Pologne, l'État phénix

Apogée et déclin de la Pologne

À la fin de la Renaissance, la Pologne est le plus important État d'Europe centrale. Deux siècles plus tard, elle va disparaître de la carte ! Comment expliquer la déliquescence de l'État souverain polonais et son démembrement par les puissances voisines ?

Les historiens s'accordent à mettre en cause une disposition constitutionnelle singulière, le liberum veto, qui subordonne toute les grandes décisions à un vote unanime des grands seigneurs du royaume. Il suffira que l'un de ceux-ci soit acheté par l'un ou l'autre des voisins de la Pologne pour que celle-ci renonce à une mesure salutaire. C'est un phénomène qui n'est pas sans rappeler les inconvénients du vote à l'unanimité au sein du Conseil européen de Bruxelles, en ce XXIe siècle...

Charlotte Chaulin (carte animée : Vincent Boqueho)

Une singulière « République nobiliaire »

Depuis l'union de Lublin de 1569, le royaume de Pologne et le grand-duché de Lituanie forment la République des Deux Nations. C'est une monarchie élective et parlementaire, ce qui signifie que le souverain est choisi par la Diète, une forme de parlement qui réunit la noblesse du royaume (dico). Le roi devient donc le serviteur des nobles, qui représentent 10% de la population. L'État polono-lituanien occupe la plus grande partie de l'immense espace que constitue l'isthme entre Baltique et mer Noire et sa population est supérieure à celle de l'Angleterre. Mais cette impression de puissance est illusoire comme va le montrer la suite...

L'« Âge d'or » de la Pologne se termine en 1572 avec l'extinction de la dynastie des Jagellons et l'élection du fils de Catherine de Médicis, Henri de Valois (il va très brièvement monter sur le trône de Pologne avant de devenir roi de France sous le nom d'Henri III). 

Étienne Báthory parmi les écoliers, Antoni Gramatyka, XIXe siècle, musée national de Cracovie. Agrandissement : Étienne Báthory à Pskow en 1582, Jan Matejko, 1872, Varsovie, Château Royal.

- Étienne Báthory (1533-1586) :

Après le renoncement d'Henri de Valois au trône, c’est le prince de Transylvanie Étienne Báthory qui devient roi de Pologne-Lituanie. En 1581, sous son règne, la Pologne concède à ses juifs, environ 5% de la population totale, une large autonomie sous la forme d'un « Conseil des Quatre Pays » (Sejm en polonais, Vaad en hébreu), chaque « pays » désignant une communauté juive du royaume. Exceptionnelle dans l'Europe des guerres de religion, cette tolérance prolonge la prospérité de la Pologne et de ses métropoles, à commencer par Cracovie. Le règne d'Étienne Báthory  est aussi marqué par la poursuite de la guerre contre la Russie et la modernisation de l’armée.

- Sigismond III (1566-1632) :

En 1587, le fils du roi de Suède est élu roi de Pologne et grand-duc de Lituanie sous le nom de Sigismond III Vasa. Cinq ans plus tard, il hérite également du trône de Suède et déplace la capitale plus au nord à Varsovie, mais le soutien qu’il apporte au catholicisme et son éloignement de la Suède lui valent l’hostilité de la noblesse suédoise. Finalement, la guerre éclate contre son oncle Charles IX qui fait reconnaître le luthérianisme en Suède et s’octroie le trône de Suède en 1604. Le conflit se double d’une guerre contre la Russie pour le contrôle de la Livonie.

Portrait de Sigismond III par Martin Kober, vers 1590, musée d'Histoire de Vienne. Agrandissement : Sigismond III par Pierre Paul Rubens, vers 1620, Heinz Kisters Collection, Kreuzlingen (Allemagne).Au début du XVIIe siècle, la Pologne envahit la Russie affaiblie par des guerre intestines. Moscou est prise en 1610 et le roi Sigismond III fait même couronner son fils Ladislas comme tsar, avant de devoir reculer devant le nationalisme russe. La paix de Deulino en 1618 permet à la Pologne d'étendre considérablement son territoire. C'est un succès sans lendemain.

En 1648, la Pologne doit renoncer à la Livonie au profit de la Suède. Cette même année, les populations du sud d’origine nomade, les Cosaques Zaporogues, en profitent pour se rebeller. Ladislas IV Vasa, fils de Sigismond III et successeur de celui-ci, doit abdiquer.

L'historien Louis Léger exprime bien la situation de la Pologne à la fin du XVIème siècle : « Cet État qui, à ne considérer que la carte, apparaît au XVIIème siècle comme l'un des plus grands États de l'Europe, touche à de nombreux pays voisins mais n'a pas de places fortes. Il touche à la mer mais n'a pas de marins. Il a une noblesse vaillante mais il n'entretient qu'une faible armée...». Autant dire que la Pologne n'apparaît pas véritablement comme une grande puissance européenne.

La noblesse se renferme sur elle-même, pratique une intolérance religieuse exacerbée par le sarmatisme. Ce courant, qui irrigue les mentaliés de l'aristocratie polonaise (la Szlachta) depuis le début du XVIème siècle, valorise les origines sarmates de la noblesse polonaise. Elle descendrait de ce peuple antique dont elle aurait hérité du courage, de la vaillance et du goût de la liberté. Au même moment, elle s'englue dans ce qu'on appelle « la liberté dorée » : défense des privilèges, abus sociaux, tyrannie locale et concurrence entre seigneuries. 

Séance de Sejm au château royal, Varsovie, 1622

Au cours du XVIIème siècle, la Diète polonaise (« Sejm »), qui rassemble les grands barons du royaume, dilate ses compétences en octroyant des droits de plus en plus étendus à ses membres. C'est ce qu'illustre le liberum veto, mis en place en 1652 (dico). Cette expression latine, qui signifie « j'interdis librement », est un principe constitutionnel inventé par la Diète selon lequel toute décision doit être prise à l'unanimité. 

En usage entre 1652 et 1791, il permet à n'importe quel membre de la Diète de se lever et de crier « Nie Pozwalam » (« je n'autorise pas »). Sous prétexte que tous les nobles sont absolument égaux entre eux, la diète, qui prétend exercer la plus haute autorité, se réduit ainsi elle-même à l'impuissance en décidant que tous ses décrets doivent être pris à l'unanimité. Ainsi, un seul député provoque la dissolution de la Diète et le report des mesures envisagées à une nouvelle Diète.

Les tsars de Szujscy au Sejm de Varsovie, vers 1640, collection du musée historique de Lviv (Ukraine).

Effets pervers du liberum veto

Le plus gros problème posé par le liberum veto est l'intervention continuelle des ambassadeurs étrangers dans les affaires polonaises. Il leur est facile de s'assurer à prix d'argent la voix d'un seul député pour faire échouer telle ou telle mesure contraire à l'intérêt de leur souverain. 

Pour l'historien Michel Mourre, « le plus extraordinaire est que avec une disposition constitutionnelle aussi absurde, l'État polonais ait encore réussi à survivre pendant plus d'un siècle. » Mais s'il survit, c'est sous perfusion de ses voisins. Aussi un proverbe voit-il le jour au siècle suivant : « Polzka Nierzadem Stoi » (« La Pologne ne tient que par son anarchie »).

En 1654, la Pologne est envahie par l'armée moscovite. L'année suivante, c'est Charles X Gustave de Suède qui l'attaque à son tour. Poznan, Varsovie et Cracovie, les trois puissances polonaises, tombent aux mains des Suédois en 1656.

Le roi Jean II Casimir en costume polonais, Daniel Schultz , 1649, Stockholm, Nationalmuseum. L'agrandissement présente un autre portrait de Jean II Casimir réalisé par Daniel Schultz en 1660, appelé portrait de Bielany, Varsovie, monastère de Biélany.En plus des attaques extérieures, la Pologne fait face à des conflits internes. Au sein de la noblesse émergent conspirations et trahisons.

Les guerres se poursuivent et la Pologne vit des pertes sévères car elle doit renoncer à sa suzeraineté sur le duché de Prusse en 1657. Elle abandonne la Livonie intérieure à la Suède en 1660 et  le roi Jean II Casimir doit abdiquer toute prétention sur le trône suédois. Avec la trêve d'Androussovo signée avec la Russie en 1667, le pays cède Smolensk à la Russie et toute l'Ukraine de la rive gauche du Dniepr, ainsi que Kiev.

Jean II Casimir tente d'abolir le liberum veto en 1665 mais c'est un échec cuisant. Cette mesure, beaucoup trop contraignante, continue de bloquer le système politique du pays. L'historien  Jacek J?druch remarque que sur les 150 réunions de la Diète entre 1573 et 1763, 53 sont ajournées et 32 le sont à cause du liberum veto.

Face aux révoltes de la Diète et aux guerres qui ravagent son pays, Jean II Casimir renonce au trône de Pologne en 1668 et finit ses jours en France. Suite à son départ, la Pologne porte à l'unanimité sur le trône un authentique Polonais dont le père s'est illustré contre les Cosaques, Michel Wisnowiecki (1669-1673). Mais le trône est devenu l'enjeu d'intrigues des deux grands puissances rivales en Europe : la France et les Habsbourg. 

Victoire de Jean III Sobieski, roi de Pologne, contre les Turcs à la Bataille de Vienne, Jan Matejko, Rome, musée du Vatican.

Souverain médiocre Michel Wisnowiecki s'appuie sur l'alliance autrichienne pendant qu'un parti profrançais se forme autour de Jean Sobieski, vainqueur des Turcs à Khotin (1673).

Élu roi, Jean III Sobieski suit les conseils de la diplomatie de Louis XIV. Il est célébré comme le sauveur de la chrétienté car il libère Vienne en 1683, alors aux mains des Turcs. Les Ottomans lui restituent alors la Podolie et l'Ukraine avec le traité de Karlowitz en 1699. Le pays semble relever la tête.

Ces succès éclipsent les problèmes internes de la Pologne, qui ne tardent pas à refaire surface. 

La décadence polonaise au XVIIIème siècle

Auguste représenté en armure et manteau d'hermine revêtu de l'Ordre polonais de l'Aigle blanc, Louis de Silvestre, 1718, musée historique de Lviv (Ukraine)En 1697, la succession de Jean III Sobieski pose problème. L'ambassadeur français de Pologne, le futur cardinal de Polignac, parvient à faire élire roi le prince de Conti mais l'Électeur de Saxe Frédéric-Auguste Ier le Fort, soutenu par la Russie de Pierre le Grand, se fait couronner en vitesse à Cracovie sous le nom d'Auguste II. Conti, qui n'a pas eu le temps d'arriver, s'est fait devancer. C'est la première fois qu'un prince allemand monte sur le trône de Pologne. Il unit la Pologne à la Saxe tout en maintenant sa résidence à Dresde

Cet incident provoque la rupture des relations entre la France et la Pologne jusqu'en 1726. Cela n'empêche pas le règne d'Auguste II de se dérouler sous d'heureux auspices, grâce à la paix de Karlowitz. Mais la mauvaise politique du roi l'amène à conclure une alliance avec le tsar Pierre le Grand et le Danemark contre le jeune roi de Suède Charles XII.

La Guerre du Nord éclate entre 1700 et 1721. Face aux nombreuses victoires suédoises, Auguste II se réfugie en Saxe. Les troupes suédoises, saxonnes et russes transforment la Pologne en un champ de bataille. 

Ce conflit est désastreux pour la Pologne qui est maltraitée par ses ennemis. La Diète se rallie (ou plutôt se soumet) au vainqueur du moment.

Auguste III, roi de Pologne, en costume de szlachta polonais, Louis de Silvestre, v. 1737, Dresde, Gemäldegalerie Alte Meister. L'agrandissement est le portrait d'Auguste III en 1755, Pietro Rotari, Dresde, Gemäldegalerie Alte Meister.Charles XII impose l'élection de Stanislas Leszczynski (1704-1709) mais suite à sa défaite à Poltava en 1709, Stanislas est chassé du trône. Auguste II remonte alors sur le trône d'un pays ruiné, dévasté par une épidémie de peste et en proie aux divisions politiques. 

En 1720, la Prusse signe avec la Russie de Pierre le Grand la convention de Potsdam. Rapidement suivie de neuf accords abalogues échelonnés de 1726 à 1780, elle prévoit les moyens de « maintenir le liberum veto et de protéger les droits des dissidents polonais, à l'effet de sauvegarder la libre élection au trône. » Ils peuvent ainsi s'ingérer comme bon leur semble dans la politique polonaise et à partir de 1736, aucune Diète n'aboutit.

En 1733, Louis XV parvient à faire élire à nouveau son beau-père, Stanislas Leszczynski. C'est alors qu'éclate la guerre de succession de Pologne, qui dure jusqu'en 1738 et à la suite de laquelle le trône est rendu à Auguste III, Prince-Électeur de Saxe. 


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• 13 décembre 1981 : état de guerre en Pologne
Publié ou mis à jour le : 2024-03-16 09:22:33
Cassandre (03-03-2024 21:37:12)

"C'est un phénomène qui n'est pas sans rappeler les inconvénients du vote à l'unanimité au sein du Conseil européen de Bruxelles, en ce XXIe siècle...". Vu les eurocratôlatres de nos gouvernem... Lire la suite

Liger (24-04-2019 22:38:29)

Attention, l'introduction de cet intéressant article se termine par un rapprochement plus que contestable entre la Pologne et l'UE : - dans le cadre d'une NATION, le système de l'unanimité, sur... Lire la suite

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