scénario aux détails assez flous.

Il n'existe en effet aucune annale ou chronique contemporaine précise pour les années 901-918. Les « Annales de Saint-Vaast » s'éteignent en 900 et les « Annales » du chanoine rémois Flodoard ne débutent qu'en 918. Or, c'est entre ces deux dates que tout se joue. Certains documents nous permettent cependant d'y voir un peu plus clair.

Charles III le Simple, d'après une miniature tardive du XVe siècle,Paris, BnFC'est le cas de deux chartes du roi Charles le Simple. L'une date du 17 décembre 905. Elle est la dernière trace connue du gouvernement carolingien sur l'actuel territoire de la région Haute-Normandie. La seconde date du 14 mars 918 et mentionne indirectement un accord entre Charles et les Vikings.

Le Carolingien a bien compris qu'il ne peut chasser les envahisseurs par les armes et il entend maintenant jouer la carte de la diplomatie.

Il envisage de concéder aux Vikings un territoire sur lequel il ne possède plus qu'une autorité théorique, en échange de leur conversion au christianisme et de leur engagement à protéger la vallée de la Seine. Il espère ainsi préserver Paris et le cœur de son royaume d'autres attaques païennes. Les Scandinaves ont pour leur part à gagner la légalisation de leur présence et la possibilité de s'implanter durablement et officiellement dans le royaume des Francs.

Charles saisit l'opportunité qu'il attendait, juste après une lourde défaite essuyée par une armée viking sous les murs de Chartres. Il est toujours préférable de négocier en vainqueur plutôt qu'en vaincu. La bataille de Chartres est rapportée par plusieurs textes tardifs. L'un d'entre-eux, la « Chronique » d'Hugues de Fleury, nous donne une précision importante : elle a lieu le samedi 13 des calendes d'août, (samedi 20 juillet). Il n'existe de samedi 20 juillet qu'en 911 et en 916. Nous verrons un peu plus loin que l'année 916 ne peut être retenue.

L'accord de Saint-Clair-sur-Epte

En 948, le chanoine Flodoard, dans son « Histoire de l'Église de Reims », évoque en termes sybilins l'accord passé dans la foulée de l'affrontement de Chartres :
« Après la bataille que le comte Robert livra contre eux à Chartres, ils consentirent à recevoir la foi du Christ, alors que leur étaient concédées certaines contrées en bordure de mer, avec la ville de Rouen, qu'ils avaient presque détruite, et d'autres terres en dépendant. »

Saint Aubin défendant Guérande, XIIe siècle, Vie de Saint Aubin d'Angers, Angers, vers 1100, Paris, BnF.Plus de précisions nous sont apportées par le chanoine Dudon de Saint-Quentin, dans son œuvre intitulée « Mœurs et actes des premiers ducs de Normandie ». Mais ce clerc picard, au style emphatique et pesant, écrit autour de l'An Mil, soit un siècle après les faits qu'il relate. Il est par ailleurs un fidèle des ducs de Normandie Richard Ier (942-996) et Richard II (996-1026), et se montre souvent partial dans son récit. Il est donc considéré avec circonspection par les historiens modernes.

Dudon nous raconte qu'après la défaite de Chartres, Charles entre en contact avec Rollon, le chef des Vikings : « Le roi fait venir l'archevêque Francon [ndla : de Rouen], et l'envoie en toute hâte vers le duc Rollon, lui promettant que, s'il veut se faire chrétien, il lui donnera tout le territoire maritime qui s'étend depuis la rivière Epte jusqu'aux confins de la Bretagne […] Le duc ayant, de l'avis des siens, accepté cette offre avec empressement, renonce à ses dévastations et accorde au roi une trêve de trois mois. »

Ces négociations ont sans doute lieu dans les deux à trois semaines qui suivent la bataille de Chartres. Les trois mois de trêve nous amènent donc autour d'octobre-novembre 911.

Voici ce que nous dit Dudon :
« Au temps fixé, ils arrivèrent au lieu désigné et que l'on appelle Saint-Clair [ndla : Sanctum Clerum, très certainement Saint-Clair-sur-Epte]. Le roi et Robert, duc des Francs, se tiennent au delà de la rivière Epte, Rollon et son armée en deçà [...] Le roi donna […] la terre qui avait été convenue, en bienfonds et en alleu, depuis le fleuve Epte jusqu'à la mer, et toute la Bretagne afin qu'il pût en vivre. »

Survient alors une scène légendaire, particulièrement douteuse :
« Rollon n'ayant pas voulu baiser le pied du roi, au moment où il reçut de celui-ci le duché de Normandie, les évêques lui dirent : Celui qui reçoit un tel don doit s'empresser de baiser le pied du roi. Mais Rollon leur répondit : Jamais je ne fléchirai mes genoux devant les genoux de quelqu'un, ni ne baiserai le pied de quelqu'un. Cependant, se rendant aux prières des Francs, il ordonna à l'un de ses guerriers de baiser le pied du roi. Le guerrier saisit le pied aussitôt, le porta à sa bouche en se tenant debout, le baisa en faisant tomber le roi à la renverse. Alors il s'éleva de grands éclats de rire et un grand tumulte dans le petit peuple. »

Les limites de la concession ont fait couler beaucoup d'encre. Les historiens s'accordent aujourd'hui pour les fixer approximativement dans les frontières de l'actuelle région Haute-Normandie, peut-être augmentées de la partie orientale du Calvados. Rollon est par ailleurs baptisé en 912, ce qui exclut de facto la date de 916 pour l'accord de Saint-Clair-sur-Epte. L'existence de cet accord est confirmée par la charte de 918 évoquée plus haut, dans laquelle Charles le Simple parle des terres «accordées aux Normands de la Seine, c'est-à-dire à Rollon et à ses compagnons, pour la sauvegarde du royaume. »

Les extensions de la Normandie

C'est en 924 que Rollon obtient un premier accroissement de ses terres. Il a cette fois affaire au roi Raoul et c'est Flodoard qui est notre témoin :
« Les Normands firent la paix avec les Francs, par l'entremise du comte Hugues [ndla : le Grand, ancêtre des Capétiens], Herbert [de Vermandois] et de l'archevêque Séulf [de Reims], en l'absence du roi Raoul. C'est cependant avec son consentement que l'on accrut leur terre et le traité de paix leur concéda le Maine et le pays de Bayeux. »

Là encore, la formulation ambigüe ne peut pleinement satisfaire les curieux. On s'accorde toutefois à reconnaître dans ces propos obscurs, la cession du Bessin et du département de l'Orne.

Le second accroissement de la Normandie est encore rapporté par Flodoard, en 933 :
« Guillaume [Longue-Épée, fils et successeur de Rollon], se recommande au roi [Raoul] et le roi lui donne la terre des Bretons située sur le rivage de la mer. »

Il s'agit cette fois très certainement du département de la Manche, sous tutelle bretonne depuis 867. Avec la concession de 933, la Normandie atteint presque ses frontières modernes. Guillaume le Conquérant l'arrondira du Passais (région de Domfront) dans l'hiver 1051-1052, et son fils Henri Beauclerc de la seigneurie de Bellême en 1113.


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Dieppe la valeureuse
Publié ou mis à jour le : 2023-06-13 15:09:39
Lecocq André (24-05-2016 20:51:01)

Juste pour vous signaler une erreur de frappe. Avant "Guillaume le Conquérant", lire ..."ses frontières modernes" au lieu de "se front..."
Cordialement,

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