2 juillet 1816

Échouage de la Méduse

Le 2 juillet 1816, la frégate La Méduse s'échoue au large de l'actuelle Mauritanie avec 395 marins et soldats à son bord. Ce fait divers va bouleverser la France et engendrer un chef-d'œuvre de l'art romantique.

Camille Vignolle
Le radeau de la Méduse, par Theodore Gericault (détail, musée du Louvre)

Un capitaine imprudent

Le navire a quitté Bordeaux le 27 avril, accompagné de la corvette L'Écho, de la flûte La Loire et du brick L'Argus.

L'expédition est commandée par le capitaine de frégate Hugues Duroy de Chaumareys. Cet officier royaliste de 51 ans a émigré dès le début de la Révolution, en 1789, et vient tout juste de rentrer en France. Bien que dépourvu d'expérience, il a reçu du roi Louis XVIII mission de reprendre le Sénégal, que le traité de Paris a restitué à la France après la chute de Napoléon, quelques mois plus tôt.

Contre l'avis de ses officiers, le capitaine veut couper au plus court. Son navire, La Méduse, s'éloigne ainsi du reste de la division et s'engage sur le dangereux banc de sable d'Arguin, à plus de 60 kilomètres des côtes africaines, où il est bientôt immobilisé. On tente de désensabler le navire en évacuant le matériel sur un radeau de fortune de 20 mètres de long. Mais cela ne suffit pas et il faut se résoudre à l'évacuation.

L'évacuation

Les officiers, les passagers et une partie des marins se replient sur la chaloupe et une demi-douzaine de canots qui, tous, sont mâtés et disposent d'une voile. Le commandant est parmi les premiers à quitter la frégate !... Mais 152 hommes, essentiellement des soldats, doivent se contenter du radeau. Serrés les uns contre les autres, ils ont de l'eau jusqu'aux genoux. Dix-sept hommes, appréhendant le pire, préfèrent rester sur la frégate dans l'espoir d'être plus tard secourus.

Le radeau est tiré dans un premier temps par les canots et la chaloupe. Mais au lieu de se rapprocher de la côte, les naufragés dérivent vers la haute mer... Une nuit, les amarres cèdent les unes après les autres. L'enquête montrera plus tard qu'elles furent volontairement larguées à l'initiative de l'officier Raynaud qui commandait le principal canot. 

Voyant cela, le lieutenant Espiau, qui commande la chaloupe, veut reprendre le radeau en remorque mais ses hommes s'y opposent. Il semble en effet que beaucoup craignaient une mutinerie et une attaque de la part des marins du radeau, des hommes rudes et passablement éméchés.

Finalement, le commandant Chaumareys abandonne le radeau à lui-même et met le cap sur la côte, vers Saint-Louis du Sénégal. Ses officiers, honteux mais résignés, le suivent.

Le chef d'oeuvre
Le radeau de la Méduse, par Theodore Gericault (musée du Louvre)

Théodore Géricault (25 ans), s'est inspiré du drame de La Méduse pour peindre l'un des premiers chefs-d'oeuvre de l'école romantique. Ce jeune artiste de sensibilité monarchiste a suivi Louis XVIII dans son exil de Gand. Cela ne l'empêche pas de faire de son oeuvre un manifeste contre les dérives du régime.

Soucieux de réalisme, il a emprunté des cadavres dans un hôpital et s'en est servi comme modèle. Le chirurgien Savigny et un autre rescapé, Corréard, ont par ailleurs posé pour Géricault, avec qui ils s'étaient liés d'amitié. On voit sur la gauche le premier, bras tendu, doigts écartés, tourner la tête vers le second, dans l'ombre, adossé au mât. On identifie également deux autres personnages : le noir agitant un morceau de toile est Jean-Charles, soldat originaire du Sénégal. L'homme avec une longue chemise à fines rayures se traînant sur le milieu du radeau, le bras droit tendu, est l'enseigne Jean-Daniel Coudein, commandant du radeau, qui avait été blessé à la jambe au départ de France et pouvait à peine se mouvoir. Le peintre Eugène Delacroix, ami de Géricault, a servi également de modèle. On le voit au premier plan, face contre le radeau.

La toile est de très grandes dimensions (4,9 x 7 m), avec des personnages deux fois plus grand que nature au premier plan. Elle montre les marins qui tentent de se faire voir du brick L'Argus le 17 juillet 1816. Par le mouvement des corps et les contrastes de lumière, elle travestit le fait divers en un drame mythologique. Exposée au Salon de 1819 sous le titre Scène de naufrage, elle fait scandale par son réalisme et sa violence. Certains y voient une dénonciation du pouvoir en place. Elle n'en suscite pas moins l'admiration du roi Louis XVIII qui lâche placidement : « Voilà un naufrage qui ne fera pas celui de l'artiste qui l'a peint ». Elle est aujourd'hui au musée du Louvre.

Le peintre n'a pas osé présenter la première version de son oeuvre (ci-dessous), du fait de scènes de cannibalisme jugées trop violentes.

Première version du Radeau de la Méduse avec scène de cannibalisme (Théodore Géricault, Musée du Louvre)

Le drame

Avec très peu de vivres et cinq barriques de vin, le radeau va dériver sous un soleil implacable, avec de l'eau jusqu'à un mètre au-dessus du plancher. Les officiers se maintiennent près du mât, dans la partie la plus stable. Suicides, noyades, rixes s'enchaînent. Dès le deuxième jour, certains survivants découpent la chair des cadavres et s'en repaissent après l'avoir boucanée au soleil. Quelques hommes encore valides jettent à la mer les blessés et les malades pour préserver les chances de survie des autres.

Au bout de treize jours, le 17 juillet 1816, les malheureux aperçoivent une voile à l'horizon. C'est L'Argus qui s'est mis en quête de l'épave de La Méduse pour y récupérer des documents officiels et de l'argent ! Mais le brick s'éloigne sans voir le radeau. Il repassera quelques heures plus tard et cette fois l'apercevra. Il recueillera une quinzaine de rescapés. Cinq succomberont peu après leur arrivée à Saint-Louis du Sénégal.

Le lieutenant de vaisseau Parnajon, commandant L'Argus, racontera plus tard :
« J'ai trouvé sur ce radeau quinze personnes qui m'ont dit être le reste des 147 qui y avaient été mises lors de l'échouage de la frégate Méduse. Ces malheureux avaient été obligés de combattre et de tuer une grande partie de leurs camarades qui s'étaient révoltés pour s'emparer des provisions qu'on leur avait données. Les autres avaient été emportés par la mer, ou morts de faim, et fous. Ceux que j'ai sauvés s'étaient nourris de chair humaine depuis plusieurs jours et, au moment où je les ai trouvés, les cordes qui servaient d'étais étaient pleines de morceaux de cette viande qu'ils avaient mise à sécher. Le radeau était aussi parsemé de lambeaux qui attestaient la nourriture dont ces hommes avaient été obligés de se servir... » (*).

C'est en définitive une goélette privée, la Bombarde, qui atteindra la Méduse 52 jours après son abandon. Elle recueillera trois survivants sur les dix-sept qui étaient restés à bord : douze avaient quitté l'épave sur un radeau et un treizième sur une cage à poules, un quatorzième était mort d'épuisement.

Les « naufragés du désert »

Si Géricault a immortalisé le radeau, l'histoire a oublié par contre les « naufragés du désert ». Il s'agit des 63 personnes que la chaloupe débarqua le 6 juillet et qui rejoignirent Saint-Louis du Sénégal en longeant la côte. Ils parcoururent les quelques 80 lieues en 17 jours, harcelés, dépouillés par les Maures contre un peu d'eau et de nourriture. Six d'entre eux, dont une femme, y laissèrent la vie.

Trois hommes, des traînards, s'égarèrent et furent séparément capturés par les Maures. Parmi eux, le naturaliste Georg-Adolf Kummer (1786-1817). Il parlait un peu l'arabe, se fit passer pour le fils d'une musulmane égyptienne et fut traité courtoisement. Tous les trois furent ramenés à Saint-Louis contre promesse de rançon (ou de récompense).

Le scandale

Le Journal des Débats publie le compte-rendu adressé au ministre de la Marine par le chirurgien Jean-Baptiste Savigny, l'un des rescapés du radeau. L'auteur y dépeint les violences extrêmes auxquelles ses compagnons et lui-même ont été réduits. Son récit soulève une immense émotion dans l'opinion publique.

Le capitaine de frégate et les officiers passent en cour martiale. Hugues Duroy de Chaumareys est dégradé et radié du rôle des officiers de marine et des Ordres de Saint Louis et de la Légion d'Honneur. Il échappe de peu à la peine de mort et s'en tire avec trois années de prison. Il finira ses jours au château de Lachenaud, à Bussière-Boffy, près de Bellac (Haute-Vienne).

Publié ou mis à jour le : 2023-05-15 19:21:51

Voir les 5 commentaires sur cet article

Erik (02-07-2016 11:13:36)

Chaumaray et Schettino, même combat !

Haviland (23-03-2015 19:22:30)

Il semblerait qu il y ait une erreur en ce qui concerne la distance entre la Méduse et la côte la plus proche , le cap TAFARIT.Vous indiquez 160 kms comme beaucoup d autres auteurs, mais la position... Lire la suite

Ennered (02-07-2014 09:31:14)

Il est usuel, chez les gens de mer, de distinguer l'échouage qui est volontaire de l'échouement qui est accidentel.

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