9 novembre 1923

Le Putsch de la Brasserie

Le 9 novembre 1923, Adolf Hitler, un obscur agitateur autrichien, brave la police de Munich à la tête de 3000 militants et en compagnie du prestigieux général Ludendorff, héros de la Grande Guerre. Le putsch se termine piteusement par l'arrestation des meneurs et d'Hitler en particulier... Moins de dix ans plus tard, celui-ci sera devenu le maître tout-puissant de l'Allemagne.

André Larané
L'« année inhumaine » 

1923 (que les Allemands surnomment l'« année inhumaine ») a mal commencé.
Le 11 janvier, les troupes franco-belges occupent le bassin de la Ruhr, principale source de richesse du pays, pour obliger les Allemands à verser les réparations de guerre auxquelles le traité de Versailles les a condamnés. L'instabilité politique et la « résistance passive » à l'occupation étrangère entraînent des licenciements et des grèves dans tout le pays ainsi qu'une vertigineuse flambée des prix.
En octobre 1923, il faut compter plusieurs dizaines de milliards de marks (la monnaie de référence allemande) pour s'offrir... un dollar américain ou une baguette de pain ! Ce contexte encourage l'agitation révolutionnaire.
Pour tenter de surmonter la crise, le président de la République Ebert et le chancelier Streseman imposent l'état d'urgence le 26 septembre 1923, cependant que le financier Schacht donne un coup d'arrêt à l'inflation en créant une nouvelle monnaie, le Rentenmark.
La Bavière refuse la dictature momentanée des Prussiens de Berlin. Elle proclame le même jour son propre état d'urgence et se donne un triumvirat aux pouvoirs dictatoriaux avec le commissaire d'État Gustav von Kahr, le général Otto von Lossow, commandant la Reischwehr (l'armée), et le colonel Hans von Seisser, chef de la police.
La menace du séparatisme bavarois plane sur le pays. C'est le moment que choisit Hitler pour tenter de se saisir du pouvoir à Munich.

Duel dans la Brasserie

Le 8 novembre, dans une grande brasserie de la capitale bavaroise, le Bürgerbraükeller, 3 000 bourgeois écoutent les trois principaux dirigeants du Land.

La brasserie est brutalement investie par les militants du parti nazi (son nom complet est Parti national-socialiste des travailleurs allemands, en allemand : Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei, NSDAP). En 1923, ce parti extrémiste compte au total dans le pays 55 000 membres. Il se pose en concurrent du parti communiste d'Allemagne (Kommunistische Partei Deutschlands, KPD) et comme lui veut abattre la République issue de Weimar.

Son chef ou Führer, Hitler, monte sur l'estrade. Revolver au poing, il entraîne les dirigeants bavarois dans une arrière-salle et leur intime l'ordre de lui céder le pouvoir ! Mais les fieffés politiciens réussissent à s'esquiver après avoir fait mine de céder.

Déconfit, l'agitateur tente à l'aube de reprendre l'initiative en s'emparant du ministère de la Guerre du Land de Bavière. Au bout de l'étroite Residenzstrasse, une centaine de policiers barrent la route à sa troupe.

Dès les premiers coups de feu, les agitateurs se débandent piteusement, leur chef le premier. Seul, le général Ludendorff fait face à la mitraille. On relève seize morts, sans compter des dizaines de blessés.

Le « putsch de la Brasserie » débouche sur un fiasco complet. Le chef de la bande est arrêté deux jours plus tard. Au terme d'un procès orageux au cours duquel il va faire étalage de son talent de propagandiste, Hitler voit son parti interdit. Lui-même est condamné le 1er avril 1924 à cinq ans de prison. Il ne va effectuer que neuf mois.

Dans la forteresse de Landsberg, il a le loisir de réfléchir à un changement de stratégie. Plus question de coup de force ; Hitler projette d'accéder au pouvoir en utilisant tous les leviers légaux. Le 20 décembre 1924, il est libéré avec un épais manuscrit qu'il a eu le loisir de dicter en prison à son fidèle Rudolf Hess. Il y annonce son projet politique pour l'Allemagne. Le titre ? Mein Kampf (Mon combat).

Un mouvement révolutionnaire

Le national-socialisme ou nazisme se présente d'emblée comme une alternative révolutionnaire au communisme d'origine russe :
• En se revendiquant socialiste et anticapitaliste, il répond aux aspirations des prolétaires et déclassés allemands qui répugnent à suivre les communistes russes, tenus pour des gens incultes et méprisables.
• En affichant un nationalisme viscéral, le parti de Hitler séduit aussi nombre de patriotes sincères, révulsés par l'humiliant Diktat de Versailles.
• En se présentant enfin comme révolutionnaire, antiparlementaire et antichrétien, le nazisme attire nombre d'intellectuels. Il est salué avec faveur, à ses débuts du moins, par de grands esprits, y compris la majorité des Prix Nobel allemands.

Parmi les premiers compagnons de route du nazisme figurent quelques personnalités éminentes comme le grand historien du Moyen Âge Ernst Kantorowicz. Juif homosexuel et athée, mais aussi fervent patriote, il se rallie au nazisme avant d'émigrer aux États-Unis et d'y poursuivre une carrière digne et honorable.

L'essayiste Jean-Claude Guillebaud rappelle que « dans les années 20 et 30, le national-socialisme se présentait encore volontiers comme une force subversive, opposée au moralisme petit-bourgeois, soucieuse de combattre la famille au nom de la communauté de sang en quête d'espace vital, d'organiser, sous l'égide de l'État, des filiations eugéniques (les fameux Lebensborn), etc. Au demeurant, c'est la gauche allemande qui dénonçait à l'époque l'amoralité, et notamment les complaisances homosexuelles que manifestaient certains nazis ».

Une difficile ascension

Malgré sa capacité à ratisser large, le nazisme a le plus grand mal à s'imposer dans le paysage politique allemand. Après sa sortie de prison en décembre 1924, Hitler doit faire face aux manoeuvres séditieuses de ses lieutenants.

Au nombre de 30 000, les troupes para-militaires du parti, les SA (abréviation de Sturm Abteilung ou Sections d'Assaut), que dirige Ernst Röhm se montrent particulièrement indisciplinées. Pour les contenir, Hitler forme une garde personnelle à sa dévotion, les SS (abréviation de Schutzstaffel ou Échelon de protection), sous la direction de Josef Berchtold puis, en 1929, de Heinrich Himmler.

Les frères Strasser, qui dirigent le parti en Allemagne du nord, veulent renforcer son orientation socialiste. Ils sont écartés lors de la recréation du parti par Adolf Hitler le 27 février 1925.

Le parti va se développer sur le modèle léniniste, avec de nombreux sympathisants qui lui apportent de l'argent ainsi que des militants professionnels dévoués à leur chef suprême, le Führer.

Si Hitler accède au pouvoir en moins de huit ans (1925-1933), il le doit avant tout aux circonstances et notamment à la crise économique de 1929, qui brise net le redressement économique, social, politique et culturel de la démocratie allemande née à Weimar dix ans plus tôt. Avec la multiplication des chômeurs et des déclassés, les principaux partis révolutionnaires, à savoir le parti nazi et le parti communiste, voient le nombre de leurs adhérents monter en flèche.

De 176 000 en 1929, le nombre d'adhérents au parti hitlérien grimpe à 806 000 en 1931 et à 4 millions en 1933. Les nazis n'ont obtenu que douze députés aux élections de 1928. Ils en obtiennent 107 à celles de septembre 1930 et deviennent tout d'un coup le deuxième parti allemand ; une force politique avec laquelle il faut désormais compter. 

Le grand capital a-t-il soutenu Hitler ?

Le grand capital allemand n'apporta pas son soutien à l'avènement du nazisme contrairement à ce qu'a longtemps soutenu la glose marxiste et à ce que laisse penser le film de Luchino Visconti, Les damnés (1969), reconstruction baroque de l'Histoire. Le programme en 25 points du premier parti nazi fut clairement anticapitaliste et de gauche. Et plus tard, dans les années qui précédèrent la prise de pouvoir, les rencontres entre Hitler et les patrons de l'industrie allemande n'eurent pas de franc succès. Seules firent exception quelques personnalités isolées comme les industriels Fritz Thyssen et Friedrich Flick ou encore le financier Hjalmar Schacht.
« Quelques hommes d'affaires et industriels prestigieux assis sur les bancs du procès de Nuremberg, et voilà le discrédit jeté durablement sur toutes les élites économiques allemandes. Est-ce à dire qu'elles furent toutes coupables, comme l'affirma longtemps une historiographie d'inspiration marxiste ? Comme souvent, avec le recul et les progrès de la recherche, l'histoire s'est dérobée aux schémas simplistes et a infirmé les poncifs d'origine marxiste qui dominaient les analyses de cette question », écrit l'historien Henri Rousso, directeur de l'Institut d'histoire du temps présent - CNRS.
En revanche, après 1933 et l'accession au pouvoir de Hitler, il est indiscutable qu'industriels et financiers surent s'accommoder du régime pour en tirer un profit maximal jusqu'à renoncer à leur liberté d'action au profit de l'ordre nazi.

Publié ou mis à jour le : 2021-08-11 11:49:31
Jacmé (08-11-2023 13:47:25)

Paradoxalement, il semble que ce soit aux États-Unis qu'Hitler ait trouvé le plus tôt et le plus facilement de l'aide en particulier auprès de Ford et de Kennedy (père)

charles (11-11-2017 18:56:24)

Bonjour, Vous indiquez qu'avant sa prise de pouvoir Hitler n'a reçu l'aide au sein du grand capital que de quelques personnalités isolées. N'empêche, les Thyssen, Flick et Schlacht, ce n'était ... Lire la suite

mary (11-11-2013 08:52:01)

A REVISER A MEDITER !

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